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larmes, et qui ne se repose qu'au tombeau. Le monde n'est point l'objet de ses vœux, car il sait que l'homme vit peu de jours, et que cet objet lui échapperait vite.

Les persécutions qu'éprouvèrent les premiers fidèles augmentèrent en eux ce dégoût des choses de la vie. L'invasion des Barbares y mit le comble, et l'esprit humain en reçut une impression de tristesse, et peut-être même une teinte de misanthropie qui ne s'est jamais bien effacée. De toutes parts s'élevèrent des couvents, où se retirèrent des malheureux trompés par le monde, et des ames qui aimaient mieux ignorer certains sentiments de la vie, que de s'exposer à les voir cruellement trahis. Mais, de nos jours, quand les monastères, ou la vertu qui y conduit, ont manqué à ces ames ardentes, elles se sont trouvées étrangères au milieu des hommes. Dégoûtées par leur siècle, effrayées par leur religion, elles sont restées dans le monde, sans se livrer au monde: alors elles sont devenues la proie de mille chimères; alors

on a vu naître cette coupable mélancolie qui s'engendre au milieu des passions, lorsque ces passions, sans objet, se consument d'elles-mêmes dans un cœur solitaire '.

1. Ici se trouvait l'épisode de René, formant le quatrième livre de la seconde partie du Génie du Christianismc. Cet épisode est maintenant placé, avec Atala, dans le tome IX de cette édition des OEuvres complètes.

ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

NOTE UNIQUE, page 39.

Voici quelques fragments que nous avons retenus de mémoire, et qui semblent être échappés à un poète grec, tant ils sont pleins du goût de l'antiquité.

Accours, jeune Chromis, je t'aime, et je suis belle,
Blanche comme Diane, et légère comme elle,

Comme elle grande et fière; et les bergers, le soir,
Lorsque, les yeux baissés, je passe sans les voir,
Doutent si je ne suis qu'une simple mortelle,

Et, me suivant des yeux, disent: Somme elle est belle!
Néère, ne va point te confier aux flots,

De peur d'être déesse, et que les matelots
N'invoquent, au milieu de la tourmente amère,
La blanche Galatée et la blanche Néère.

Une autre idylle, intitulée le Malade, trop longue pour être citée, est pleine des beautés les plus touchantes. Le fragment qui suit est d'un genre différent, par la mélancolie dont il

est empreint on dirait que André Chénier, en le composant, avait un pressentiment de sa destinée.

Souvent las d'être esclave et de boire la lie
De ce calice amer que l'on nomme la vie;
Las du mépris des sots qui suit la pauvreté,
Je regarde la tombe, asile souhaité;

Je souris à la mort volontaire et prochaine;

Je me prie, en pleurant, d'oser rompre ma chaîne.
Le fer libérateur qui percerait mon sein,

Déjà frappe mes yeux et frémit sous ma main.

...

Et puis mon cœur s'écoute et s'ouvre à la faiblesse,
Mes parents, mes amis, l'avenir, ma jeunesse,
Mes écrits imparfaits; car à ses propres yeux
L'homme sait se cacher d'un voile spécieux.
A quelque noir destin qu'elle soit asservie,
D'une étreinte invincible il embrasse la vie,
Et va chercher bien loin, plutôt que de mourir,
Quelque prétexte ami pour vivre et pour souffrir.
Il a souffert, il souffre: aveugle d'espérance,

Il se traîne au tombeau de souffrance en souffrance;
Et la mort, de nos maux ce remède si doux,
Lui semble un nouveau mal, le plus cruel de tous.

Les écrits de ce jeune homme, ses connaissances variées, son courage, sa noble proposition à M. de Målesherbes, ses malheurs et sa

mort, tout sert à répandre le plus vif intérêt sur sa mémoire. Il est remarquable que la France a perdu, sur la fin du dernier siècle, trois beaux talents à leur aurore: Malfilâtre, Gilbert ct André Chénier; les deux premiers sont morts de misère, le troisième a péri sur l'échafaud.

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