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abus criant du fouverain pouvoir, cruauté, impiété; en un mot, l'oubli de rous les fentimens naturels de probité & d'honneur, & le violement de toutes les Loix tant humaines que divines. Ce ne feront plus que difcordes funeftes, que batailles fanglantes, que révolutions affreufes. Des hommes autrefois amis, élevés ensemble, d'une même nation, compagnons des mêmes périls, inftrumens des mêmes exploits & des mêmes conquêtes, confpireront à mettre en piéces Empire qu'ils avoient tous concouru à former aux dépens de leur fang. On verra les Capitaines d'Alexandre immoler à leur ambition la famille de ce Prince, fon frère, fa mère, fes femmes, fes enfans, fes foeurs, & n'épargner point eux-mêmes ceux à qui ils devoient ou à qui ils avoient donné la vie. Ce ne font plus ces beaux fiécles de la Gréce, féconds en grands hommes & en grands exemples. Si l'on en trouve encore quelques traces & quelques reftes ce font comme des éclairs qui paffent rapidement, & qui ne fe font remarquer que par la pro fonde nuit qui les précède & les fuit.

,

Je fens parfaitement, & je ne puis le diffimuler combien un Ecrivain eft à plaindre de n'avoir plus à montrer la nature humaine que par des endroits qui la deshonorent, & qui ne peuvent manquer de caufer un fonds de dégoût & une fecrette affliction à ceux qu'on en rend les fpectateurs. L'Hiftoire perd ce qu'elle a de plus intéreffant & de plus capable de plaire & d'inftruire, quand elle est rédui

te

te à ne le faire que par l'horreur du crime & par les malheurs qui le fuivent ordinairement, & qui en font la jufte punition. Il eft difficile de retenir long-tems l'attention du Lecteur fur des objets qui n'excitent que fon indignation; & ce leroit lui faire injure que de paroître vouloir le porter à éviter des paffions pouffées aux derniers excès, dont il ne fe croit point capable.

Quel moyen de répandre de l'agrément dans une narration qui n'offre qu'une uniformité de vices & de forfaits, & qui met dans la néceffité de déveloper avec foin & en détail les actions & les caractères d'hommes qui ne font nés que pour le malheur du genre humain, & dont la poftérité devroit ignorer jufqu'au nom? Plufieurs même pourront penfer qu'il eft dangereux de familiarifer l'efprit du commun des hommes avec le fpectacle affidu de crimes trop heureux, & de s'arrêter à décrire les injuftes fuccès de ces illuftres Cri minels, dont la longue prospérité, accompagnée fouvent des priviléges & des recompenfes de la vertu, femble aux per fonnes foibles accufer la Providence.

Cette Hiftoire, déja fort defagréable par l'endroit que je viens de marquer, le devient encore davantage par l'obfcurité & la confufion qui y règne, à laquelle il eft difficile, pour ne pas dire impoffible, de remédier. Dix ou douze Capitaines d'Alexandre fe font mutuellement la guerre après fa mort pour partager entre eux fon Empire, & pour s'affurer chacun quelque A 2

dé.

démembrement plus ou moins grand de ce vafte Corps. Tantôt amis feints, tantôt ennemis déclarés, ils forment différens partis, différentes ligues, qui ne durent qu'autant que l'intérêt de chaque particulier le fouffre. La Macédoine changea de maître cinq ou fix fois en affez peu de tems. Comment mettre de l'ordre & de la clarté dans une fi grande multitude & une fi prodigieufe diverfité d'évènemens qui fe croifent les uns les autres, & dont le fil fe rompt à chaque inf

tant.

