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Dernièrement on a encore coupé, dans la même forêt, un seul gros baliveau de soixante et quinze ans. On a tenté de mettre le feu en différents endroits. Les auteurs de ces délits sont connus; et non-seulement nulle poursuite n'a été faite contre eux, mais on s'oppose constamment à la recherche légale des bois enlevés.

Le nommé Blondeau, l'un de mes gardes, est chargé par moi, cette année, de différentes exploitations que je fais faire par nettoiement. On l'a laissé abattre et façonner tout le bois; mais au moment de la vente on le fait condamner, sous les plus absurdes prétextes, à un mois de prison, sans grâce ni délai. Le voilà ruiné totalement, et moi, en partie. On l'accuse dans le procès-verbal fait contre lui, en apparence, mais réellement contre moi, d'avoir dit à M. le maire (dont il a une peur mortelle) Allez vous faire f...... C'est là le crime qu'on lui suppose, et pour lequel on va détruire toute l'existence et la fortune d'un père de famille de soixante ans, qui a toujours vécu sans reproche.

Je ne vous parle point, monseigneur, des procès risibles qu'on me fait, dans lesquels je succombe toujours. Chaque fois que je suis volé, je paye des dommages et intérêts. Si on me battait, je payerais l'amende. On menace maintenant de me brûler. Si cela arrive, je serai condamné à la peine des incendiaires.

Ce n'est pas qu'on me haïsse dans le pays. Je vis seul, et n'ai de rapports ni de démêlés avec personne. Tout cela se fait pour faire plaisir à M. le maire et à MM. les juges, à M. le procureur du roi et à M. le préfet, gens que je n'ai jamais vus, et dont j'ignore les noms.

Enfin, il est notoire dans le département qu'on peut me voler, me courir sus; et chaque jour on use de cette permission. Je suis hors de la loi pour avoir défendu avec succès des gens qu'on voulait faire périr, il y a deux ou trois ans. Voilà, disent quelques-uns, le vrai motif du mal qu'on me fait à présent.

Je supplie Votre Excellence d'ordonner que tous ceux qui me pillent, ou m'ont pillé, soient également poursuivis, et qu'on me laisse en repos à l'avenir. C'est malgré moi que j'ai recours à l'autorité, quand les lois devraient me protéger. Mais la chose

presse, et je crains que mes bois ne soient bientôt brûlés.

Je suis avec respect, monseigneur,

De Votre Excellence,

Le très-humble et très-obéissant serviteur.

Paris, le 30 mars 1817.

PIERRE CLAVIER,

DIT BLONDEAU,

A MESSIEURS LES JUGES DE POLICE CORRECTIONNELLE

A BLOIS.

MESSIEURS,

J'ai fait de grandes fautes, mais j'en suis trop puni déja par tout ce que j'ai souffert ; et si vous regardez ma conduite, vous verrez qu'il y a en moi, pauvre et simple homme de village, plus de bêtise que de méchanceté.

Ma première faute fut d'entrer au service de M. de Beaune, le maire de notre commune. Je le connaissais. M. de Beaune est un jeune homme vif, emporté, violent dans ses vengeances. Je savais cela, j'aurais dû fuir M. de Beaune et prévoir ce qui m'arrive mais quoi? il fallait vivre; je n'avais point d'autre ressource, et il n'était pas maire encore, il ne faisait point de procès-verbaux; en le servant, on ne risquait que d'être assommé. J'entrai chez lui, et me conduisis avec tant de prudence, qu'au bout de deux ans j'en sortis sans contusion ni blessure. En cela, je ne fus pas bête.

Mais, malheureusement, il était maire alors. En me renvoyant, M. le maire ne me payait pas mes gages de trois mois, cinquante francs qu'il me devait ; je les lui demandai. Ce fut ma seconde faute, pire que la première pour moi, dans le besoin, sans place, sans travail, cinquante francs c'était beaucoup; ce

n'était rien pour M. de Beaune. Et que pensez-vous qu'il me dit quand je lui demandai mon argent? Tu me le payeras, me ditil; et jamais, messieurs, je n'en pus tirer autre chose.

Moi, messieurs, voyant cela, je le fis assigner. Ah! faute irréparable! mon supérieur, mon maire, le plus riche propriétaire de toute la commune, l'attaquer en justice! moi pauvre paysan, domestique renvoyé, lui demander mon dû ! Je fis cette folie, dont je me repens bien; et vous jure que de ma vie, dussé-je mourir de faim, jamais plus ne m'arrivera de faire assigner un maire. Aussi bien que sert-il? M. de Beaune comparut devant le juge de paix, fit serment, leva la main qu'il ne me devait rien, et je perdis mes cinquante francs; et toujours: Tu me le payeras. Il m'a tenu parole; je lui paye bien l'argent qu'il me devait.

Dès lors on me conseilla de quitter le pays. Va-t'en, Blondeau, va-t'en, me dit un de nos voisins. Que veux-tu faire ici, ayant fâché le maire? Le maire est plus maître ici que le roi à Paris. Procès, amende, prison, voilà ce qui t'attend. Plus de repos pour toi, plus de travail paisible. Tu ne mangeras plus morceau qui te profite, ayant fâché le maire. Va-t'en, pauvre Blondeau.

Il n'avait que trop de raison de me parler ainsi. Je devais le croire, partir, vendre mon quartier de terre, emmener ma famille. Mais environ ce temps je trouvai à me placer fort avantageusement, à ce qu'il me semblait. M. Courier me prit pour garde de ses bois, et je me crus heureux d'entrer à son service. Je pensais qu'étant chez lui, qui passe pour bon homme, quoique peu de gens l'aient vu et que personne ne le connaisse, je pourrais vivre tranquille. En cela je me trompais, comme vous

allez voir.

