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les vers des deux poètes: toutefois la poésie de Racine nous semble plus belle. Tel Hector paraît au premier moment devant Énée, tel il se montre à la fin mais la pompe, mais l'éclat emprunté de Jésabel,

Pour réparer des ans l'irréparable outrage,

suivi tout à coup, non d'une forme entière, mais

De lambeaux affreux

Que des chiens dévorants se disputaient eutre eux,

est une sorte de changement d'état, de péripétie, qui donne au songe de Racine une beauté qui manque à celui de Virgile. Enfin, cette ombre d'une mère qui se baisse vers le lit de sa fille, comme pour s'y cacher, et qui se transforme tout à coup en os et en chairs meurtris, est une de ces beautés vagues, de ces circonstances effrayantes de la vraie nature du fantôme.

CHAPITRE XII.

SUITE DES Machines poétiqQUES.

VOYAGES DES DIEUX

HOMÉRIQUES. SATAN ALLANT A LA DÉCOUVERTE DE LA CRÉATION.

Nous touchons à la dernière des machines poétiques, c'est-à-dire aux voyages des êtres surnaturels. C'est une des parties du merveilleux dans laquelle Homère s'est montré le plus sublime. Tantôt il raconte que le char du dieu vole comme la pensée d'un voyageur qui se rappelle, en un instant, les lieux qu'il a parcourus ; tantôt il dit:

Autant qu'un homme assis au rivage des mers
Voit, d'un roc élevé, d'espace dans les airs,
Autant des Immortels les coursiers intrépides
En franchissent d'un saut '.

1. Boileau, dans Longin, chap. VII. Iliade ▼, vers 770.

Quoi qu'il en soit du génie d'Homère et de la majesté de ses dieux, son merveilleux et sa grandeur vont encore s'éclipser devant le merveilleux du christianisme.

Satan arrivé aux portes de l'enfer, que le péché et la mort lui ont ouvertes, se prépare à aller à la découverte de la créa

tion.

Like a furnase mouth '.

The sudden view

Of all this world at once.

Les portes de l'enfer s'ouvrent... vomissant, comme la bouche d'une fournaise, des flocons de fumée et des flammes rouges. Soudain, aux regards de Satan se dévoilent les secrets de l'antique abîme; océan sombre et sans bornes, où les temps, les dimensions et les lieux viennent se perdre, où l'ancienne Nuit et le Chaos, aïeux de la nature, maintiennent une éternelle anarchie, au milieu d'une éternelle guerre, et règnent par la confusion. Satan, arrêté sur le seuil de l'enfer, regarde dans le vaste gouffre, berceau et peut-être tombeau de la nature; il pèse en luimême les dangers du voyage. Bientôt, déployant ses ailes, et repoussant du pied le seuil fatal, il s'élève dans des tour

1. Parad. Lost. Book II, v. 888-1050; Book III, v. 501-544. Des vers passés çà et là.

billons de fumée. Porté sur ce siège nébuleux, long-temps il monte avec audace; mais la vapeur, graduellement dissipée, l'abandonne au milieu du vide. Surpris, il redouble en vain le mouvement de ses ailes, et comme un poids mort, il tombe.

L'instant où je chante verrait encore sa chute, si l'explosion d'un nuage tumultueux rempli de soufre et de flamme, ne l'eût élancé à des hauteurs égales aux profondeurs où il était descendu. Jeté sur des terres molles et tremblantes, à travers les éléments épais ou subtils,... il marche, il vole, il nage, il rampe. A l'aide de ses bras, de ses pieds, de ses ailes, il franchit les syrtes, les détroits, les montagnes. Enfin une universelle rumeur, des voix et des sons confus viennent avec violence assaillir son oreille. Il tourne aussitôt son vol de ce côté, résolu d'aborder l'Es. prit inconnu de l'abîme, qui réside dans ce bruit, et d'apprendre de lui le chemin de la lumière.

Bientôt il aperçoit le trône du Chaos, dont le sombre pavillon s'étend au loin sur le gouffre immense. La Nuit, revêtue d'une robe noire, est assise à ses côtés: fille aînée des Êtres, elle est l'épouse du Chaos. Le Hasard, le Tumulte, la Confusion, la Discorde aux mille bouches, sont les ministres de ces divinités ténébreuses. Satan paraît devant eux sans crainte.

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Esprits de l'abime, » leur dit-il, « Chaos, et vous antique Nuit, je ne viens point pour épier les secrets de vos royaumes... Apprenez-moi le chemin de la lumière, etc.»

Le vieux Chaos répond en mugissant: « Je te connais, ô étranger!... Un monde nouveau pend au-dessus de mon empire, du côté où tes légions tombèrent. Vole, et hâte

toi d'accomplir tes desseins. Ravages, dépouilles, ruines, vous êtes les espérances du Chaos! »

Il dit; Satan plein de joie... s'élève avec une nouvelle vigueur; il perce, comme une pyramide de feu, l'atmosphère ténébreuse... Enfin l'influence sacrée de la lumière commence à se faire sentir. Parti des murailles du ciel, un rayon pousse au loin, dans le sein des ombres, une douteuse et tremblante aurore: ici la nature commence, et le chaos se retire. Guidé par ces mobiles blancheurs, Satan, comme un vaisseau long-temps battu de la tempête, reconnaît le port avec joie, et glisse plus doucement sur les vagues calmées. A mesure qu'il avance vers le jour, l'em. pyrée, avec ses tours d'opale et ses portes de vivants saphirs, se découvre à sa vue.

Enfin, il aperçoit au loin une haute structure, dont les marches magnifiques s'élèvent jusqu'aux remparts du ciel... Perpendiculairement au pied des degrés mystiques, s'ouvre un passage vers la terre... Satan s'élance sur la dernière marche, et plongeant tout à coup ses regards dans les profondeurs au-dessous de lui, il découvre, avec un immense étonnement, tout l'univers à la fois.

Pour tout homme impartial, une religion qui a fourni un tel merveilleux, et qui de plus a donné l'idée des amours d'Adam et d'Eve, n'est pas une religion anti-poétique. Qu'est-ce que Junon allant aux bornes de la terre en Éthiopie, auprès de Satan re

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