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le vers est rempli, imitent le roulement de

la foudre, interrompu par des espèces de silence, ŵy, tε, Oɛ,

tɛ, θε, τε:

v, te: c'est ainsi que la voix du ciel, dans une tempête, meurt et renaît tour à tour dans la profondeur des bois. Un silence subit et pénible, des images vagues et fantastiques, succèdent au tumulte des premiers mouvements: on sent, après le cri de Pluton, qu'on est entré dans la région de la mort; les expressions d'Homère se décolorent; elles deviennent froides, muettes et sourdes, et une multitude d'S sifflantes imitent le murmure de la voix inarticulée des ombres.

Où prendrons-nous le parallèle, et la poésie chrétienne a-t-elle assez de moyens pour s'élever à ces beautés? Qu'on en juge. C'est l'Éternel qui se peint lui-même :

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Sa colère a monté comme un tourbillon de fumée; son visage a paru comme la flamme, et son courroux comme un feu ardent. Il a abaissé les cieux, il est descendu, et les nuages étaient sous ses pieds. Il a pris son vol sur les ailes des Chérubins; il s'est élancé sur les vents. Les nuées amoncelées formaient autour de lui un pavillon de ténèbres

:

1

l'éclat de son visage les a dissipées, et une pluie de feu est tombée de leur sein. Le Seigneur a tonné du haut des cieux; le Très-Haut a fait entendre sa voix; sa voix a éclaté comme un orage brûlant. Il a lancé ses flèches et dissipé mes ennemis; il a redoublé ses foudres qui les ont renversés. Alors les eaux ont été dévoilées dans leurs sources; les fondements de la terre ont paru à découvert, parce que vous les avez menacés, Seigneur, et qu'ils ont senti le souffle de votre colère. >>

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Avouons-le,» dit La Harpe, dont

nous empruntons la traduction,

« il

y a

aussi loin de ce sublime à tout autre sublime, que de l'esprit de Dieu à l'esprit de l'homme. On voit ici la conception du grand dans son principe: le reste n'en est qu'une ombre, comme l'intelligence créée n'est qu'une faible émanation de l'intelligence créatrice; comme la fiction, quand elle est belle, n'est encore que l'ombre de la vérité, et tire tout son mérite d'un fond de ressemblance. >>

CHAPITRE VI.

DES ESPRITS DE TÉNÈBRES.

Les dieux du polythéisme, à peu près égaux en puissance, partageaient les mêmes haines et les mêmes amours. S'ils se trouvaient quelquefois opposés les uns aux autres, c'était seulement dans les querelles des mortels: ils se réconciliaient bientôt, en buvant le nectar ensemble.

Le christianisme, au contraire, en nous instruisant de la vraie constitution des êtres surnaturels, nous a montré l'empire de la vertu, éternellement séparé de celui du vice. Il nous a révélé des esprits de ténèbres, machinant sans cesse la perte du genre humain, et des esprits de lumière, uniquement occupés des moyens de le sauver. De là un combat éternel, dont l'ima

gination peut tirer une foule de beautés.

Ce merveilleux d'un fort grand caractère en fournit ensuite un second d'une moindre espèce, à savoir: la magie. Celle-ci a été connue des anciens'; mais, sous notre culte, elle a acquis, comme machine poétique, plus d'importance et d'étendue. Toutefois on doit en user sobrement, parce qu'elle n'est pas d'un goût assez pur: elle manque surtout de grandeur; car, en empruntant quelque chose de son pouvoir aux hommes, ceux-ci lui communiquent leur petitesse.

Un autre trait distinctif de nos êtres surnaturels, surtout chez les puissances infernales, c'est l'attribution d'un caractère. Nous verrons incessamment quel usage Milton a fait du caractère d'orgueil, donné

1. La magie des anciens différait en ceci de la nôtre, qu'elle s'opérait par les seules vertus des plantes et des philtres; tandis que parmi nous elle découle d'une puissance surnaturelle, quelquefois bonne, mais presque toujours méchante. On sent qu'il n'est pas question ici de la partie historique et philosophique de la magie considérée comme l'art des mages.

par le christianisme au prince des ténèbres. Le poète, pouvant en outre attacher un ange du mal à chaque vice, dispose ainsi d'un essaim de divinités infernales. Il a même alors la véritable allégorie sans avoir la sécheresse qui l'accompagne, ces esprits pervers étant en effet des êtres réels, et tels que la religion nous permet de les croire.

Mais si les démons se multiplient autant que les crimes des hommes, ils peuvent aussi présider aux accidents terribles de la nature; tout ce qu'il y a de coupable et d'irrégulier dans le monde moral et dans le monde physique, est également de leur ressort. Il faudra seulement prendre garde, en les mêlant aux tremblements de terre, aux volcans ou aux ombres d'une forêt, de donner à ces scènes un caractère majestueux. Il faut qu'avec un goût exquis, le poète sache faire distinguer le tonnerre du Très-Haut, du vain bruit que fait éclater un esprit perfide; que le foudre ne s'allume que dans la main de Dieu; qu'il ne brille jamais dans une tempête excitée par l'en

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