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férieur ! je serais encore heureux, mon ambition n'eût point été nourrie par une espérance illimitée... Misérable! où fuir une colère infinie, un désespoir infini ? L'enfer est partout où je suis, moi-même je suis l'enfer... O Dieu, ralentis tes coups! N'est-il aucune voie laissée au repentir, aucune à la miséricorde, hors l'obéissance? L'obéissance! l'orgueil me défend ce mot. Quelle honte pour moi devant les esprits de l'abîme! Ce n'était pas par des promesses de soumission que je les séduisis, lorsque j'osai me vanter de subjuguer le Tout-Puissant. Ah! tandis qu'ils m'adorent sur le trône des enfers, ils savent peu combien je paie cher ces paroles superbes, combien je gémis intérieurement sous le fardeau de mes douleurs!... Mais si je me repentais, si, par un acte de la grace divine, je remontais à ma première place?... Un rang élevé rappellerait bientôt des pensées ambitieuses; les serments d'une feinte soumission seraient bientôt démentis! Le tyran le sait; il est aussi loin de m'accorder la paix que je suis loin de demander grace. Adieu donc, espérance, et avec toi, adieu crainte et remords; tout est perdu pour moi. Mal, sois mon unique bien! Par toi, du moins, avec le roi du ciel je partagerai l'empire: peut-être même régnerai-je sur plus d'une moitié de l'unicomme l'homme et ce monde nouveau l'apprendront de temps

vers,

en peu

Quelle que soit notre admiration pour Homère, nous sommes obligé de convenir qu'il n'a rien de comparable à ce passage

I. . Parad. Lost. Book IV. From. the 33th, v. to the 113th.

de Milton. Lorsque, avec la grandeur du sujet, la beauté de la poésie, l'élévation naturelle des personnages, on montre une connaissance aussi profonde des passions, il ne faut rien demander de plus au génie. Satan se repentant à la vue de la lumière qu'il hait, parce qu'elle lui rappelle combien il fut élevé au-dessus d'elle, souhaitant ensuite d'avoir été créé dans un rang inférieur, puis s'endurcissant dans le crime par orgueil, par honte, par méfiance même de son caractère ambitieux; enfin, pour tout fruit de ses réflexions, et comme pour expier un moment de remords, se chargeant de l'empire du mal pendant toute une éternité: voilà, certes, si nous ne nous trompons, une des conceptions les plus sublimes et les plus pathétiques qui soient jamais sorties du cerveau d'un poète.

Nous sommes frappé dans ce moment d'une idée que nous ne pouvons taire. Quiconque a quelque critique et un bon sens pour l'histoire, pourra reconnaître que Milton a fait entrer dans le caractère

de son Satan les perversités de ces hommes qui, vers le commencement du dix-septième siècle, couvrirent l'Angleterre de deuil : on y sent la même obstination, le même enthousiasme, le même orgueil, le même esprit de rébellion et d'indépendance; on retrouve dans le monarque infernal ces fameux niveleurs qui, se séparant de la religion de leur pays, avaient secoué le joug de tout gouvernement légitime, et s'étaient révoltés à la fois contre Dieu et contre les hommes. Milton lui-même avait partagé cet esprit de perdition; et, pour imaginer un Satan aussi détestable, il fallait que le poète en eût vu l'image dans ces réprouvés, qui firent si long-temps de leur patrie le vrai séjour des démons.

CHAPITRE X.

MACHINES POÉTIQUES. —VÉNUS DANS LE bois de carthage, RAPHAEL AU berceau d'éden.

VENONS aux exemples des machines poétiques. Vénus, se montrant à Énée dans les bois de Carthage, est un morceau achevé dans le genre gracieux. Cui mater media, etc. « A travers la forêt, sa mère, << suivant le même sentier, s'avance au-de<< vant de lui. Elle avait l'air et le visage << d'une vierge, et elle était armée à la ma<< nière des filles de Sparte, etc. etc. >>

Cette poésie est délicieuse; mais le chantre d'Éden en a beaucoup approché lorsqu'il a peint l'arrivée de l'ange Raphaël au bocage de nos premiers pères.

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Pour ombrager ses formes divines, le Séraphin porte six ailes. Deux, attachées à ses épaules, sont ramenées sur

son sein, comme les pans d'un manteau royal; celles du milieu se roulent autour de lui comme une écharpe étoilée... Les deux dernières, teintes d'azur, battent à ses talons rapides. Il secoue ses plumes, qui répandent des odeurs célestes.

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« Il s'avance dans le jardin du bonheur, au travers des bocages de myrtes et des nuages de nard et d'encens; solitudes de parfums, où la nature, dans sa jeunesse, se livre à tous ses caprices... Adam, assis à la porte de son bercea, aperçut le divin messager. Aussitôt il s'écrie : « Ève, accours! « viens voir ce qui est digne de ton admiration! Regarde << vers l'orient, parmi ces arbres. Aperçois-tu cette forme «< glorieuse, qui semble se diriger vers notre berceau? On « la prendrait pour une autre aurore qui se lève au milieu du jour..... »

«

Ici Milton, presque aussi gracieux que Virgile, l'emporte sur lui par la sainteté et la grandeur. Raphaël est plus beau que Vénus, Éden plus enchanté que les bois de Carthage, et Énée est un froid et triste personnage auprès du majestueux Adam. Voici un ange mystique de Klopstock :

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