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Je vous livre, monsieur, sans réserve, mon œuvre1 et mon nom, si on veut absolument le mettre en tête du volume. J'aimerais mieux cependant, par des raisons particulières que je puis appeler raisons d'État, n'être point nommé. Tâchez, je vous prie, de m'obtenir cela; du reste, le plus tôt sera le mieux. Si je pouvais avoir une vingtaine d'exemplaires.... Mais tout est entre vos mains, et je suis trop heureux qu'une amitié qui m'est si honorable et si chère vous engage à prendre ce soin.

Voici de quoi ajouter à mes notes 2 ; vous voyez comme je travaille tout ce qu'on appelle décousu, bâton rompu, n'est rien en comparaison. Une ligne faite à Milan, l'autre à Tarente, l'autre ici, Dieu sait comme tout cela joindra.

A M. GRIOIS,

MAJOR DU 4 RÉGIMENT D'ARTILLERIE A CHEVAL, A VÉRONE.

Milan, le 10 mars 1809.

Ma foi, mon major, je vous quitte, et c'est à regret en vérité. L'honnêteté n'entre pour rien dans ce que je vous dis là. Je Vous regrette tous, mes camarades; j'ai passé avec vous des moments agréables. Cependant, pour avoir du bon temps, je crois qu'il vaut mieux être libre.

Le diable s'était mis dans mes affaires en France. Je demande un congé pour aller voir ce que c'était; on me le refuse. J'avais déjà demandé à passer en Espagne, comptant bien que je pourrais, en allant ou revenant, faire un tour au pays. Ah! ah! on ne m'écouta seulement pas. Aujourd'hui c'est ma démission dont je régale Son Excellence, et pour cela je ne crois pas qu'il y ait de difficultés.

Vous me devez de l'argent : quand je dis vous, c'est le régiment. On a reçu sans doute depuis un an mon traitement de la Légion d'honneur; avisez, je vous prie, aux moyens de me faire toucher cela ici, vous m'obligerez. Adieu, major; adieu, Hasard, et tous mes camarades connus et inconnus; adieu, mes amis; buvez frais, mangez chaud, faites l'amour comme vous pourrez. Adieu!

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A M. AKERBLAD.

Milan, le 12 mars 1809.

Ma première lettre est pour vous; du moins n'ai-je encore écrit à personne que je puisse appeler ami : et ceci soit dit afin de vous faire sentir l'obligation où vous êtes de me répondre, toute affaire ou toute paresse cessante.

En arrivant ici j'ai demandé un congé, on me l'a refusé ; j'ai donné ma démission. J'ai fait, comme vous voyez, ce que j'avais projeté cela ne m'arrive guère. Je projette maintenant d'aller à Paris; mais j'attendrai pour partir que la neige soit un peu fondue sur les Alpes, et je veux les repasser avant qu'il en vienne d'autre; car je ne puis plus vivre que dans le beau pays ove il si suona.

Ma lettre sans doute vous trouvera encore à Florence et au lit, je m'imagine; car voilà un retour de froid qui va vous faire rentrer dans le duvet jusqu'au nez: non tibi Svezia parens.

Si vous étiez enfant du Nord, vous vous ririez de nos frimas, et tout vous semblerait zéphyr en Italie. Donnez-moi bientôt de vos nouvelles partez-vous toujours pour Rome? J'y serai, je crois, avant vous, si Dieu nous maintient l'un et l'autre dans les mêmes dispositions.

Lamberti a fini son Iliade, et il va la porter à l'empereur. C'est un homme heureux, Lamberti s'entend. Il a, du métier littéraire, les agréments sans les peines; il vit avec ses amis, il travaille seulement pour n'être pas désœuvré. Son chagrin (car il en faut bien), c'est cette farine sur son visage,

Qui fait fuir à sa vue un sexe qu'il adore.

Aimez-vous les vers? en voilà. Le pauvre Lamberti gémit de n'oser se montrer aux belles, après s'être vu leur idole; bon homme au demeurant, d'un caractère aimable, il sait assez de grec et beaucoup d'italien; il a un frère qu'on vient de faire sénateur du royaume je ne doute pas qu'il ne le mérite autant pour le moins que Roland, qui était sénateur romain, au dire d'Arioste. J'ai appris à cette occasion que le royaume avait un sénat; mais je ne sais trop au vrai ce que c'est qu'un

sénateur.

▲ une lecture de Monti (c'était encore Homère, traduit par lui Monti; et toujours de l'Homère ! je crois que j'en rêverai ), il a lu justement le livre où sont les deux comparaisons de l'âne et du cochon, et j'ai été témoin d'une grave discussion; savoir si l'on peut dire en vers, et en vers héroïques, asino et porco : l'affirmative a passé tout d'une voix, sur l'autorité d'Homère, appuyé de son traducteur et de son éditeur présents. Notifiez cet arrêt à vos lettrés toscans, et à tous auxquels il appartiendra : la chose intéresse beaucoup de gens, qui ne pourraient sans cela espérer de voir jamais leurs noms dans la haute poésie.

A MADAME DIONIGI,

A ROME.

Milan, le 22 mars 1809.

