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Est-il done vrai que les notes secrètes ne savent plus où s'adresser, et que tout se brouille là-bas ? Leurs excellences européennes veulent, dit-on, se couper la gorge; l'Anglais défie l'Allemand. Celui-ci, plus rusé, lui joue d'un tour de diplomate, gagne le postillon de milord, qui verse Sa Grâce dans un trou, pensant bien lui rompre le cou. Mais l'Anglais roule jusqu'au fond sans s'éveiller, et cuve son vin; puis sorti de là, demande raison. Voilà les contes qu'on nous fait, et nous écoutons tout cela. Que vous êtes heureux à Paris de savoir ce qui se passe, et de voir les choses de près, surtout la garde-robe et Rapp dans ses fonctions! C'est là ce que je vous envie.

SIMPLE DISCOURS DE PAUL-LOUIS,

VIGNERON DE LA CHAVONNIÈRE,

AUX MEMBRES DU CONSEIL DE LA COMMUNE DE VÉRETZ, DÉPARTEMENT D'INDRE ET LOIRE,

A L'OCCASION D'UNE SOUSCRIPTION PROPOSÉE PAR S. E. LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR

POUR L'ACQUISITION DE CHAMBORD.

(1821.)

Si nous avions de l'argent à n'en savoir que faire, toutes nos dettes payées, nos chemins réparés, nos pauvres soulagés, notre église d'abord (car Dieu passe avant tout) pavée, recouverte et vitrée, s'il nous restait quelque somme à pouvoir dépenser hors de cette commune, je crois, mes amis, qu'il faudrait contribuer, avec nos voisins, à refaire le pont de Saint-Avertin, qui, nous abrégeant d'une grande lieue le transport d'ici à Tours, par le prompt débit de nos denrées, augmenterait le prix et le produit des terres dans tous ces environs; c'est là, je crois, le meilleur emploi à faire de notre superflu, lorsque nous en aurons. Mais d'acheter Chambord pour le duc de Bordeaux, je n'en suis pas

d'avis, et ne le voudrais pas quand nous aurions de quoi, l'affaire étant, selon moi, mauvaise pour lui, pour nous et pour Chambord. Vous l'allez comprendre, j'espère, si vous m'écoutez, il est fête et nous avons le temps de causer.

Douze mille arpents de terre enclos que contient le parc de Chambord, c'est un joli cadeau à faire à qui les saurait labourer. Vous et moi connaissons des gens qui n'en seraient pas embarrassés, à qui cela viendrait fort bien; mais lui, que voulez-vous qu'il en fasse? Son métier, c'est de régner un jour, s'il plaît à Dieu, et un château de plus ne l'aidera de rien. Nous allons nous gêner et augmenter nos dettes, remettre à d'autres temps nos dépenses pressées, pour lui donner une chose dont il n'a pas besoin, qui ne lui peut servir, et servirait à d'autres. Ce qu'il lui faut pour régner, ce ne sont pas des châteaux, c'est notre affection; car il n'est sans cela couronne qui ne pèse. Voilà le bien dont il a besoin et qu'il ne peut avoir en même temps que notre argent. Assez de gens là-bas lui diront le contraire, nos députés tout les premiers, et sa cour lui répétera que plus nous payons, plus nous sommes sujets amoureux et fidèles ; que notre dévouement croît avec le budget. Mais, s'il en veut savoir le vrai, qu'il vienne ici, et il verra, sur ce point-là et sur bien d'autres, nos sentiments fort différents de ceux des courtisans. Ils aiment le prince en raison de ce qu'on leur donne; nous, en raison de ce qu'on nous laisse; ils veulent Chambord pour en être, l'un gouverneur, l'autre concierge, bien gagés, bien logés, bien nourris, sans faire œuvre, et peu leur importe du reste. L'affaire sera toujours bonne pour eux, quand elle serait mauvaise pour le prince, comme elle l'est, je le soutiens; acquérant de nos deniers pour un million de terres, il perd pour cent millions au moins de notre amitié : Chambord, ainsi payé, lui coûtera trop cher; de telles acquisitions le ruineraient bientôt, s'il est vrai, ce qu'on dit, que les rois ne sont riches que de l'amour des peuples. Le marché paraît d'or pour lui, car nous donnons et il reçoit : il n'a que la peine de prendre; mais lui sans débourser de fait, y met beaucoup du sien, et trop, s'il diminue son capital dans le cœur de ses sujets : c'est spéculer fort mal et se faire grand tort. Qui le conseille ainsi n'est pas de ses amis, ou comme dit l'autre, mieux vaudrait un sage ennemi.

