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DU MERVEILLEUX, OU DE LA POÉSIE DANS SES RAPPORTS AVEC LES ÊTRES SURNATUrels.

CHAPITRE PREMIER.

QUE LA MYTHOLOGIE RAPETISSAIT LA NATURE; QUE LES ANCIENS N'AVAIENT POINT DE POÉSIE PROPREMENT DITE

DESCRIPTIVE.

Nous avons fait voir, dans les livres précédents, que le christianisme, en se mêlant aux affections de l'ame, a multiplié les ressorts dramatiques. Encore une fois, le polythéisme ne s'occupait point des vices et des vertus; il était totalement séparé de la morale. Or, voilà un côté immense que la religion chrétienne embrasse de plus que l'idolâtrie. Voyons si dans ce qu'on appelle le merveilleux, elle ne le dispute point en beauté à la mythologie même

Nous ne nous dissimulons pas que nous avons à combattre ici un des plus anciens préjugés de l'école. Les autorités sont contre nous, et l'on peut nous citer vingt vers de l'Art poétique qui nous condam

nent:

Et quel objet enfin à présenter aux yeux, etc.
C'est donc bien vainement que nos auteurs déçus, etc.

Quoi qu'il en soit, il n'est pas impossible de soutenir que la mythologie si vantée, loin d'embellir la nature, en détruit les véritables charmes, et nous croyons que plusieurs littérateurs distingués sont à présent de cet avis.

Le plus grand et le premier vice de la mythologie était d'abord de rapetisser ·la nature, et d'en bannir la vérité. Une preuve incontestable de ce fait, c'est que la poésie que nous appelons descriptive a été inconnue de l'antiquité'; les poètes même qui ont chanté la nature, comme Hésiode,

I. Voyez la note 1 à la fin du livre.

Théocrite et Virgile, n'en ont point fait de description, dans le sens que nous attachons à ce mot. Ils nous ont sans doute laissé d'admirables peintures des travaux, des mœurs et du bonheur de la vie rustique; mais, quant à ces tableaux des campagnes, des saisons, des accidents du ciel, qui ont enrichi la muse moderne, on en trouve à peine quelques traits dans leurs

écrits.

Il est vrai que ce peu de traits est excellent comme le reste de leurs ouvrages. Quand Homère a décrit la grotte du Cyclope, il ne l'a pas tapissée de lilas et de roses; il y a planté, comme Théocrite, des lauriers et de longs pins. Dans les jardins d'Alcinous, il fait couler des fontaines et fleurir des arbres utiles; il parle ailleurs de la colline battue des vents et couverte de figuiers, et il représente la fumée des palais de Circé s'élevant au-dessus d'une forêt de chênes.

Virgile a mis la même vérité dans ses

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peintures. Il donne au pin l'épithète d'harmonieux, parce qu'en effet le pin a une sorte de doux gémissement quand il est faiblement agité; les nuages, dans les Géorgiques, sont comparés à des flocons de laine roulés par les vents, et les hirondelles, dans l'Énéide, gazouillent sous le chaume du roi Évandre, ou rasent les portiques des palais. Horace, Tibulle, Properce, Ovide, ont aussi crayonné quelques vues de la nature; mais ce n'est jamais qu'un ombrage favorisé de Morphée, un vallon où Cythérée doit descendre, une fontaine où Bacchus repose dans le sein des Naïades.

L'âge philosophique de l'antiquité ne changea rien à cette manière. L'Olympe, auquel on ne croyait plus, se réfugia chez les poètes ils protégèrent à leur tour les dieux qui les avaient protégés. Stace et Silius Italicus n'ont pas été plus loin qu'Homère et Virgile en poésie descriptive; Lucain seul avait fait quelque progrès dans cette carrière, et l'on trouve dans la Phar

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