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nous présente un Homme-Dieu, un Enfant maître des mondes, le créateur de l'univers sortant du sein d'une créature; le christianisme, disons-nous, vu sous ce jour des contrastes, est encore, par excellence, la religion de l'amitié. Ce sentiment se fortifie autant par les oppositions que par les ressemblances. Pour que deux hommes soient parfaits amis, ils doivent s'attirer et se repousser sans cesse par quelque endroit; il faut qu'ils aient des génies d'une même force, mais d'une différente espèce; des opinions opposées, des principes semblables; des haines et des amours diverses, mais au fond la même sensibilité; des humeurs tranchantes, et pourtant des goûts pareils; en un mot, de grands contrastes de caractères et de grandes harmonies du cœur.

Cette chaleur, que la charité répand dans les passions vertueuses, leur donne un caractère divin. Chez les hommes de l'antiquité, l'avenir des sentiments ne pas

sait pas le tombeau, où il venait faire naufrage. Amis, frères, époux, se quittaient aux portes de la mort, et sentaient que leur séparation était éternelle; le comble de la félicité pour les Grecs et pour les Romains, se réduisait à mêler leurs cendres ensemble: mais combien elle devait être douloureuse, une urne qui ne renfermait que des souvenirs! Le polythéisme avait établi l'homme dans les régions du passé; le christianisme l'a placé dans les champs de l'espérance. La jouissance des sentiments honnêtes sur la terre n'est que l'avant-goût des délices dont nous serons comblés. Le principe de nos amitiés n'est point dans ce monde: deux êtres qui s'aiment ici-bas sont seulement dans la route du Ciel, où ils arriveront ensemble, si la vertu les dirige: de manière que cette forte expression des poètes, exhaler son ame dans celle de son ami, est littéralement vraie pour deux chrétiens. En se dépouilcorps, ils ne font que se dé

lant de leurs

gager d'un obstacle qui s'opposait à leur union intime, et leurs ames vont se confondre dans le sein de l'Éternel.

Ne croyons pas toutefois qu'en nous découvrant les bases sur lesquelles reposent les passions, le christianisme ait désenchanté la vie. Loin de flétrir l'imagination, en lui faisant tout toucher et tout connaître, il a répandu le doute et les ombres sur les choses inutiles à nos fins; supérieur en cela à cette imprudente philosophie, qui cherche trop à pénétrer la nature de l'homme et à trouver le fond partout. Il ne faut pas toujours laisser tomber la sonde dans les abîmes du cœur: les vérités qu'il contient sont du nombre de celles qui demandent le demi-jour et la perspective. C'est une imprudence que d'appliquer sans cesse son jugement à la partie aimante de son être, de porter l'esprit raisonneur dans les passions. Cette curiosité conduit peu à peu à douter des choses généreuses; elle dessèche la sensibilité, et tue pour

ainsi dire l'ame: les mystères du cœur sont comme ceux de l'antique Égypte; le profane qui cherchait à les découvrir sans y être initié par la religion, était subitement frappé de mort.

CHAPITRE II.

CE

AMOUR PASSIONNÉ. DIDON.

Ce que nous appelons proprement amour parmi nous, est un sentiment dont l'antiquité a ignoré jusqu'au nom. Ce n'est que dans les siècles modernes qu'on a vu se former ce mélange des sens et de l'ame, cette espèce d'amour, dont l'amitié est la partie morale. C'est encore au christianisme que l'on doit ce sentiment perfectionné; c'est lui qui, tendant sans cesse à épurer le cœur, est parvenu à jeter de la spiritualité jusque dans le penchant qui en paraissait le moins susceptible. Voilà donc un nouveau moyen de situations poétiques, que cette religion si dénigrée a fourni aux auteurs même qui l'insultent: on peut voir, dans une foule de romans, les beautés

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