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la dépeins, et dans toute la France; chaque jour se renouvelle par quarante mille jeunes prêtres, avec autant de jeunes filles qu'ils aiment parce qu'ils sont hommes, confessent de la sorte, entretiennent tête à tête, visitent parce qu'ils sont prêtres, et n'épousent point parce que le pape s'y oppose. Le pape leur pardonne tout, excepté le mariage, voulant plutôt un prêtre adultère, impudique, débauché, assassin, comme Mingrat, que marié. Mingrat tue ses maîtresses; on le défend en chaire ici on prêche pour lui; là on le canonise. S'il en épousait une, quel monstre! il ne trouverait d'asile nulle part. Justice en serait faite bonne et prompte, comme du maire qui les aurait mariés. Mais quel maire oserait?

Réfléchissez maintenant, monsieur, et voyez s'il était possible de réunir jamais en une même personne deux choses plus contraires que l'emploi de confesseur et le vœu de chasteté ; quel doit être le sort de ces pauvres jeunes gens, entre la défense de posséder ce que nature les force d'aimer, et l'obligation de converser intimement, confidemment avec ces objets de leur amour; si enfin ce n'est pas assez de cette monstrueuse combinaison pour rendre les uns forcenés, les autres je ne dis pas coupables, car les vrais coupables sont ceux qui, étant magistrats, souffrent que de jeunes hommes confessent de jeunes filles, mais criminels, et tous extrêmement malheureux. Je sais là-dessus leur secret.

J'ai connu à Livourne le chanoine Fortini, qui peut-être vit encore, un des savants hommes d'Italie, et des plus honnêtes du monde. Lié avec lui d'abord par nos études communes, puis par une mutuelle affection, je le voyais souvent, et ne sais comme un jour je vins à lui demander s'il avait observé son vœu de chasteté. Il me l'assura, et je pense qu'il disait vrai en cela comme en toute autre chose. Mais, ajouta-t-il, pour passer par les mêmes épreuves, je ne voudrais pas revenir à l'âge de vingt ans. Il en avait soixante et dix. J'ai souffert, Dieu le sait, et m'en tiendra compte, j'espère; mais je ne recommencerais pas. Voilà ce qu'il me dit, et je notai ce discours si bien dans ma mémoire, que je me rappelle ses propres mots.

A Rocca di Papa, je logeais chez le vicaire, où je tombai malade. Il eut grand soin de moi, et prit cette occasion pour me

parler de Dieu, auquel je pensais plus que lui et plus souvent, mais autrement. Il voulait me convertir, me sauver, disait-il. Je l'écoutais volontiers; car il parlait toscan, et s'exprimait des mieux dans ce divin langage. A la fin je guéris; nous devînmes amis; et comme il me prêchait toujours, je lui dis : Cher abbé, demain je me confesse, si tu veux te marier et vivre heureux. Tu ne peux l'être qu'avec une femme, et je sais celle qu'il te faut. Tu la vois chaque jour, tu l'aimes, tu péris. Il me mit la main sur la bouche, et je vis que ses yeux se remplissaient de pleurs. J'ai ouï conter de lui, depuis, des choses fort étranges, et qui me rappelèrent ce qu'on lit d'Origène.

Voilà où les réduit le malheur de leur état. Mais pourquoi, me direz-vous, quand on est susceptible de telles impressions, se faire prêtre?, Hé! monsieur, se font-ils ce qu'ils sont? Dès l'enfance élevés par la milice papale, séduits, on les enrôle; ils prononcent ce vœu abominable, impie, de n'avoir jamais femme, famille, ni maison; à peine sachant ce que c'est, novices, adolescents, excusables par là; car un vou de la sorte, celui qui le ferait avec une pleine connaissance, il le faudrait saisir, séquestrer en prison, ou reléguer au loin dans quelque île déserte. Ce vœu fait, ils sont oints, et ne s'en peuvent dédire : que si l'engagement était à terme, certes peu le renouvelleraient. Aussitôt on leur donne filles, femmes à gouverner. On approche du feu le soufre et le bitume; car ce feu a promis, dit-on, de ne point brûler. Quarante mille jeunes gens ont le don de continence pris avec la soutane, et sont dès lors comme n'ayant plus ni sexe ni corps. Le croyez-vous? De sages, il en est, si sage se peut dire qui combat la nature. Quelques-uns en triomphent; mais combien, au prix de ceux que la grâce abandonne dans ces tentations? La grâce est pour peu d'hommes, et manque même au plus juste. Comment auraient-ils, eux, ce don de continence, jeunes, dans l'ardeur de l'âge, quand les vieux ne l'ont pas ?