Mais quoi? je vous le dis, ce sont les gens de cour dont l'imaginative enfante chaque jour ces merveilleux conseils; ils ont plus tôt inventé cela que le semoir de Fehlemberg, ou bien le bateau à vapeur. On a eu l'idée, dit le ministre, de faire acheter Chambord par les communes de France, pour le duc de Bordeaux. On a eu cette pensée! qui donc? Est-ce le ministre ? il ne s'en cacherait pas, il ne se contenterait pas de l'honneur d'approuver en pareille occasion. Le prince ? à Dieu ne plaise que sa première idée ait été celle-là, que cette envie lui soit venue avant celle des bonbons et des petits moulins? Les communes donc, apparemment? non pas les nôtres, que je sache, de ce côté-ci de la Loire, mais celles-là peut-être qui ont logé deux fois les Cosaques du Don. Ici nous nous sentons assez des bienfaits de la Sainte-Alliance : mais c'est tout autre chose là où on a joui de sa présence, possédé Sacken et Platow; là naturellement on s'avise d'acheter des châteaux pour les princes, et puis on songe à refaire son toit et ses foyers.

Du temps du bon roi Henri IV, le roi du peuple, le seul roi dont il ait gardé la mémoire, pareils dons furent offerts à son fils nouveau-né; on eut l'idée de faire contribuer toutes les communes de France en l'honneur du royal enfant, et, de la seule ville de la Rochelle, des députés vinrent apportant cent mille écus en or, somme énorme alors. Mais le roi : « C'est trop, mes amis, leur dit-il, c'est trop pour de la bouillie; gardez cela, et l'employez à rebâtir chez vous ce que la guerre a détruit, et n'écoutez jamais ceux qui vous parleront de me faire des présents, car telles gens ne sont vos amis ni les miens. » Ainsi pensait ce roi, protecteur déclaré de la petite propriété, qui, toute sa vie, fut brouillé avec les puissances étrangères, et qui faisait couper la tête aux courtisans, aux favoris, quand il les surprenait à faire des notes secrètes.

Ceci soit dit, et revenant à l'idée d'acheter Chambord, avouonsle, ce n'est pas nous, pauvres gens de village, que le ciel favórise de ces inspirations; mais qu'importe, après tout? Un homme s'est rencontré dans les hautes classes de la société, doué d'assez d'esprit pour avoir cette heureuse idée : que ce soit un courtisan fidèle, jadis pensionnaire de Fouché, ou un gentilhomme de Bonaparte employé à la garde-robe, c'est la même chose pour

nous qui n'y saurions avoir jamais d'autre mérite que celui de payer. Laissons aux gens de cour, en fait de flatterie, l'honneur des inventions, et nous, exécutons; les frais seuls nous regardent; il saura bien se nommer, l'auteur de celle-ci, demander son brevet; et nous suffise à nous, habitants de Véretz, qu'il ne soit pas du pays.

