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ignorées. Elle est un peu étrangère sous les toits des hommes; elle aime mieux les forêts, qui sont les palais de son père et son ancienne patrie. C'est là qu'elle élève la voix vers le firmament, au milieu des concerts de la nature : la nature publie sans cesse les louanges du Créateur, et il n'y a rien de plus religieux que les canti ques que chantent, avec les vents, les chênes et les roseaux du désert.

Ainsi le musicien qui veut suivre la religion dans ses rapports, est obligé d'apprendre l'imitation des harmonies de la solitude. Il faut qu'il connaisse les sons que rendent les arbres et les eaux; il faut qu'il ait entendu le bruit du vent dans les cloîtres, et ces murmures qui règnent dans les temples gothiques, dans l'herbe des cimetières, et dans les souterrains des morts.

Le christianisme a inventé l'orgue, et donné des soupirs à l'airain même. Il a sauvé la musique dans les siècles barbares : là où il a placé son trône, là s'est formé un peuple qui chante naturellement comme

les oiseaux. Quand il a civilisé les Sauvages, ce n'a été que par des cantiques; et l'Iroquois qui n'avait point cédé à ses dogmes, a cédé à ses concerts. Religion de paix! vous n'avez pas, comme les autres cultes, dicté aux humains des préceptes de haine et de discorde, vous leur avez seulement enseigné l'amour et l'harmonie.

CHAPITRE II.

DU CHANT GRÉGORIEN.

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Si l'histoire ne prouvait pas que le chant Grégorien est le reste de cette musique antique dont on raconte tant de miracles, il suffirait d'examiner son échelle pour se convaincre de sa haute origine. Avant Gui-Arétin, elle ne s'élevait au-dessus de la quinte, en commençant par l'ut: ut, ré, mi, fa, sol. Ces cinq tons sont la gamme naturelle de la voix, et donnent une phrase musicale pleine et agréable.

pas

M. Burette nous a conservé quelques airs grecs. En les comparant au plainchant, on y reconnaît le même système. La plupart des psaumes sont sublimes de gravité, particulièrement le Dixit Dominus Domino meo, le Confitebor tibi, et le Lau

date, pueri. L'In exitu, arrangé par Rameau, est d'un caractère moins ancien; il est peut-être du temps de l'Ut queant laxis, c'est-à-dire du siècle de Charlemagne.

Le christianisme est sérieux comme l'homme, et son sourire même est grave. Rien n'est beau comme les soupirs que nos maux arrachent à la religion. L'office des morts est un chef-d'œuvre; on croit entendre les sourds retentissements du tombeau. Si l'on en croit une ancienne tradition, le chant qui délivre les morts, comme l'appelle un de nos meilleurs poètes, est celui-là même que l'on chantait aux pomfunèbres des Athéniens, vers le temps de Périclès.

pes

Dans l'office de la Semaine-Sainte, on remarque la Passion de saint Matthieu. Le récitatif de l'historien, les cris de la populace juive, la noblesse des réponses de Jésus, forment un drame pathétique.

Pergolèze a déployé dans le Stabat Mater la richesse de son art; mais a-t-il surpassé le simple chant de l'Église? Il a varié la

musique sur chaque strophe; et pourtant le caractère essentiel de la tristesse consiste dans la répétition du même sentiment, et pour ainsi dire dans la monotonie de la douleur: Diverses raisons peuvent faire couler les larmes; mais les larmes ont toujours une semblable amertume: d'ailleurs, il est rare qu'on pleure à la fois pour une foule de maux; et quand les blessures sont multipliées, il y en a toujours une plus cuisante que les autres, qui finit par absorber les moindres peines. Telle est la raison du charme de nos vieilles romances françaises. Ce chant pareil, qui revient à chaque couplet sur des paroles variées, imite parfaitement la nature : l'homme qui souffre, promène ainsi ses pensées sur différentes images, tandis que le fond de ses chagrins

reste le même.

Pergolèze a donc méconnu cette vérité, qui tient à la théorie des passions, lorsqu'il a voulu que pas un soupir de l'ame ne ressemblat au soupir qui l'avait précédé. Partout où il y a variété, il y a distraction,

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