Ce curé de Paris, que Vautrin, tapissier, le trouvant avec sa femme, tua et jeta par la fenêtre, il y a peu d'années (l'aventure est connue dans le quartier du Temple; on n'en fit point de bruit, à cause du clergé); ce curé avait soixante ans, et celui de Pezay en a soixante-huit, qui ne l'ont pas empêché,

dernièrement encore, de prendre dans les boues une fille mendiante et tombant du haut mal. Il en fit sa maîtresse : autre affaire étouffée par le crédit des oints, car le père se plaignit, voyant sa fille grosse; mais l'Église intervint. Celui qui ne peut à cet âge s'abstenir d'un objet horrible et dégoûtant, que pensez-vous qu'il ait fait à vingt ou vingt-cinq ans, gouverneur d'innocentes et belles créatures? Si vous avez une fille, envoyez-la, monsieur, au soldat, au hussard, qui pourra l'épouser, plutôt qu'à l'homme qui a fait vœu de chasteté, plutôt qu'à ces séminaristes. Combien d'affaires à étouffer, si tout ce qui se passe en secret avait des suites évidentes, ou s'il y avait beaucoup de maires comme celui de Saint-Quentin! Que d'horreurs laissent entrevoir ces faits, qui transpirent malgré la connivence des magistrats, les mesures prises pour arrêter toute publicité, le silence imposé sur de telles matières! Et sans même parler des crimes, quelles sources d'impuretés, de désordres, de corruption que ces deux inventions du pape, le célibat des prêtres et la confession nommée auriculaire! que de mal elles font! que de bien elles empêchent ! Il le faut voir et admirer là où la famille du prêtre est le modèle de toutes les autres, où le pasteur n'enseigne rien qu'il ne puisse montrer en lui, et, parlant aux pères, aux époux, donne l'exemple avec le précepte. Là, les femmes n'ont point l'impudence de dire à un homme leurs péchés; le clergé n'est point hors du temple, hors de l'État, hors de la loi; tous abus établis chez nous dans les temps de la plus stupide barbarie, de la plus crédule ignorance, difficiles à maintenir aujourd'hui que le monde raisonne, que chacun sait compter ses doigts.

GAZETTE DU VILLAGE.

(1823.)

Ce journal n'est ni littéraire, ni scientifique, mais rustique. A ce titre, il doit intéresser tous ceux que la terre fait vivre, ceux qui mangent du pain, soit avec un peu d'ail, soit avec d'au

tres mets moins simples. Les rédacteurs sont gens connus, demeurant la plupart entre le pont Clouet et le Chêne Fendu, laboureurs, vignerons, bûcherons, scieurs de long et botteleurs de foin, dont les opinions, les principes, n'ont jamais varié, incapables de feindre ou d'avoir d'autres vues que leur propre intérêt, qui, comme chacun sait, est celui de l'État; tranquilles sur le reste, et croyant qu'eux repus, tout le monde a dîné. Paul-Louis, quelque peu clerc, écoute leurs récits, recueille leurs propos, sentences, dits notables, qu'il couche par écrit, et en fait ces articles, sans y rien sous-entendre. Il ne faut point chercher ici tant de finesse. Nous nommons par leur nom les choses et les gens. Quand nous disons un chou, des citrouilles, un concombre, ce n'est point de la cour ni des grands que nous parlons. Si gros Pierre bat sa femme, nous n'irons pas écrire : Le bruit courait hier que M. de G... P... ; ou dans certains salons, on se dit à l'oreille... Nous contons bonnement, comme on conte chez nous, et plaignons l'embarras de nos pauvres confrères, ayant à satisfaire à la fois les lecteurs qui demandent du vrai, le gouvernement qui prétend que nulle vérité n'est bonne à dire.

