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meurtriers à hâter davantage l'exécution › d'Agis, de peur qu'on ne l'enlevât cette nuit-là même, fi on donnoit au peuple le tems de s'affembler.

Comme on le menoit au lieu où il devoit être étranglé, il vit un des exécuteurs qui pleuroit, & qui étoit touché de fon infortune. Mon ami, lui dit-il, ceffe de pleurer; car, périffant ainfi contre les loix & la juftice, je fuis plus beureux & plus digne d'envie, que ceux qui m'ont condamné. En finiffant ce peu de paroles, il donna volontairement fon cou au cordon.

En même tems Ampharès fortit à la porte, & Agéfiftrata s'étant d'abord jettée à fes genoux, il la releva, & lui dit qu'Agis n'avoit à craindre aucune violence, ni aucun mauvais traitement, & la preffe d'entrer, fi elle vouloit, dans la prifon pour voir fon fils. Et comme elle demanda que fa mère pût entrer auffi avec elle: Rien n'empêche, dit-Ampharès; & les prenant l'une & l'autre, il les introduifit dans la prifon, & ayant commandé qu'on fermåt la porte, il livra à l'exécuteur l'ayeule Archidamie la premiè re, qui étoit une Dame très-avancée en âge, & qui avoit vieilli parmi fes citoyens avec autant ou plus de dignité, de répu tation & d'eftime, qu'aucune Dame de. fon tems. Quand elle eut été exécutée, il ordonna à Agéfiftrata d'entrer dans le cachot. En entrant elle vit d'abord fon fils étendu mort à terre, & fa mère attachée encore au funefte cordon. Elle aida elle même aux exécuteurs à la déta

cher

cher, & l'ayant étendue auprès du corps de fon fils de la manière la plus décente qu'elle put, elle la couvrit d'un linge. Ce pieux office rendu, elle fe jetta fur le corps de fon fils, & le baifant tendrement, elle lui dit: Mon fils, c'eft l'excès de ta douceur & de ton bumanité, c'est le trop de circonfpection & de ménagemens, qui t'a perdu, & qui nous a per dues avec toi.

Ampharès, qui de la porte entendoit & voyoit tout ce qui fe difoit & fe paffoit, entra; & adreffant la parole à Agéfiftrata, il lui dit avec emportement: Puifque vous avez fu & approuvé les deffeins de votre fils, vous fouffrirez auffi la même peine. A ces mots Agéfiftrata fe levant, & courant au devant du fatal cordon: Au moins elle, que ceci puiffe être utile à Sparte.

dit

Dès que le bruit de ces exécutions fe fut répandu dans la ville, & qu'on vit emporter les trois corps, l'indignation fut générale, & l'on convenoit que, depuis que les Doriens étoient établis dans le Péloponnèfe, il ne s'y étoit rien fait de fi atroce ni de fi horrible. En effet, tous les crimes, qui font le plus d'horreur à la nature, fe rencontrent ici, & dans des circonftances qui en augmentent infiniment la noirceur. Mais on peut dire que le meurtre du Roi les réunit & les furpaffe tous. Une exécution fi barbare, malgré le refpect que la nature même inspire aux peuples les plus féroces pour la perfonne facrée des Rois, eft pour une nation une tache que toute la fuite des fiécles n'eft pas capable d'effacer.

805.