Elle est nouvelle assurément l'idée que le ministre admire et nous charge d'exécuter. On avait vu de tels dons payer de grands services, des actions éclatantes; Eugène, Marlborough, à la fin d'une vie toute pleine de gloire, obtinrent des nations qu'ils avaient su défendre ces témoignages de la reconnaissance publique; et Chambord même (sans chercher si loin des exemples), qu'on veut donner au prince pour sa layette, fut au comte de Saxe le prix d'une victoire qui sauva la France à Fontenoi. La France, par lui libre, je veux dire indépendante, délivrée de l'étranger, au dedans florissante, respectée au dehors, fit présent de cette terre à son libérateur, qui s'y vint reposer de trente ans de combats. Monseigneur n'a encore que six mois de nourrice, et, il faut en convenir, de Maurice vainqueur au prince à la bavette, il y a quelque différence, à moins qu'on ne veuille dire peut-être que, où commençant sa vie où l'autre a fini la sienne, il finira par Maurice a commencé, par nous débarrasser des puissances étrangères. Je le souhaite et l'espère du sang de ce Henri qui chassa l'Espagne de France; mais le payer déjà, je crois que c'est folie, et n'approuve aucunement qu'il ait ses invalides avant de sortir du maillot. Récompenser l'enfant d'être venu au monde comme le capitaine qui gagna des batailles, et, par d'heureux exploits, acquit à ce pays et la paix et la gloire, c'est ce qu'on n'a point vu, c'est là l'idée nouvelle, qui ne nous fût pas venue sans l'avis officiel. Pour inventer cela, et mettre à la place des hulans du comte de Saxe les dames du berceau, il faut avoir, non pas l'esprit, mais le génie de l'adulation, qui ne se trouve que là où ce genre d'industrie est puissamment encouragé; ce trait sort des bassesses communes, et met son auteur, quel qu'il soit, hors du gros des flatteurs de cour. Il se moque fort apparemment de ses camarades qui, marchant dans la route battue des vieilles flagorneries usées, ne savent rien imaginer; on va l'imiter maintenant jusqu'à ce qu'un autre aille au delà.

9.

Quand le gouverneur d'un roi enfant dit à son élève jadis : Maître, tout est à vous; ce peuple vous appartient, corps et biens, bêtes et gens; faites-en ce que vous voudrez; cela fut remarqué. La chambre, l'antichambre et la galerie répétèrent : Maître, tout est à vous, qui, dans la langue des courtisans, voulait dire tout est pour nous, car la cour donne tout aux princes, comme les prêtres tout à Dieu; et ces domaines, ces apanages, ces listes civiles, ces budgets ne sont guère autrement pour le roi que le revenu des abbayes n'est pour Jésus-Christ. Achetez, donnez Chambord, c'est la cour qui le mangera; le prince n'en sera ni pis ni mieux. Aussi ces belles idées de nous faire contribuer en tant de façons, viennent toujours de gens de cour, qui savent très-bien ce qu'ils font en offrant au prince notre argent. L'offrande n'est jamais pour le saint, ni nos épargnes pour les rois, mais pour cet essaim dévorant qui sans cesse bourdonne autour d'eux, depuis leur berceau jusqu'à Saint-Denis.

Car, après la leçon du sage gouverneur, au temps dont je vous parle, bon temps, comme vous savez, les princes ayant appris une fois et compris que tout était à eux, on leur enseignait à donner; un précepteur, abbé de cour, en lisant avec eux l'histoire, leur faisait admirer cet empereur Titus qui, dit-on, donnait à toutes mains, croyant perdu le jour qu'il n'avait rien donné, qu'on n'alla jamais voir sans revenir heureux, avec une pension, quelque gratification ou des coupons de rente; prince adoré de tout ce qui avait les grandes entrées ou qui montait dans les carrosses. La cour l'idolâtrait; mais le peuple? le peuple? il n'y en avait pas l'histoire n'en dit mot. Il n'y avait alors que les honnêtes gens, c'est-à-dire, les gens présentés : c'était là le monde, tout le monde, et le monde était heureux. Faites ainsi, mon maître, vous serez adoré comme ce bon empereur; la cour vous bénira; les poëtes vous loueront, et la postérité en croira les poëtes. Voilà les éléments d'histoire qu'on enseignait alors aux princes. Peu de mention d'ailleurs de ces rois tels que Louis XII et Henri IV, en leur temps maudits de la cour pour n'avoir su donner comme d'autres faisaient si généreusement, si magnifiquement, avec choix néanmoins. Donner au riche, aider le fort, c'est la maxime du bon temps, de ce bon

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