Page images
PDF
EPUB

montant du fond du chaos jusqu'aux frontières de la nature? Il y a même dans l'original un effet singulier que nous n'avons pu rendre, et qui tient, pour ainsi dire, au défaut général du morceau: les longueurs que nous avons retranchées semblent allonger la course du prince des ténèbres, et donner au lecteur un sentiment vague de cet infini au travers duquel il a passé.

CHAPITRE XIII.

L'ENFER CHRÉTIEN.

ENTRE plusieurs différences qui distinguent l'enfer chrétien du Tartare, une surtout est remarquable: ce sont les tourments qu'éprouvent eux-mêmes les démons. Pluton, les Juges, les Parques et les Furies ne souffraient point avec les coupables. Les douleurs de nos puissances infernales sont donc un moyen de plus pour l'imagination, et conséquemment un avantage poétique de notre enfer sur l'enfer des anciens.

Dans les champs Cimmériens de l'Odyssée, le vague des lieux, les ténèbres, l'incohérence des objets, la fosse où les ombres viennent boire le sang, donnent au tableau quelque chose de formidable, et qui peutêtre ressemble plus à l'enfer chrétien que

[ocr errors]

le Ténare de Virgile. Dans celui-ci, l'on remarque les progrès des dogmes philosophiques de la Grèce, Les Parques, le Cocyte, le Styx, se retrouvent dans les ouvrages de Platon. Là commence une distribution de châtiments et de récompenses inconnue à Homère. Nous avons déjà fait remarquer que le malheur, l'indigence et la faiblesse étaient, après le trépas, relégués, par les paiens, dans un monde aussi pénible que celui-ci. La religion de Jésus-Christ n'a point ainsi sevré nos ames. Nous savons qu'au sortir de ce monde de tribulations, nous autres misérables, nous trouverons un lieu de repos, et si nous avons eu soif de la justice dans le temps, nous en serons rassasiés dans l'éternité. Sitiunt justitiam... ipsi saturabuntur*.

1. Première partie, sixième livre,

2. L'injustice des dogmes infernaux était si manifeste chez les anciens, que Virgile même n'a pu s'empêcher de la remarquer.

Sortemque animo miseratus iniquam.

EN. lib. vi, v. 332.

Si la philosophie est satisfaite, il ne nous sera pas très-difficile peut-être de convaincre les Muses. A la vérité, nous n'avons point d'enfer chrétien traité d'une manière irréprochable. Ni le Dante, ni le Tasse, ni Milton, ne sont parfaits dans la peinture des lieux de douleur. Cependant quelques morceaux excellents, échappés à ces grands maîtres, prouvent que si toutes les parties du tableau avaient été retouchées avec le même soin, nous posséderions des enfers aussi poétiques que ceux d'Homère et de Virgile.

CHAPITRE XIV.

PARALLÈLE DE L'ENFER ET DU TARTARE.

ENTRÉE DE

L'AVERNE. PORTE DE L'ENFER DU DANTE, DIDON. FRAN-
COISE DE RIMINI. TOURMENTS DES COUPABLES.

L'ENTRÉE de l'Averne, dans le sixième livre de l'Énéide, offre des vers d'un travail achevé.

Ibant obscuri solà sub nocte per umbram,
Perque domos Ditis vacuas et inauia regna.

Pallentesque habitant Morbi, tristisque Senectus,
Et Metus, et malesuada Fames, et turpis Egestas,
Terribiles visu formæ; Lethumque Laborque,
Tùm consanguineus Lethi Sopor, et mala mentis
Gaudia...
(Lib. vi, v. 268 et seq.)

Il suffit de savoir lire le latin, pour être frappé de l'harmonie lugubre de ces vers. Vous entendez d'abord mugir la caverne où marchent la Sibylle et Énée: Ibant obscuri

« PreviousContinue »