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La bande noire achète encore le château des Ormes, le château de Chanteloup et le château de Leugny, voulant dépecer tous ces châteaux au très-grand profit du pays, et tous les biens` qui en dépendent. On vendra là des matériaux à bon marché, des terres fort cher. Plus de cinq cents maisons vont se refaire du débris de ces vieux donjons, depuis longtemps inhabités ou inhabitables. Plus de six mille arpents vont être cultivés par des propriétaires, au lieu de nonchalants fermiers. La bande noire fait beaucoup de bien. C'est une société infiniment utile, charitable, pieuse, qui divise la terre, et veut que chacun en ait, selon l'ordre de Dieu. Mais une autre bande vraiment noire, ennemie du partage, prétend que toute terre lui appartient, propriétaire universelle de droit divin; acquiert tous les jours, ne vend point; bande la pire qui soit et la plus malfaisante, si on ne la connaissait.

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- Quand Bonaparte reviendra, ou son fils que voilà tantôt grand, il ôtera les droits réunis, et ne lèvera d'argent que ce qu'il en faudra pour les dépenses publiques. Il mariera les prêtres, car enfin ces gens-là ne se peuvent passer de femmes et ne s'en passent pas; cela fait du désordre. Il avancera les soldats, nos enfants seront officiers. Nous élirons nos maires, nos juges de paix ; ce sera le bon temps, qu'on attend depuis longtemps.

-Le maire de Véretz a battu le curé qui laisse danser, et en le battant lui a dit qu'il était mauvais prêtre; que sa messe ne valait rien; que chaque fois qu'il la disait, il commettait un sacrilége et recrucifiait Jésus-Christ. Le curé est un vieillard de quatre-vingt-deux ans, instruit et sage; le maire, un jeune homme de trente ans, beaucoup plus occupé des filles que du sacrifice de la messe. Le soufflet qu'il a donné dans cette occasion parut tel aux témoins, qu'aucun prêtre, disent-ils, n'en a reçu de pareil depuis Boniface VIII. Le maire de Véretz n'a pas mis un gant de fer, comme fit l'ambassadeur pour souffleter ce pape au nom du roi son maître, mais du coup a jeté par terre le bonhomme, qui ne s'est pas relevé, garde encore le lit. Les apparences sont que Véretz ne dansera plus.

On a volé au Polonais deux mille francs qu'il amassait depuis qu'il est ici. Chacun le plaint. C'est un homme doux, simple, bon, serviable comme tous ces déserteurs des armées

étrangères. Il y en a plusieurs établis dans nos environs, mariés, vivant bien, sans aucun regret du pays où le seigneur leur donnait la schlague, et leur vendait le brandevin au prix qu'il voulait. Mauvais laboureurs la plupart, pour gouverner les chevaux ils n'ont point de pareils.

La veuve Raillard, qui vend du vin aux bateliers, a une cave secrète que nous connaissons tous, mais que les commis ignorent. Elle en venait hier, sa clef dans une main, dans l'autre une bouteille, quand les commis l'arrêtent au détour des Ruaux, saisissent sa bouteille. Elle, d'un coup de clef, la brise entre leurs mains. Tout le monde en a ri. La contrebande n'est point une chose qu'on blâme. Peu de gens aujourd'hui mettent dans un contrat le vrai prix de la vente. Le gouvernement trompe, et qui le peut tromper est approuvé de tous. Il enseigne lui-même la fourbe, le parjure, la fraude et l'imposture. D'un empire si saint la moitié n'est fondée.

