sibles autour d'eux. Ce toit, ce foyer hospitalier, où naguère elle accueillit l'ingrat, sont donc les vrais dieux pour Didon. Ensuite, avec l'adresse d'une femme, et d'une femme amoureuse, elle rappelle tour à tour le souvenir de Pygmalion et celui de Iarbe, afin de réveiller ou la générosité, ou la jalousie du héros troyen. Bientôt, pour dernier trait de passion et de misère, la superbe souveraine de Carthage va jusqu'à souhaiter qu'un petit Énée, parvulus Æneas1, reste au moins auprès d'elle pour consoler sa douleur, même en portant témoignage à sa honte. Elle s'imagine que tant de larmes, tant d'imprécations, tant de prières, sont des raisons auxquelles Énée ne pourra résister: dans ces moments de folie, les passions, incapables de plaider leur cause avec succès, croient faire usage de tous leurs moyens, lorsqu'elles ne font entendre que tous leurs accents. r. Æneid. lib. IV, vers 328 et 329. Le vieux Loïs des Masures, Tournisien, qui nous a laissé les quatre premiers livres de l'Énéide en carmes françois, a traduit ainsi çe morceau: Si d'un petit Énée, Avec ses yeux, m'étoit faveur donnée, ou, comme traduit l'abbé Delille : Encor si quelque enfant, doux fruit de notre amour, CHAPITRE III. SUITE DU PRÉCÉDENT. LA PHÈDRE DE RACINE. Nous pourrions nous contenter d'opposer à Didon la Phèdre de Racine, plus passionnée que la reine de Carthage : elle n'est en effet qu'une épouse chrétienne. La crainte des flammes vengeresses et de l'éternité formidable de notre Enfer, perce à travers le rôle de cette femme criminelle', et surtout dans la scène de la jalcasie, qui, comme on le sait, est de l'invention du poète moderne. L'inceste n'était pas une chose si rare et si monstrueuse chez les anciens, pour exciter de pareilles frayeurs dans le cœur du coupable. Sophocle fait mourir Jocaste, il est vrai, au moment où elle apprend son crime, mais Euripide la fait vivre long-temps après. Si nous en croyons Tertullien, les malheurs d'OEdipe1 n'excitaient chez les Macédoniens que les plaisanteries des spectateurs. Virgile ne place pas Phèdre aux Enfers, mais seulement dans ces bocages de myrtes, dans ces champs des pleurs, lugentes campi, où vont errant ces amantes, qui, même dans la mort, n'ont pas perdu leurs soucis. 1. Cette crainte du Tartare est faiblement indiquée dans Euripide. .... Curæ non ipsâ in morte relinquunt 2. Aussi la Phèdre d'Euripide, comme celle de Sénèque, craint-elle plus Thésée que le Tartare. Ni l'une ni l'autre ne parle comme la Phèdre de Racine: Moi jalouse! et Thésée est celui que j'implore! 1. Tertull. Apolog. 2. Æneid. lib. vi, vers 444. Je respire à la fois l'inceste et l'imposture; Cet incomparable morceau offre une gradation de sentiments, une science de la tristesse, des angoisses et des transports de l'ame, que les anciens n'ont jamais connues. Chez eux, on trouve pour ainsi dire |