Monsieur le maire a entendu la messe dans sa tribune. Après le service divin, monsieur le maire a travaillé dans son cabinet avec monsieur le brigadier de la gendarmerie; ensuite de quoi ces messieurs ont expédié leur messager, dit le Bossu, avec un paquet pour monsieur le préfet en main propre. Nous savons cela de bonne part, et le porteur doit revenir avec la réponse ou le reçu: même on l'a vu passer pres de la Ville aux Dames, où il a bu un coup. Quant au contenu de la dépêche, rien n'a transpiré. On soupçonne qu'il s'agit de quelques mauvais sujets qui veulent danser le dimanche et travailler le jour de SaintGilles.

Madame, femme de monsieur le maire, est accouchée d'un gentilhomme, au son des cloches de la paroisse.

Les rossignols chantent, et l'hirondelle arrive; voilà la nouvelle des champs. Après un rude hiver et trois mois de fâcheux temps, pendant lesquels on n'a pu faire charrois ni labours, l'année s'ouvre enfin, les travaux reprennent leur cours. Charles Avenet est en prison pour avoir parlé aux soldats.

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Revenant hier de Sainte-Maure, il rencontra quelques soldats, et les mena au cabaret. Ils furent bientôt bons amis; Avenet a servi longtemps; il est membre, non chevalier de la Légion d'honneur. En buvant bouteille, Camarades, leur dit il, qu'il ne vous déplaise, où allez-vous le sac au dos? A l'armée, dirent ces jeunes gens. Fort bien. Et demandant une seconde bouteille : Qu'allez-vous faire? Hé! mais, la guerre apparemment. Fert bien, répond Avenet. A la troisième bouteille : Çà, dites-moi, pour qui allez-vous faire la guerre ? Ils se mirent à rire. On parla des affaires. Deux gendarmes étaient là, qui, connaissant Avenet, l'appellent et lui disent: Va-t'en, Avenet, va-t'en. Il les crut, s'en alla; les gendarmes aussi. Mais il revint bientôt, rejoignit ses convives, et reprit son propos. Alors on l'arrêta. C'étaient d'autres gendarmes. On l'a mis au cachot. Le cas est grave: il a dit ce qui se dit entre soldats, après trois bouteilles bues.

Les vaches ne se vendent point. Les filles étaient chères à l'assemblée de Véretz, les garçons hors de prix. On n'en saurait avoir. Tous et toutes se marient à cause de la conscription. Deux cents francs un garçon ! sans le denier à Dieu, sabots, blouse et chapeau pour la première année. Une fille, vingt-cinq écus. La petite Madelon les refuse de Jean Bedout; encore ne sait-elle boulanger ni traire.

On voit dans nos campagnes des gens qui, ne gagnant rien, dépensent gros, étrangers, inconnus. L'un, marchand d'allumettes, l'autre, venu pour vendre un cheval qui vaut vingt francs, s'établissent à l'auberge, et mangent dix francs par jour. Ils font des connaissances, jouent et payent à boire les dimanches, les jours de fête ou d'assemblée. Ils parlent des Bourbons, de la guerre d'Espagne; causent et font causer: c'est leur état. Pour cela, ils vont par les villages, non pour aucun négoce. On appelle ces gens, à la ville, des mouchards; à l'armée, des espions; à la cour, des agents secrets; aux champs, ils n'ont point de nom encore, n'étant connus que depuis peu. Ils s'étendent, se répandent à mesure que la morale publique s'organise.

- M. le maire est le télégraphe de notre commune; en le voyant, on sait tous les événements. Lorsqu'il nous salue, c'est que l'armée de la Foi a reçu quelque échec; bonjour de lui veut dire une défaite là-bas. Passe-t-il droit et fier? la bataille est ga

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