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chant radieux. On passe alors de la grandeur à la douceur des images: sous l'ombrage des forêts, on parcourt l'empire de l'Ange ae la solitude; on retrouve dans la clarté de la lune le Génie des réveries

du cœur; on entend ses soupirs dans le frémissement des bois et dans les plaintes de Philomèle. Les roses de l'aurore ne sont que la chevelure de l'Ange du matin. L'Ange de la nuit repose au milieu des cieux, où il ressemble à la lune endormie sur un nuage; ses yeux sont couverts d'un bandeau d'étoiles; ses talons et son front sont un peu rougis de la pourpre de l'aurore et de celle du crépuscule; l'Ange du silence le précède, et celui du mystère le suit. Ne faisons pas l'injure aux poètes de penser qu'ils regardent l'Ange des mers, l'Ange des tempêtes, l'Ange du temps, l'Ange de la mort, comme des Génies désagréables aux Muses. C'est l'Ange des saintes amours qui donne aux vierges un regard céleste, et c'est l'Ange des harmonies qui leur fait présent des graces: l'hon

nête homme doit son cœur à l'Ange de la vertu, et ses lèvres à celui de la persuasion. Rien n'empêche d'accorder à ces esprits bienfaisants des marques distinctives de leurs pouvoirs et de leurs offices: l'Ange de l'amitié, par exemple, pourrait porter une écharpe merveilleuse, où l'on verrait fondus, , par un travail divin, les consolations de l'ame, les dévouements sublimes, les paroles secrètes du cœur, les joies innocentes, les chastes embrassements, la religion, le charme des tombeaux, et l'immortelle espérance.

CHAPITRE IX.

APPLICATION DES PRINCIPES ÉTABLIS DANS LES CHAPITRES PRÉCÉDENTS. CARACTÈRE de satan.

Des préceptes passons aux exemples. En reprenant ce que nous avons dit dans les précédents chapitres, nous commencerons par le caractère attribué aux mauvais anges, et nous citerons le Satan de Milton.

Avant le poète anglais, le Dante et le Tasse avaient peint le monarque de l'enfer. L'imagination du Dante, épuisée par neuf cercles de tortures, n'a fait de Satan enclavé au centre de la terre qu'un monstre odieux; le Tasse, en lui donnant des cornes, l'a presque rendu ridicule. Entraîné par ces autorités, Milton a eu un moment le mauvais goût de mesurer son Satan; mais il se relève bientôt d'une manière sublime.

Écoutez le prince des ténèbres s'écrier, du haut de la montagne de feu d'où il contemple pour la première fois son empire:

« Adieu, champs fortunés, qu'habitent les joies éternelles. Horreurs! je vous salue! je vous salue, monde in-, fernal! Abîme, reçois ton nouveau monarque. Il t'apporte un esprit que ni temps ni lieux ne changeront jamais... Du moins ici nous serons libres; ici nous régnerons : régner, même aux enfers, est digne de mon ambition 1. »

Quelle manière de prendre possession des gouffres de l'enfer !

Le Conseil infernal étant assemblé, le poète représente Satan au milieu de son sénat :

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Bes formes conservaient une partie de leur primitive splendeur; ce n'était rien moins encore qu'un archange tombé, une gloire un peu obscurcie: comme lorsque le soleil levant, dépouillé de ses rayons, jette un regard horizontal à travers les brouillards du matin; ou tel que dans une éclipse cet astre, caché derrière la lune, répand sur une moitié des peuples un crépuscule funeste, et tourmente les rois par la frayeur des révolutions. Ainsi paraissait l'archange obscurci, mais encore brillant au-dessus des

1. Parad. Lost. Book I, v. 49, etc.

compagnons de sa chute : toutefois son visage était labouré par les cicatrices de la foudre, et les chagrins veillaient sur ses joues décolorées ». »

Achevons de connaître le caractère de Satan. Échappé de l'enfer, et parvenu sur la terre, il est saisi de désespoir en contemplant les merveilles de l'univers; il apostrophe le soleil' :

« O toi qui, couronné d'une gloire immense, laisses, du haut de ta domination solitaire, tomber tes regards comme le Dieu de ce nouvel univers; toi, devant qui les étoiles cachent leurs têtes humiliées, j'élève ma voix vers toi, mais non pas une voix amie; je ne prononce ton nom, ô soleil ! que pour te dire combien je hais tes rayons. Ah! ils me rappellent de quelle hauteur je suis tombé, et combien jadis je brillafs glorieux au-dessus de ta sphère! L'orgueil et l'ambition m'ont précipité. J'osai, dans le ciel même, déclarer la guerre au roi du ciel. Il ne méritait pas un pareil retour, lui qui m'avait fait ce que j'étais dans un rang éminent... Élevé si haut, je dédaignai d'obéir; je crus qu'un pas de plus me porterait au rang suprême, et me déchargerait en un moment de la dette immense d'une reconnaissance éternelle... Oh! pourquoi sa volonté toutepuissante ne me créa-t-elle pas au rang de quelque ange in

I. Parad. Lost. Book V, v. 591, ete.
2. Voyez la note 3 à la fin du livre.

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