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christianisme a déroulés : qu'elle laisse donc le soin d'éclairer le monde à celui qui l'a fait.

Cette poésie descriptive italienne passa en France, et fut favorablement accueillie de Ronsard, de Lemoine, de Coras, de Saint-Amand, et de nos vieux romanciers. Mais les grands écrivains du siècle de Louis XIV, dégoûtés de ces peintures, où ils ne voyaient aucune vérité, les bannirent de leur prose et de leurs vers, et c'est un des caractères distinctifs de leurs ouvrages, qu'on n'y trouve presque aucune trace de ce que nous appelons poésie descriptive 1.

Ainsi, repoussée en France, la Muse des champs se réfugia en Angleterre, où Spencer, Waller et Milton l'avaient déjà fait connaître. Elle y perdit par degrés ses manières affectées; mais elle tomba dans un autre excès. En ne peignant plus que la

1. Il faut en excepter Fénélon, La Fontaine et Chaulieu. Racine fils, père de cette nouvelle école poétique, dans laquelle M. Delille a excellé, peut être aussi regardé comme le fondateur de la poésie descriptive en France.

vraie nature, elle voulut tout peindre, et surchargea ses tableaux d'objets trop petits, ou de circonstances bizarres. Thomson même, dans son chant de l'Hiver, si supérieur aux trois autres, a des détails d'une mortelle longueur. Telle fut la seconde époque de la poésie descriptive.

D'Angleterre elle revint en France, avec les ouvrages de Pope et du chantre des Saisons. Elle eut de la peine à s'y introduire; car elle fut combattue par l'ancien genre italique, que Dorat et quelques autres avaient fait revivre; elle triompha pourtant, et ce fut à Delille et à SaintLambert qu'elle dut la victoire. Elle se perfectionna sous la Muse française, se soumit aux règles du goût, et atteignit sa troisième époque.

Disons toutefois qu'elle s'était maintenue pure, quoique ignorée, dans les ouvrages de quelques naturalistes du temps de Louis XIV, tels que Tournefort et le Père Dutertre. Celui-ci, à une imagination vive, joint un génie tendre et rêveur; il se sert

même, ainsi que La Fontaine, du mot de mélancolie dans le sens où nous l'employons aujourd'hui. Ainsi le siècle de Louis XIV n'a pas été totalement privé du véritable genre descriptif, comme on serait d'abord tenté de le croire: il était seulement relégué dans les lettres de nos missionnaires'. Et c'est là que nous avons puisé cette espèce de style, que nous croyons si nouveau aujourd'hui.

Au reste, les tableaux répandus dans la Bible peuvent servir à prouver doublement que la poésie descriptive est née, parmi nous, du christianisme. Job, les Prophètes, l'Ecclésiastique, et surtout les Psaumes, sont remplis de descriptions magnifiques. Le psaume Benedic, anima mea, est un chef-d'œuvre dans ce genre.

Mon ame, bénis le Seigneur; Seigneur, mon Dieu, que vous êtes grand dans vos œuvres. . . .

Vous répandez les ténèbres, et la nuit est sur la terre:

1. On en verra de beaux exemples lorsque nous parlerons des Missions.

c'est alors que les bêtes des forêts marchent dans l'ombre; que les rugissements des lionceaux appellent la proie, et demandent à Dieu la nourriture promise aux animaux.

Mais le soleil s'est levé, et déjà les bêtes sauvages se sont retirées.

L'homme alors sort pour le travail du jour, et accomplit son œuvre jusqu'au soir.

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Comme elle est vaste, cette mer qui étend au loin ses bras spacieux! des animaux sans nombre se meuvent dans son sein, les plus petits avec les plus grands, et les vaisseaux passent sur ses ondes 1.

Horace et Pindare sont restés bien loin de cette poésie.

Nous avons donc eu raison de dire que c'est au christianisme que Bernardin de Saint-Pierre doit son talent pour peindre les scènes de la solitude: il le lui doit, parce que nos dogmes, en détruisant les divinités mythologiques, ont rendu la vérité et la majesté aux déserts; il le lui doit, parce qu'il a trouvé dans le système de Moïse le véritable système de la nature.

1. Psautier Français, pag. 140, in-8°, traduction de La Harpe.

Mais ici se présente un autre avantage du poète chrétien; si sa religion lui donne une nature solitaire, il peut avoir encore une nature habitée. Il est le maître de placer des anges à la garde des forêts, aux cataractes de l'abîme, ou de leur confier les soleils et les mondes. Ceci nous ramène aux êtres surnaturels ou au merveilleux du christianisme.

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