- Des gens ont conseillé au curé de Véretz, battu par le jeune maire, d'en demander justice, ayant preuves et témoins. Il l'a fait, il s'est plaint; les juges..... Ce curé est un de ceux de la révolution; il prêta le serment, et même fut grand vicaire constitutionnel, homme qui s'est assis dans la chaire empestée; il a contre lui toute sa robe. Tout ce qui pense bien le tient dûment battu, et applaudit au maire. Le procureur du roi, sans doute ignorant cela, d'abord prit fait et cause pour l'Église outragée ; dans l'ardeur de son zèle, voulait couper le poing qui avait frappé l'oint; mais, averti depuis, il a changé de langage, trop tard; on ne lui pardonne pas d'avoir agi et fait agir la justice dans cette affaire, sans prendre le mot des jésuites. Messieurs les gens du roi, entre la chancellerie et la grande aumônerie, n'ont pas besogne faite, et sont en peine souvent. Le préfet, mieux avisé, instruit d'ailleurs, guidé par le coadjuteur, les moines, les dé votes et les séminaristes, en appuyant son maire, et criant anathème au prêtre de Baal, a montré qu'il entend la politique du jour. Les juges.... Comment faire contre un parti régnant? Ils en eurent grand'honte, et, sortant de l'audience, ne regardaient personne après cette sentence. Ils ont, bien malgré eux, pauvres gens, en dépit de la clameur publique, des preuves, des témoins, condamné le plaignant aux frais et aux dépens. Le parti

voulait plus, il voulait une amende, que messieurs de la justice ont bravement refusée. Le battu ne paye pas l'amende; c'est quelque chose, c'est beaucoup au temps où nous vivons. Il n'en faut pas exiger plus, et ce courage aux juges pourra ne pas durer.

Le maire, ainsi vainqueur du prêtre octogénaire, après avoir battu, dans une seule personne, la danse et la révolution, se flatte avec raison des bonnes grâces du parti puissant et gouver. nant. C'est une action d'éclat dont on lui saura gré, d'autant plus qu'ayant pour tout bien une terre qui appartient à M. le marquis de Chabrillant, bien d'émigré s'il faut le dire, il semblerait intéressé à se conduire tout autrement, et ne devrait pas être ami de la contre-révolution. Mais son calcul est fin ; il raisonne à merveille. Se rangeant avec ceux qui le nomment voleur, il fait rage contre ceux qui le veulent maintenir dans sa propriété; conduite très-adroite. Si ces derniers triomphent, la révolution demeure, et tout ce qu'elle a fait ; il tient le marquisat, se moque du marquis. Les autres l'emportant, il pense mériter non-seulement sa grâce et de n'être pas pendu, mais récompense, emploi, et peut-être, qui sait? quelque autre terre confisquée sur les libéraux lorsqu'ils seront émigrés.

ANNONCE. Paul-Louis vend sa maison de Beauregard, acquise par lui de David Bacot, huguenot, et pourtant honnête homme. La demeure est jolie; le site, un des plus beaux qu'il y ait en Touraine, romantique de plus, et riche en souvenirs. Le château de la Bourdaisière se voit à peu de distance. Là furent inventées les faveurs par Babeau; là naquirent sept sœurs, galantes comme leur mère, et célèbres sous le nom des Sept péchés mortels; une desquelles était Gabrielle, maîtresse de ce bon roi Henri, et de tant d'autres à la fois, féaux et courtois chevaliers. Par le seigneur lui-même, père des belles filles et mari de Babeau, cette terre fut nommée un clapier de p.t...... Vieux temps, antiques mœurs, qu'êtes-vous devenus? On aura ces souvenirs par-dessus le marché, en achetant Beauregard, voisin de la Bourdaisière.

On aura trente arpents de terre, vigne et pré, grande propriété sur nos rives du Cher, où tout est divisé, où se trouvent à peine deux arpents d'un tenant, susceptibles d'ailleurs de beaucoup augmenter en valeur ou en étendue, selon les chances de la guerre

qui se fait maintenant en Espagne. Car si le Trappiste là-bas met l'inquisition à la place de la constitution, Beauregard aussitôt redevient ce qu'il était jadis, fief, terre seigneuriale, étant bâti pour cela. Tours, tourelles, colombier, girouette, rien n'y manque. Vol du chapon, jambage, cuissage, etc., nous en avons les titres. Par le triomphe du Trappiste et le retour du bon régime, la petite culture disparaît, le seigneur de Beauregard s'arrondit et s'étend, soit en achetant à bas prix les terres que le vilain ne peut plus cultiver, soit en le plaidant à Paris devant messieurs de la grand'chambre, tous parents ou amis des possesseurs de fiefs, soit par voie de confiscation, ou autres moyens inventés ou pratiqués du temps des mœurs. Toute la garenne de Beauregard, si Dieu favorise don Antonio Maragnon, tout ce qui est maintenant plantation, vigne, verger, clos, jardin, pépinière, se convertit en nobles landes et pays de chasse à la grande bête, seigneurie de trois mille arpents, pouvant produire par an quinze cents livres tournois, et ne payant nul impôt. Beauregard gagne en domaines, mouvances, droits seigneuriaux, par la contrerévolution.

