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sola sub nocte per umbram; puis tout à coup vous entrez dans des espaces déserts, dans les royaumes du vide; Perque domos Ditis vacuas et inania regna. Viennent ensuite des syllabes sourdes et pesantes, qui rendent admirablement les pénibles soupirs des enfers. Tristisque Senectus, et Metus.

Lethumque Laborque; consonnances qui prouvent que les anciens n'ignoraient pas l'espèce de beauté attachée à la rime. Les Latins, ainsi que les Grecs, employaient la répétition des sons dans les peintures pastorales, et dans les harmonies tristes.

Le Dante, comme Énée, erre d'abord dans une forêt qui cache l'entrée de son enfer; rien n'est plus effrayant que cette solitude. Bientôt il arrive à la porte, où se lit la fameuse inscription:

Per me si và nelle città dolente,
Per me si và nell' eterno dolore:
Per me si và trà la perduta gente.

Lasciate ogni speranza, voi ch' entrate.

L'Inferno, canto 111.

Voilà précisément la même sorte de beautés que dans le poète latin. Toute oreille sera frappée de la cadence monotone de ces rimes redoublées, où semble retentir et expirer cet éternel cri de douleur qui remonte du fond de l'abîme. Dans les trois per me si và, on croit entendre le glas de l'agonie du chrétien. Le lasciate ogni speranza est comparable au plus grand trait de l'enfer de Virgile.

Milton, à l'exemple du poète de Mantoue, a placé la Mort à l'entrée de son enfer (Lethum), et le Péché, qui n'est que le mala mentis gaudia, les joies coupables du cœur. Il décrit ainsi la première:

The other shape, etc.

« L'autre forme, si on peut appeler de ce nom ce qui n'avait point de formes, se tenait debout à la porte. Elle était sombre comme la nuit, hagarde comme dix furies; sa main brandissait un dard affreux; et, sur cette partie qui semblait sa tête, elle portait l'apparence d'une cou

ronne. »

Jamais fantôme n'a été représenté d'une manière plus vague et plus terrible. L'ori

gine de la Mort, racontée par le Péché, la manière dont les échos de l'enfer répètent le nom redoutable, lorsqu'il est prononcé pour la première fois, tout cela est une sorte de noir sublime, inconnu de l'antiquité '.

En avançant dans les enfers, nous suivrons Énée au champ des larmes, lugentes campi. Il y rencontre la malheureuse Didon;

1. M. Harris, dans son Hermès, a remarqué que le genre masculin, attribué à la mort par Milton, forme ici une grande beauté. S'il avait dit shook her dart, au lieu de shook his dart, une partie du sublime disparaissait. La mort est aussi du genre masculin en grec, ávaros. Racine même la fait de ce genre dans notre langue,

La mort est le seul Dieu que j'osais implorer.

Que penser maintenant de la critique de Voltaire, qui n'a pas su, ou qui a feint d'ignorer que la mort, death en anglais, pouvait être à volonté du genre masculin, féminin ou neutre? car on lui peut appliquer également les trois pronoms, her, his et its. Voltaire n'est pas plus heureux sur le mot sin, péché, dont le genre féminin le scandalise. Pourquoi ne se fâchait-il pas aussi contre ces vaisseaux, ships, man of war, qui sont (ainsi qu'en latin et en vieux français) si bizarrement du genre féminin? En général,

il l'aperçoit dans les ombres d'une forêt, comme on voit, ou comme on croit voir la

lune nouvelle se lever à travers les

Qualem primo qui surgere mense

nuages.

Aut videt, aut vidisse putat, per nubila lunam.

Ce morceau est d'un goût exquis; mais le Dante est peut-être aussi touchant dans la peinture des campagnes des pleurs. Virgile a placé les amants au milieu des bois de myrtes et dans des allées solitaires; le Dante a jeté les siens dans un air vague et parmi des tempêtes qui les entraînent éternellement l'un a donné pour punition à l'amour ses propres rêveries, l'autre en a cherché le supplice dans l'image des désordres que cette passion fait naître. Le Dante

tout ce qui a étendue, capacité (c'est la remarque de M. Harris); tout ce qui est de nature à contenir se met en anglais au féminin, et cela par une logique simple, et même touchante, car elle découle de la maternité; tout ce qui implique faiblesse ou séduction suit la même, loi. De là Milton a pu et dû, en personnifiant le péché, le faire du genre féminin.

arrête un couple malheureux au milieu d'un tourbillon; Françoise de Rimini, interrogée par le poète, lui raconte ses malheurs et

son amour.

Noi leggevamo, etc.

Nous lisions un jour, dans un doux loisir, comment l'amour vainquit Lancelot. J'étais seule avec mon amant, et nous étions sans défiance: plus d'une fois nos visages pålirent, et nos yeux troublés se rencontrèrent; mais un seul instant nous perdit tous deux. Lorsqu'enfin l'heureux Lancelot cueille le baiser désiré, alors celui qui ne me sera plus ravi colla sur ma bouche ses lèvres tremblantes, et nous laissâmes échapper le livre par qui nous fut révélé le mystère de l'amour 1»

Quelle simplicité admirable dans le récit de Françoise, quelle délicatesse dans le trait qui le termine! Virgile n'est pas plus chaste dans le quatrième livre de l'Enéide,

I Nous empruntons la traduction de Rivarol. Si toutefois nous osions proposer nos doutes, peut-être que ce tour élégant, nous laissámes échapper le livre par qui nous fut révélé le mystère de l'amour, ne rend pas tout-à-fait la naïveté de ce vers:

Quel giorno più non vi leggemmo avante.

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