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briel, pour le conduire vers le Très-Haut. L'Éternel le nomme Elu, et le ciel Eloa. Plus parfait que tous les êtres créés, il occupe la première place près de l'Être infini. Une de ses pensées est belle comme l'ame entière de l'homme, lorsque, digne de son immortalité, elle médite profondément. Son regard est plus beau que le matin d'un printemps, plus doux. que la clarté des étoiles, lorsque, brillantes de jeunesse, elles se balancèrent près du trône céleste avec tous leurs flots de lumière. Dieu le créa le premier. Il puisa dans une gloire céleste son corps aérien. Lorsqu'il naquit, tout un ciel de nuages flottait autour de lui; Dieu lui-même le souleva dans ses bras, et lui dit en le bénissant: Créature, me voici. »..

Raphaël est l'ange extérieur; Éloa l'ange intérieur: les Mercure et les Apollon de la mythologie nous semblent moins divins que ces Génies du christianisme.

Plusieurs fois les dieux en viennent aux mains dans Homère; mais, comme nous l'avons déjà remarqué, on ne trouve rien dans l'Iliade qui soit supérieur au combat que Satan s'apprête à livrer à Michel dans le Paradis terrestre, ni à la déroute des légions foudroyées par Emmanuel : plusieurs fois les divinités païennes sauvent leurs héros favoris en les couvrant d'une nuée;

mais cette machine a été très-heureusement transportée par le Tasse à la poésie chrétienne, lorsqu'il introduit Soliman dans Jérusalem. Ce char enveloppé de vapeurs, ce voyage invisible d'un enchanteur et d'un héros au travers du camp des chrétiens, cette porte secrète d'Hérode, ces souvenirs des temps antiques jetés au milieu d'une narration rapide, ce guerrier qui assiste à un Conseil sans être vu, et qui se montre seulement pour déterminer Solyme aux combats, tout ce merveilleux, quoique du genre magique, est d'une excellence singulière.

On objectera peut-être qu'au moins dans les peintures voluptueuses le paganisme doit avoir la préférence. Et que feronsnous donc d'Armide? Dirons-nous qu'elle est sans charmes, lorsque, penchée sur le front de Renaud endormi, le poignard échappe à sa main, et que sa haine se change en amour? Préférerons-nous Ascagne, caché par Vénus dans les bois de Cythère, au jeune héros du Tasse enchaîné

avec des fleurs, et transporté sur un nuage aux Iles Fortunées? ces jardins, dont le seul défaut est d'être trop enchantés; ces amours, qui ne manquent que d'un voile, ne sont pas assurément des tableaux si sévères. On retrouve dans cet épisode jusqu'à la ceinture de Vénus, tant et si justement regrettée. Au surplus, si des critiques chagrins voulaient absolument bannir la magie, les anges de ténèbres pourraient exécuter eux-mêmes ce qu'Armide fait par leur moyen. On y est autorisé l'hispar toire de quelques-uns de nos saints, et le démon des voluptés a toujours été regardé comme un des plus dangereux et des plus puissants de l'abîme.

CHAPITRE XI.

SUITE DES MACHINES POÉTIQUES.

SONGE D'ÉNÉE, SONGE

D'ATHALIE,

IL ne nous reste plus qu'à parler de deux machines poétiques : les voyages des dieux et les songes.

En commençant par les derniers, nous choisirons le songe d'Énée dans la nuit fatale de Troie; le héros le raconte lui-même à Didon:

Tempus erat, etc.

C'était l'heure où du jour adoucissant les peines,
Le sommeil, grace aux dieux, se glisse dans nos veines;
Tout à coup, le front pâle et chargé de douleurs,
Hector, près de mon lit, a paru tout en pleurs,
Et tel qu'après son char la victoire inhumaine,
Noir de poudre et de sang, le traîna sur l'arène.
Je vois ses pieds encore et meurtris et percés
Des indignes liens qui les ont traversés.

Hélas! qu'en cet état de lui-même il diffère !
Ce n'est plus cet Hector, ce guerrier tutélaire,
Qui des armes d'Achille orgueilleux ravisseur,
Dans les murs paternels revenait en vainqueur,
Ou courant assiéger les vingt rois de la Grèce,
Lançait sur leurs vaisseaux la flamme vengeresse.
Combien il est changé! le sang de toutes parts
Souillait sa barbe épaisse et ses cheveux épars;
Et son sein étalait à ma vue attendrie

Tous les coups qu'il reçut autour de sa patrie.
Moi-même il me semblait qu'au plus grand des héros,
L'œil de larmes noyé, je parlais en ces mots :

"O des enfants d'Ilus la gloire et l'espérance!
Quels lieux ont si long-temps prolongé ton absence?
Oh, qu'on t'a souhaité! mais pour nous secourir,
Est-ce ainsi qu'à nos yeux Hector devait s'offrir,
Quand à ses longs travaux Troie entière succombe!
Quand presque tous les tiens sont plongés dans la tombe!
Pourquoi ce sombre aspect, ces traits défigurés,
Ces blessures sans nombre, et ces flancs déchirés? »

Hector ne répond point; mais du fond de son ame, Tirant un long soupir: « Fuis les Grecs et la flamme, Fils de Vénus,» dit-ii, « le destin t'a vaincu;

Fuis, hâte-toi, Priam et Pergame ont vécu. Jusqu'en leurs fondements nos murs vont disparaître, Ce bras nous eût sauvés si nous avions pu l'être. Gher Énée! ah, du moins, dans ses derniers adieux, Pergame à ton amour recommande ses dieux!

Porte au-delà des mers leur image chérie,

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