Je fus accusé, peu après, d'avoir dit à M. le maire, causant avec lui dans son parc : Allez vous promener. C'est la déposition de quelques-uns des témoins que vous avez entendus. D'autres disent que j'ai dit : Allez vous faire f..... ; d'autres enfin prétendent que je n'ai rien dit du tout. L'affaire était sérieuse. J'avais tout à redouter, vu le nombre et le crédit de ceux qui m'attaquaient, car chacun s'en mêlait. Le maire portait plainte, le procureur du roi me poursuivait à outrance; le domaine me

menaçait de m'ôter mon état de garde particulier. Le préfet même daigna, et plus d'une fois, écrire aux juges contre moi. Les puissances de Tours étaient coalisées pour écraser Blondeau,

Et l'occasion de tout cela, c'est qu'en effet j'avais parlé à M. le maire; grande imprudence assurément. Si j'eusse pu m'en dispenser! Mais le moyen? On avait volé quatre gros arbres dans nos bois; et ces arbres, pour les saisir chez les voleurs assez connus, il me fallait non-seulement l'autorisation de M. le maire, mais sa présence, suivant la loi. Je fus le trouver, et le requis, mon procès-verbal à la main, de m'accompagner ; je lui fis lecture de la loi, le tout en vain: il refusa, et fut cause que huit jours après on nous coupa vingt autres arbres choisis dans toute la forêt, les plus grands de tous, les plus beaux, et avec le même succès et depuis, une autre fois encore... mais ce n'est pas de quoi il s'agit. Il refusa de m'accompagner, sans autre raison que son plaisir; et de là même prit prétexte de me faire un procès, de se plaindre, disant que je l'avais insulté. Quelle apparence? je n'en fis que rire. Mais me voyant tant d'ennemis, que tous ceux qui pouvaient me nuire s'y employaient avec chaleur, j'eus recours à M. Courier. Je lui dis : Aidez-moi ; la chose vous regarde. Parlez, faites agir vos amis. Mais il me répondit: Mes amis sont à Rome, à Naples, à Paris, à Constantinople, à Moscou. Mes amis s'occupent beaucoup de ce que l'on faisait il y a deux mille ans, peu de ce qu'on fait à présent. S'il est ainsi, lui dis-je, qui me protégera, qui prendra ma défense? j'ai contre moi tout le monde.

Alors il me répond: Blondeau, que vous êtes simple! Mettez le feu à mes bois, au lieu de les garder; et vous ne manquerez pas de protecteurs. Vous aurez pour appui tout ce qui pense bien dans le département. L'homme le plus méprisé, le plus vil, le plus abject de la province entière, a trouvé des amis, des parents, même parmi les magistrats de Tours, dès qu'il m'a voulu faire quelque mal; et pour avoir chassé ma femme de chez elle, il va recevoir de moi deux mille francs à titre de dommages et intérêts. Le fripon qui me vola, l'an passé, la moitié d'une coupe de bois, obtient de l'équité des juges un léger encouragement de huit cents francs, que je lui paye comme indemnité. Ces gensci aujourd'hui, sous la sauve garde de toutes les autorités, cou

pent mes plus beaux arbres, les serrent paisiblement chez eux; défense de les troubler. Demain ils me plaideront sur le vol qu'ils m'ont fait, et gagneront assurément. Faites comme eux; vous serez favorisé de même. Si, au lieu de me piller, vous défendez mon bien, vous irez en prison; attendez-vous à cela.

Tout comme il l'avait dit, la chose est arrivée. Je fus jugé, ou, pour parler exactement, je fus condamné à un mois de prison, sans preuves, sans audition de témoins. Les témoins, vous le savez, n'ont été entendus que depuis, ici, devant vous, messieurs, après mon appel de la sentence rendue à Tours contre moi. A Tours, les juges n'ont pas voulu, sans doute de peur de scandale, examiner si j'avais dit : Allez vous promener, ou allez vous faire f..... ; question délicate, qui roulait sur la différence de promener à l'autre mot. Il fut décidé, sur le seul procès-verbal de M. le maire, que je l'avais outragé; en conséquence, on me condamne à un mois de prison. Mes amis trouvent que j'en suis quitte à bon marché. Car il eût pu tout aussi bien mettre sur son procès-verbal que je l'avais volé ou tué; et vous voyez ce qui s'ensuivait, puisque sa parole fait foi, sans qu'il soit tenu de rien prouver.

Mais moi, je ne m'en crois pas quitte: ce qu'il n'a pas fait, il le fera. Déjà il répand le bruit que je l'ai menacé; déjà il l'a écrit de sa main, sur le registre de la commune. Bien plus, il l'a fait publier au prône de la paroisse. Oui, messieurs, au prône, un dimanche, par la voix du curé en chaire, tout le monde a été informé que Blondeau menaçait M. le maire. Cela vous étonne, messieurs. C'est que vous connaissez les lois : mais moi je connais M. le maire, et je sais qu'un mois de prison, mes travaux d'une année perdus, ma famille désolée, un procès qui me ruine, ce n'est pas vengeance pour lui. Ce qui m'étonne, moi, c'est de le voir agir avec tant de mesure, user de prévoyance, et même, avant la fin de cette affaire-ci, se ménager des preuves pour une accusation plus grave, comme s'il n'avait pas toujours ses procès-verbaux, qui sont parole d'Évangile pour messieurs les juges de Tours. Sitôt qu'il lui plaira d'avoir été frappé ou même assassiné, qui le contredira dans ses déclarations? Craint-il qu'on ne s'avise d'examiner les faits? que le procureur du roi, le préfet, ne lui manquent au besoin, et qu'un

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