D'ailleurs, je n'ai plus d'Auteurs anciens qui puiffent me conduire dans ces ténèbres & dans ce cahos. Diodore, après m'avoir guidé quelque tems, m'abandonnera, & aucun autre ne prend fa place. On ne trouve nulle part rien de fuivi. On ne peut donner, ni les liaisons des évènemens, ni les circonftances exactes des faits effentiels, ni les motifs des réfolutions, ni le caractère propre des principaux Acteurs. Je me trouve heureux & me confole quand Polybe ou Plutarque viennent à mon fecours. Dans ce que je dirai des fucceffeurs d'Alexandre, qui eft peut-être la partie de l'Hiftoire ancienne la plus compliquée & la plus mêlée d'obfcuritez & d'embaras, Ufférius, Prideaux & M. Vaillant feront mes guides ordinaires; & fouvent je ne ferai que copier Prideaux. Je ne me promets pas, avec cela, de pouvoir mettre dans cette Hiftoire toute la clarté que je fouhaiterois. Après plus de vingt ans de guerre, les

principaux Compétiteurs fe trouvant ré duits au nombre de quatre, Ptolémée , Caffandre, Séleucus & Lyfimaque, l'Empire d'Alexandre fe partagea en quatre Royaumes fixes, felon la prédiction de Daniel, par un traité folemnel & par un accord conclu entre les parties. Trois de ces Royaumes, favoir l'Egypte, la Macédoine, la Syrie ou l'Afie, auront une fuite de Rois affez claire & diftinguée. Le quatrième, qui comprenoit la Thrace une partie de l'Afie Mineure & quelques Provinces voisines, fouffrira beaucoup de variations.

Comme le Royaume d'Egypte eft celui où il y a eu le moins de changement, parce que Ptolémée, qui y étoit établi fous le nom de Gouverneur à la mort d'Alexandre, s'y conferva toujours dans la fuite, & le laiffa à fa poftérité; ce fera celui qui fervira comme de base à notre Chronologie, & qui fixera nos différentes Epoques.

Ainfi ce VII. Tome, fuppofé que la juste mesure du volume le permette, renfermera l'espace de cent vingt- & un ou vingt-deux ans, fous les quatre premiers Rois d'Egypte: favoir Ptolémée fils de Lagus, qui regna trente-huit ans; Ptolémée Philadelphe, qui en regna quarante; Ptolémée Evergéte, dont le règne dura vingtfept ans; & Ptolémée Philopator, dont le règne fut de dix-fept ans.

Pour tâcher de jetter quelque lumière fur l'Hiftoire renfermée dans ce volume j'en donnerai ici par avance un abrégé A 3

chro

Difcours

vorfelle.

chronologique qui en renfermera les principaux évènemens.

Mais auparavant je prie le Lecteur de fur Hif faire avec moi quelques réflexions, qui toire Uni- n'ont pas échapé à M. Boffuet, au fujet d'Alexandre. Ce Conquérant, le plus renommé & le plus illuftre qui fut jamais, a été le dernier Roi de fa race. La Macédoine, fon ancien Royaume, tenu par fes ancêtres depuis tant de fiécles, fut envahi de tous côtez comme une fucceffion vacante; & après avoir été long-tems la proie du plus fort, il paffa enfin à une autre famille. S'il fût demeuré paifible dans la Macédoine, la grandeur de fon Empire n'auroit pas tenté fes Capitaines, & il eût pu laiffer à fes enfans le Royaume de fes pères. Mais, parce qu'il n'avoit point mis de bornes à fa puiffance, il fut cause de la perte de tous les fiens. Nous verrons fa famille entièrement exterminée, fans qu'il en refte de traces. Ses conquê tes deviendront une occafion de meurtres & de carnage, & donneront lieu à fes Capitaines de s'entre-égorger les uns les autres. Voilà où aboutira cette bravoure d'Alexandre fi vantée, ou, pour parler plus jufte, cette brutalité qui, fous de beaux noms d'ambition & de gloire, alloit gratuitement ravager les Provinces, porter partout le fer & le feu, & répandre le fang de tant d'hommes qui ne lui avoient fait aucun mal.

Il ne faut pas croire néanmoins que la Providence ait abandonné ces évènemens au hazard. Comme elle préparoit tout

pour

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