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enfants dont on aperçoit le berceau et la tombe, deux fidèles esclaves et deux pieuses maîtresses. Ces honnêtes gens ont un historien digne de leur vie : un vieillard demeuré seul dans la montagne, et qui survit à ce qu'il aima, raconte à un voyageur les malheurs de ses amis, sur les débris de leurs cabanes.

Ajoutons que ces bucoliques australes sont pleines du souvenir des Écritures. Là c'est Ruth, là Séphora, ici Éden et nos premiers pères ces sacrées réminiscences ainsi dire les mœurs du

vieillissent

pour

tableau, en y mêlant les mœurs de l'antique Orient. La messe, les prières, les sacrements, les cérémonies de l'Église, que l'auteur rappelle à tous moments, augmentent aussi les beautés religieuses de l'ouvrage. Le songe de madame de Latour n'est-il essentiellement lié à ce que nos dogmes ont de plus grand et de plus attendrissant? On reconnaît encore le chrétien dans ces préceptes de résignation à la volonté de Dieu, d'obéissance à ses parents,

pas

y

de charité envers les pauvres; en un mot, dans cette douce théologie que respire le poëme de Bernardin de Saint-Pierre. Il a plus; c'est en effet la religion qui détermine la catastrophe: Virginie meurt pour conserver une des premières vertus recommandées par l'Évangile. Il eût été absurde de faire mourir une Grecque pour ne vouloir pas dépouiller ses vêtements. Mais l'amante de Paul est une vierge chrétienne, et le dénouement, ridicule sous une croyance moins pure, devient ici sublime.

Enfin, cette pastorale ne ressemble ni aux idylles de Théocrite, ni aux églogues de Virgile, ni tout-à-fait aux grandes scènes rustiques d'Hésiode, d'Homère et de la Bible: mais elle rappelle quelque chose d'ineffable, comme la parabole du bon Pasteur, et l'on sent qu'il n'y a qu'un chrétien qui ait pu soupirer les évangéliques amours de Paul et de Virginie. On nous fera peut-être une objection: on dira que ce n'est pas le charme emprunté des livres saints qui donne à Ber

nardin de Saint-Pierre la supériorité sur Théocrite, mais son talent pour peindre la nature. Eh bien! nous répondons qu'il doit encore ce talent, ou du moins le développement de ce talent, au christianisme; car cette religion, chassant de petites divinités des bois et des eaux, a seule rendu au poète la liberté de représenter les déserts dans leur majesté primitive. C'est ce que nous essaierons de prouver quand nous traiterons de la Mythologie; à présent nous allons continuer notre examen des passions.

CHAPITRE VIII.

LA RELIGION CHRÉTIENNE CONSIDÉRÉE ELLE-MÊME COMME

PASSION.

NON contente d'augmenter le jeu des passions dans le drame et dans l'épopée, la religion chrétienne est elle-même une sorte de passion qui a ses transports, ses ardeurs, ses soupirs, ses joies, ses larmes, ses amours du monde et du désert. Nous savons que le siècle appelle cela le fanatisme; nous pourrions lui répondre par ces paroles de Rousseau : « Le fanatisme, quoique sanguinaire et cruel1, est pourtant une passion grande et forte, qui élève le cœur de l'homme, et qui lui fait mépriser la mort; qui lui donne un ressort prodigieux, et qu'il ne faut que mieux diriger pour en tirer les plus sub

1. La philosophie l'est-elle moins?

limes vertus; au lieu que l'irréligion, et en général l'esprit raisonneur et philosophique, attache à la vie, effémine, avilit les ames, concentre toutes les passions dans la bassesse de l'intérêt particulier, dans l'abjection du moi humain, et sape ainsi à petit bruit les vrais fondements de toute société car ce que les intérêts particuliers ont de commun est si peu de chose, qu'il ne balancera jamais ce qu'ils ont d'opposé'. »

Mais ce n'est pas encore la question : il ne s'agit à présent que d'effets dramatiques. Or, le christianisme, considéré luimême comme passion, fournit des trésors immenses au poète. Cette passion religieuse est d'autant plus énergique, qu'elle est en contradiction avec toutes les autres, et que, pour subsister, il faut qu'elle les dévore. Comme toutes les grandes affections, elle a quelque chose de sérieux et de triste; elle nous traîne à l'ombre des cloîtres et sur les montagnes. La beauté que le chré

1. Émile, tom. III, pag. 193, liv. iv, note.

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