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t-il? Quel est celui qui parle, et à qui la parole est-elle adressée? Le mouvement suit le mouvement, et chaque verset s'étonne du verset qui l'a précédé. La ville n'est plus un assemblage d'édifices, c'est une femme, ou plutôt un personnage mystérieux, car son sexe n'est pas désigné. Il monte sur les toits pour gémir; le prophète, partageant son désordre, lui dit au singulier, pourquoi montes-tu, et il ajoute en foule, collectif. « Il vous jettera comme une balle dans un champ spacieux, et c'est à quoi se réduira le char de votre gloire : » voilà des alliances de mots et une poésie bien extraordinaires.

Homère a mille façons sublimes de peindre une mort violente; mais l'Écriture les a toutes surpassées par ce seul mot : « Le premier-né de la mort dévorera sa beauté. »

Le premier-né de la mort, pour dire la mort la plus affreuse, est une de ces figures qu'on ne trouve que dans la Bible. On ne sait pas où l'esprit humain a été chercher

cela; les routes pour arriver à ce sublime sont inconnues'.

C'est ainsi que l'Écriture appelle encore la mort, le roi des épouvantements; c'est ainsi qu'elle dit, en parlant du méchant : « Il a conçu la douleur et enfanté l'iniquité'. »

Quand le même Job veut relever la grandeur de Dieu, il s'écrie: L'enfer est nu devant ses yeux * : — c'est lui qui lie les

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'eaux dans les nuées

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il óte le baudrier aux rois, et ceint leurs reins d'une corde.

Le divin Théoclymène, au festin de Pénélope, est frappé des présages sinistres qui les menacent.

1. Job, chap. XVIII, v. 13. Nous avons suivi le sens de l'hébreu avec la Polyglotte de Ximenès, les versions de Sanctes Pagnin, d'Arius Montanus, etc. La Vulgate porte, la mort ainée, primogenita mors.

2. Id., chap. xv, v. 35.
3. Id., chap. xxvi, v. 6.
4. Id. chap. xvi, V. 12.
5. Id. chap. XII, v. 18.

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5Α δειλοί, etc. 1.

Ah, malheureux ! que vous est-il arrivé de funeste! quelles ténèbres sont répandues sur vos têtes, sur votre visage et autour de vos genoux débiles! - Un hurlement se fait entendre, vos joues sont couvertes de pleurs. Les murs, les lambris sont teints de sang; cette salle, ce vestibule sont pleins de larves qui descendent dans l'Érèbe, à travers l'ombre. Le soleil s'évanouit dans le ciel, et la nuit des enfers se lève.

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Tout formidable que soit ce sublime, il le cède encore à la vision du livre de Job.

« Dans l'horreur d'une vision de nuit, lorsque le sommeil endort le plus profondément les hommes,

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Je fus saisi de crainte et de tremblement, et la frayeur pénétra jusqu'à mes os.

« Un esprit passa devant ma face, et le poil de ma chair se hérissa d'horreur.

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Je vis celui dont je ne connaissais point le visage. Un spectre parut devant mes yeux, et j'entendis une voix comme un petit souffle ».

1. Odyss., liv. xx, vers 351-57.

2. Job, chap. iv, v. 13, 14, 15, 16. Les mots en italique indiquent les endroits où nous différons de Sacy. Il traduit: Un esprit vint se présenter devant moi, et les cheveux m'en dressèrent à la téte. On voit combien l'hébreu est plus énergique.

III.

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Il y a là beaucoup moins de sang, de ténèbres, de larves que dans Homère; mais ce visage inconnu et ce petit souffle sont en effet beaucoup plus terribles.

Quant à ce sublime, qui résulte du choc d'une grande pensée et d'une petite image, nous allons en voir un bel exemple en parlant des comparaisons.

Si le chantre d'Ilion peint un jeune homme abattu par la lance de Ménélas, il le compare à un jeune olivier couvert de fleurs, planté dans un verger loin des feux du soleil, parmi la rosée et les zéphyrs; tout à coup un vent impétueux le renverse sur le sol natal, et il tombe au bord des eaux nourricières qui portaient la sève à ses racines. Voilà la longue comparaison homérique avec ces détails charmants :

Καλόν, τηλεθάον, τὸ δέ τε πνοιαὶ δονέουσι
Παντοίων ανέμων, καί τε βρύει ἄνθεί λευκῷ Ι.

On croit entendre les soupirs du vent

1. Iliade, liv. xvII, vers 55-56.

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dans la tige du jeune olivier. Quam flatus motant omnium ventorum.

La Bible, pour tout cela, n'a qu'un trait : « L'impie, dit-elle, se flétrira comme la vigne tendre, comme l'olivier qui laisse tomber sa fleur »

«Laterre, s'écrie Isaïe, chancellera comme un homme ivre: elle sera transportée comme une tente dressée pour une nuit 2.

Voilà le sublime en contraste. Sur la phrase elle sera transportée, l'esprit demeure suspendu, et attend quelque grande comparaison, lorsque le prophète ajoute, comme une tente dressée pour une nuit. On voit la terre, qui nous paraît si vaste, déployée dans les airs comme un petit pavillon, ensuite emportée avec aisance par le Dieu fort qui l'a tendue, et pour qui la durée des siècles est à peine comme une nuit rapide...

La seconde espèce de comparaison, que nous avons attribuée à la Bible, c'est-à-dire

1. Job, chap. xv, v. 33.

2. Is., chap. xxIV, V. 20.

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