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sale la peinture d'une forêt et d'un désert qui rappelle les couleurs modernes 1.

Enfin les naturalistes furent aussi sobres que les poètes, et suivirent à peu près la même progression. Ainsi Pline et Columelle, qui vinrent les derniers, se sont plus attachés à décrire la nature qu'Aristote. Parmi les historiens et les philosophes, Xénophon, Tacite, Plutarque, Platon et Pline le jeune se font remarquer par quelques beaux tableaux.

On ne peut guère supposer que des hommes aussi sensibles que les anciens eussent manqué d'yeux pour voir la nature, et de talent pour la peindre, si quelque cause puissante ne les avait aveuglés. Or,

1. Cette description est pleine d'enflure et de mauvais goût; mais il ne s'agit ici que du genre, et non de l'exécution du morceau.

2, Voyez, dans Xénophon, la Retraite des Dix-Mille et le Traité de la Chasse; dans Tacite, la description du Camp abandonné où Varus fut massacré avec ses légions (Annal. liv. I); dans Plutarque, la Vie de Brutus et de Pompée; dans Platon, l'ouverture du Dialogue des lois ; dans Pline, la description de son jardin.

cette cause était la mythologie, qui, peuplant l'univers d'élégants fantômes, ôtait à la création sa gravité, sa grandeur et sa solitude. Il a fallu que le christianisme vînt chasser ce peuple de faunes, de satyres et de nymphes, pour rendre aux grottes leur silence, et aux bois leur rêverie. Les déserts ont pris sous notre culte un caractère plus triste, plus vague, plus sublime; le dôme des forêts s'est exhaussé; les fleuves ont brisé leurs petites urnes, pour ne plus verser que les eaux de l'abîme du sommet des montagnes : le vrai Dieu, en rentrant dans ses œuvres, a donné son immensité à la nature.

Le spectacle de l'univers ne pouvait faire sentir aux Grecs et aux Romains les émotions qu'il porte à notre ame. Au lieu de ce soleil couchant, dont le rayon allongé, tantôt illumine une forêt, tantôt forme une tangente d'or sur l'arc roulant des mers; au lieu de ces accidents de lumière, qui nous retracent chaque matin le miracle de la création, les anciens ne

voyaient partout qu'une uniforme machine d'opéra.

Si le poète s'égarait dans les vallées du Taygète, au bord du Sperchius, sur le Ménale aimé d'Orphée, ou dans les campagnes d'Élore, malgré la douceur de ces dénominations, il ne rencontrait que des faunes, il n'entendait que des dryades: Priape était là sur un tronc d'olivier, et Vertumne avec les Zéphyrs menait des danses éternelles. Des sylvains et des naïades peuvent frapper agréablement l'imagination, pourvu qu'ils ne soient pas sans cesse reproduits; nous ne voulons point

Chasser les Tritons de l'empire des eaux,

Oter à Pan sa flûte, aux Parques leurs ciseaux...

Mais enfin, qu'est-ce que tout cela laisse au fond de l'ame? qu'en résulte-t-il pour le cœur? quel fruit peut en tirer la pensée ? Oh! que le poète chrétien est plus favorisé dans la solitude où Dieu se promène avec lui! Libres de ce troupeau de dieux ridi

cules qui les bornaient de toutes parts, les bois se sont remplis d'une divinité immense. Le don de prophétie et de sagesse, le mystère et la religion semblent résider éternellement dans leurs profondeurs sacrées.

Pénétrez dans ces forêts américaines

aussi vieilles que le monde quel profond silence dans ces retraites, quand les vents reposent! quelles voix inconnues, quand les vents viennent à s'élever! Êtes-vous immobile, tout est muet: faites-vous un pas, tout soupire. La nuit s'approche, les ombres s'épaississent: on entend des troupeaux de bêtes sauvages passer dans les ténèbres; la terre murmure sous vos pas; quelques coups de foudre font mugir les déserts: la forêt s'agite, les arbres tombent, un fleuve inconnu coule devant vous. La lune sort enfin de l'Orient; à mesure que vous passez au pied des arbres, elle semble errer devant vous dans leur cime, et suivre tristement vos yeux. Le voyageur s'assied sur le tronc d'un chêne, pour attendre le jour; il regarde tour à tour l'astre des nuits, les

ténèbres, le fleuve ; il se sent inquiet, agité, et dans l'attente de quelque chose d'inconnu; un plaisir inouï, une crainte extraordinaire, font palpiter son sein, comme s'il allait être admis à quelque secret de la Divinité: il est seul au fond des forêts; mais l'esprit de l'homme remplit aisément les espaces de la nature; et toutes les solitudes de la terre sont moins vastes qu'une seule pensée de son cœur..

Oui, quand l'homme renierait la Divinité, l'être pensant, sans cortège et sans spectateur, serait encore plus auguste au milieu des mondes solitaires, que s'il y paraissait environné des petites déités de la fable; le désert vide aurait encore quelques convenances avec l'étendue de ses idées, la tristesse de ses passions, et le dégoût même d'une vie sans illusion et sans espé

rance.

Il

y

a dans l'homme un instinct qui le met en rapport avec les scènes de la nature. Eh! qui n'a passé des heures entières, assis sur le rivage d'un fleuve, à voir s'écouler

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