Si sa Révérence, au contraire, était malmenée en Espagne, et pendue, ce qu'à Dieu ne plaise! Beauregard alors est et demeure maison, terre de vilain, et à ce titre paye l'impôt ; mais la petite culture continuant sous le régime de la révolution, par le partage des héritages et le progrès de l'industrie, nos trente arpents haussent en valeur, croissent en produits tous les ans, et quelque jour peuvent rapporter trois, quatre, cinq et six mille francs, que bon nombre de gens préfèrent à quinze cents livres tournois, tout en regrettant peut-être les droits et les mille arpents honorifiques de chasse au loup. En somme, il n'y a point de meilleur placement, plus profitable ni plus sûr, quoi qu'il puisse arriver; car enfin, si faut-il que le Trappiste batte ou soit battu. Dans les deux cas, Beauregard est bon, et le devient encore davantage.

Pour plus amples renseignements, s'adresser à Paul-Louis, vigneron, demeurant près ladite maison ou château, selon qu'il en ira de la conquête des Espagnes.

Au rédacteur de la GAZETTE DU VILLAGE.

MONSIEUR,

Je suis.... malheureux; j'ai fâché monsieur le maire; il me faut vendre tout, et quitter le pays. C'est fait de moi, monsieur, si je ne pars bientôt.

Un dimanche, l'an passé, après la Pentecôte, en ce temps-ci justement, il chassait aux cailles dans mon pré, l'herbe haute, prête à faucher, et si belle!... c'était pitié. Moi, voyant ce manége, monsieur, mon herbe confondue, perdue, je ne dis mot, et pourtant il m'en faisait grand mal; mais je me souvenais de Christophe, quand le maire lui prit sa fille unique, et au bout de huit jours la lui rendit gâtée. Je le fus voir alors : Si j'étais de toi, Christophe, ma foi je me plaindrais, lui dis-je. Ah! me ditil, n'est-ce pas monsieur le maire? Pot de fer et pot de terre.... Il avait grand'raison; car il ne fait pas bon cosser avec telles gens, et j'en sais des nouvelles. Me souvenant de ce mot, je regardais et laissais monsieur le maire fouler, fourrager tout mon pré, comme eussent pu faire douze ou quinze sangliers, quand de fortune passent Pierre Houry d'Azai, Louis Bezard et sa femme, Jean Proust, la petite Bodin, allant à l'assemblée. Pierre s'arrête, rit, et en gaussant me dit: La voilà bonne ton herbe; vends-la-moi, Nicolas; je t'en donne dix sous, et tu me la faucheras. Moi, piqué, je réponds: Gageons que je vas lui dire!... Quoi? Gageons que j'y vas. Bouteille, me dit-il, que tu n'y vas pas! Bouteille? je lui tape dans la main. Bouteille chez Panvert, aux Portes de Fer. Va. Je pars, tenant mon chapeau ; j'aborde monsieur le maire. Monsieur, lui dis-je, monsieur, cela n'est pas bien à vous; non, cela n'est pas bien. Je gagnai la bouteille ainsi ; je me perdis. Je fus ruiné dès l'heure.

Ce qui plus lui fâchait, c'était sa compagnie, ces deux messieurs, et tous les passants regardant. M. le maire est gentilhomme par sa femme, née demoiselle : voilà pourquoi il nous tutoie et rudoie nous autres paysans, gens de peu, bons amis pourtant de feu son père. Il semble toujours avoir peur qu'on ne le prenne pour un de nous. S'il était noble de son chef, nous le trouverions accostable. Les nobles d'origine sont moins fiers, nous accueillent au contraire, nous caressent, et ne haïssent guère

COURIER.

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