Plut. in Agis ayant été exécuté, Léonide ne fit Cleom.pag. pas affez de diligence pour fe faifir de fon frère Archidamus, qui fe fauva d'abord; mais il prit la femme de ce malheureux Prince, qu'il emmena de fa maifon avec un petit enfant qu'elle avoit eu de lui, & l'obligea par force d'époufer fon fils Cléomène, qui n'étoit pas encore en âge d'être marié. Mais il ne vouloit pas que cette veuve tombât entre les mains d'un autre; car Aglatis, c'eft ainfi qu'elle s'appelloit, avoit hérité de fon père Gylippe de très-grands biens; d'ailleurs elle fürpaffoit en beauté & en bonne grace tou tes les autres Dames Grecques, & fe diftinguoit encore davantage par fa fagefle & par fa vertu. Elle fit tout ce qu'elle put pour n'être point forcée à ce mariage: elle pria, elle conjura, mais tout fut inutile. Etant donc unie à Cléomène, elle eut toujours une haine mortelle pour Léonide, mais beaucoup de bonté, de douceur & de complaifance pour fon jeune mari, qui dès le premier jour avoit conçu pour elle une eftime & une affection qui ne fe démentirent jamais. Il partageoit même avec fon Epoufe, par une forte de fympathie, la tendre amitié qu'elle confervoit pour Agis, & le plaifir qu'el le prenoit à s'en fouvenir; jufques-là que fouvent il lui faifoit raconter tout ce qui le regardoit, & qu'il l'écoutoit avec une grande attention quand elle lui expliquoit les grands deffeins & les grandes vues qu'il avoit pour le gouvernement.

S. IV. Cléomène monte fur le Trône de Sparte. Il engage la guerre contre les Achéens, & remporte fur eux plufieurs avantages. Il réforme le gouvernement de Sparte, & rétablit l'ancienne difcipline. Il remporte de nouveaux avantages fur les Achéens & Aratus. Celui-ci appelle à leur fecours Antigone Roi de Macédoine, qui leur fait remporter plufieurs victoires, & prend plufieurs places fur les ennemis.

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CLEOMENE avoit beaucoup de gran- Plut. in deur d'ame, & une violente paffion pour Cleom. p. la gloire. Il n'étoit pas moins porté à la 80s. 811. tempérance & à la fimplicité qu'Agis; mais il n'avoit pas, comme lui, une douceur exceffive, accompagnée de timides précautions. La nature au contraire avoit mê lé dans fon tempérament une pointe & un éguillon de vivacité impétueufe, qui le pouffoit avec ardeur à tout ce qui lui paroiffoit beau & honnête. Or il ne trouvoit rien de fi, beau que de commander à fes citoyens de leur bon gré & de leur propre confentement; mais il trouvoit auffi qu'il n'étoit pas contraire à la gloire d'un fage gouvernement d'ufer de quelque violence pour réduire à ce qui eft utile au bien public, le petit nombre d'injuftes qui s'y oppofent pour leur intérêt particulier.

Il n'étoit point du tout content de l'état où il voyoit Sparte. Tous les citoyens étoient amollis par la fainéantife & par les voluptés. Le Roi même, content de vivre en paix, négligeoit abfolument les

AN. M.

362. Av. J. C.)

242.

affaires. Perfonne n'étant touché du bien public, chaque particulier ne s'occupoit que de fes intérêts & du foin d'enrichir fa maison aux dépens de la ville même. Loin qu'on fongeât à faire exercer les jeunesgens & à les former à la tempérance, à la patience, & à l'égalité, il étoit très-dangereux feulement d'en parler, cela feul ayant été la caufe de la mort d'Agis.

On dit auffi que Cléomène encore jeune avoit entendu quelque difcours de philofophie dans le tems que Sphérus, qui venoit des bords du Boryfthène, paffa à Lacédémone, & s'appliqua avec affez de fuccès à inftruire les jeunes-gens. Ce Sphé. rus étoit un des principaux difciples de Zénon le* Citien. La philofophie Storcienne dont il faifoit profeffion, propre à rehauffer le courage & à infpirer des fentimens de grandeur, pouvoit être dangereufe pour un efprit déja vif & impétueux par lui-même; au lieu que entée pour ainfi dire fur un caractère doux & modéré, elle pouvoit lui être fort utile.

Après la mort de Léonide, qui ne furvécut pas long-tems à la condamnation & à la mort d'Agis, fon fils Cléomène lui fuccéda au Trône. Quoique jeune, il vit avec peine qu'il n'avoit que le vain titre de Roi, & que toute l'autorité étoit entre les mains des Ephores, qui abusoient étrangement de leur pouvoir. Il fongea dès lors à changer le gouvernement; &

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com.

* Il étoit ainfi appellé de Citium ville de Cypre

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