J'ai reçu, madame, vos deux lettres, adressées l'une à Livourne, l'autre ici, avec le programme du bel ouvrage que vous destinez au public. Je vous en demanderais pour moi un exemplaire, si je savais où le mettre, si j'avais un cabinet; mais j'habite les grands chemins, et ce qui ne peut entrer dans une valise n'est pas fait pour moi. Comptez cependant que je ne négligerai rien pour vous procurer de nouveaux souscripteurs; cela me serait difficile ici, je ne connais personne; mais à Paris, je suis un peu plus répandu ; et je pourrai là, quand j'y serai, c'est-àdire bientôt, vous servir d'autant mieux que j'y trouverai force gens à qui votre nom est connu. Vous avez bien sans doute ici des admirateurs; mais comment les rencontrerais-je, si je ne vois pas une âme? M. Lamberti, qui tient de vous la même mission, la prêchera beaucoup mieux, et annoncera aux Lombards les merveilles de vos œuvres, non pas avec plus de zèle, mais avec plus de succès que je ne pourrais faire.

Pour la traduction de votre Perspective, c'est mon affaire; et le titre de votre interprète me plaît et m'honore également. J'y avais déjà mis la main, comme je crois vous l'avoir marqué; mais je ne sais si je pourrai retrouver dans une foule de papiers ce que j'en avais ébauché. Si cela s'est perdu, j'y ai peu de re

'Ouvrage de madame Dionigi sur la perspective, en italien.

P. L. COURIER.

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grets; car à présent je suis convaincu que pour faire cette version d'une manière digne de vous, il faut que j'y travaille avec vous. C'est un bonheur que j'aurai, si Dieu me fait vivre, cet automne; car voici mon plan pour l'année courante, sauf les événements. Je vais en France donner un coup d'œil à mes affaires; je passerai là la saison des grandes chaleurs, et, au départ des hirondelles, le désir de vous voir et de vous traduire me fera repasser les monts, e non sentir l'affanno.

Je ne suis plus soldat. J'ai demandé d'abord, mais je n'ai pu obtenir, qu'on m'envoyât en Espagne; j'espérais voir en passant la fumée de ma chaumière. J'ai voulu depuis avoir un congé pour des intérêts très-pressants, on me l'a refusé de même, et je donne ma démission. Je ne pouvais guère, ce me semble, quitter de meilleure grâce, ni plus à propos, un métier dans lequel il ne faut pas vieillir. Dès que les neiges des Alpes seront un peu fondues, je partirai pour Paris. Mais c'est bien à regret, je vous assure, que je tourne le dos à l'Italie; et je ne resterai là-bas que le temps qu'il faudra pour m'arranger de manière à n'y revenir de sitôt; car désormais, madame, ce n'est qu'en Italie que je trouve de la douceur à vivre. L'inclination, comme vous savez, se moque de la nature, ou plutôt devient une seconde nature. La patrie est où l'on est bien, où on a des amis comme vous; et si mon bonheur est à Rome, il est clair que je suis Romain. Ceci a un air de raisonnement; mais, soit raison ou autre chose, je ne puis plus vivre que dans le beau pays ove il si suona.

J'ai vu à Pise M. le professeur Santi, qui m'a fort prié de vous présenter son respect. Lamberti me donne la même commission : il achève un très-beau livre, qui sera dédié et présenté à l'empereur. C'est un Homère savamment revu et corrigé par lui Lamberti, et imprimé par Bodoni.

Il y a ici un peintre que vous connaissez, madame, qui du moins se vante de vous connaître. Il se nomme M. Bossi, et copie maintenant pour le gouvernement la fameuse Cène de Léonard, entreprise qui demandait un homme à talent. Ce Léonard ne se laisse pas copier à tout le monde; mais, pour comprendre le mérite de ce que fait Bossi, il faut voir comment il a su rétablir dans sa copie les parties de la fresque détruites par le

temps, et elles sont considérables. Ma foi, sans lui nous n'aurions qu'une idée bien imparfaite de ce beau tableau, dont il ne reste presque rien, et qui allait être dans peu totalement perdu. Mais comment retrouve-t-on une peinture effacée? Voilà ce qui vous surprendrait : il a découvert, je ne sais où, les cartons et les études de Léonard même. Pour la couleur, il s'est aidé de certaines copies faites dans le temps que l'original était entier. Bref, c'est comme une nouvelle édition de la Cène. N'aimezvous pas mieux, madame, cet ancien chef-d'œuvre ainsi reproduit, que tant de nouveaux tableaux tout au plus médiocres? Quant à moi, cela me plaît fort; et je voudrais quelque chose de semblable pour vos belles fresques de Rome, où l'on ne voit tantôt plus rien.

J'ai assisté à une grande lecture de poésie. C'était encore Homère, et traduit par Monti. Je pensais vraiment en rendre compte à mademoiselle Henriette; mais à elle je ne puis lui parler que d'elle-même, au risque toutefois d'un peu de désordre dans mes idées. Si je m'embrouille, après tout, je n'étonnerai personne, étant coutumier du fait, soit que je parle à elle ou d'elle; enfin je veux lui demander des nouvelles de ses mains, que je me figure à présent bien maltraitées par le froid. C'est un cruel mal que ces geloni, comme vous les appelez; ces tyrans de Sicile ne respectent rien. Voyez-vous, madame? déjà je commence à déraisonner; le mieux sera, je crois, que je m'en tienne là, et que je finisse en vous assurant de mon très-humble respect.

A M. SILVESTRE DE SACY,

A PARIS.

Milan, le 43 mars 1809.

Monsieur, les tristes présages que me donnait votre lettre du 3 du courant, sur la maladie de M. de Sainte-Croix, ne se sont que trop vérifiés, comme on me le marque aujourd'hui de la part de madame de Sainte-Croix. Je n'ose encore lui écrire; mais je vous supplie, monsieur, de lui présenter mon respect, et de lui dire, si cela se peut sans irriter sa douleur, toute la part que j'y prends. Je comprends la vôtre, monsieur, sachant com

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