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découvert les plus belles propriétés du triangle.

Au reste, il n'est peut-être pas difficile de mettre d'accord ceux qui déclament contre les mathématiques et ceux qui les préfèrent à tout. Cette différence d'opinions vient de l'erreur commune, qui confond un grand avec un habile mathématicien. Il y a une géométrie matérielle qui se compose de lignes, de points, d'A+B; avec du temps et de la persévérance, l'esprit le plus médiocre peut y faire des prodiges. C'est alors une espèce de machine géométrique, qui exécute d'elle-même des opérations compliquées, comme la machine arithmétique de Pascal. Dans les sciences, celui qui vient le dernier est toujours le plus instruit : voilà pourquoi tel écolier de nos jours est plus avancé que Newton en mathématiques; voilà pourquoi tel qui passe pour savant aujourd'hui, sera traité d'ignorant par la génération future. Entêtés de leurs calculs, les géomètrès-manoeuvres ont un mépris ridicule pour les arts d'imagination: ils

sourient de pitié quand on leur parle de littérature, de morale, de religion; ils connaissent, disent-ils, la nature. N'aime-t-on pas autant l'ignorance de Platon, qui appelle cette même nature une poésie mysté rieuse?

Heureusement il existe une autre géométrie, une géométrie intellectuelle. C'est celle-là qu'il fallait savoir pour entrer dans l'école des disciples de Socrate; elle voit Dieu derrière le cercle et le triangle, et elle a créé Pascal, Leibnitz, Descartes et Newton. En général les géomètres inventeurs ont été religieux.

Mais on ne peut se dissimuler que cette géométrie des grands hommes ne soit fort rare. Pour un seul génie qui marche par les voies sublimes de la science, combien d'autres se perdent dans ses inextricables sentiers! Observons ici une de ces réactions si communes dans les lois de la Providence: les âges irréligieux conduisent nécessairement aux sciences, et les sciences amènent nécessairement les âges irréligieux.

Lorsque, dans un siècle impie, l'homme vient à méconnaître l'existence de Dieu, comme c'est néanmoins la seule vérité qu'il possède à fond, et qu'il a un besoin impérieux des vérités positives, il cherche à s'en créer de nouvelles, et croit les trouver dans les abstractions des sciences. D'une autre pari, il est naturel que des esprits communs, ou des jeunes gens peu réfléchis, en rencontrant les vérités mathématiques dans l'univers, en les voyant dans le ciel avec Newton, dans la chimie avec Lavoisier, dans les minéraux avec Haüy; il est naturel, disons-nous, qu'ils les prennent pour le principe même des choses, et qu'ils ne voient rien au-delà. Cette simplicité de la nature qui devrait leur faire supposer, comme Aristote, un premier mobile, et comme Platon, un éternel géomètre, ne sert qu'à les égarer: Dieu n'est bientôt plus pour eux que les propriétés des corps; et la chaîne même des nombres leur dérobe la grande Unité.

CHAPITRE II.

CHIMIE ET HISTOIRE NATURELLE.

Ce sont ces excès qui ont donné tant d'avantages aux ennemis des sciences, et qui ont fait naître les éloquentes déclamations de Rousseau et de ses sectateurs. Rien n'est plus admirable, disent-ils, que les découvertes de Spallanzani, de Lavoisier, de Lagrange; mais ce qui perd tout, ce sont les conséquences que des esprits faux prétendent en tirer. Quoi! parce qu'on sera parvenu à démontrer la simplicité des sucs digestifs, ou à déplacer ceux de la génération; parce que la chimie aura augmenté, ou, si l'on veut, diminué le nombre des éléments; parce que la loi de la gravitation sera connue du moindre écolier;

parce qu'un enfant pourra barbouiller des figures de géométrie; parce que tel ou tel écrivain sera un subtil idéologue, il faudra nécessairement en conclure qu'il n'y a ni Dieu, ni véritable religion? quel abus de raisonnement!

Une autre observation a fortifié chez les esprits timides le dégoût des études philosophiques. Ils disent : « Si ces découvertes étaient certaines, invariables, nous pourrions concevoir l'orgueil qu'elles inspirent, non aux hommes estimables qui les ont faites, mais à la foule qui en jouit. Cependant, dans ces sciences appelées positives, l'expérience du jour ne détruit-elle pas l'expérience de la veille? Les erreurs de l'ancienne physique ont leurs partisans et leurs défenseurs. Un bel ouvrage de littérature reste dans tous les temps; les siècles même lui ajoutent un nouveau lustre. Mais les sciences qui ne s'occupent que des propriétés des corps voient vieillir dans un instant leur système le plus fameux. En chimie, par exemple, on pensait avoir une

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