Page images
PDF
EPUB

Peut-être, si la voix ne m'eût été coupée,
L'affreuse vérité me serait échappée.

Hippolyte est sensible, et ne sent rien pour moi !
Aricie a son cœur ! Aricie a sa foi !

Ah dieux! Lorsqu'à mes vœux l'ingrat inexorable
S'armait d'un œil si fier, d'un front si redoutable,
Je pensais qu'à l'amour son eœur toujours fermé
Fût contre tout mon sexe également armé :.
Une autre cependant a fléchi son audace ;
Devant ses yeux cruels une autre a trouvé grâce.
Peut-être a-t-il un cœur facile à s'attendrir :
Je suis le seul objet qu'il ne saurait souffrir.
Et je me chargerais du soin de le défendre !

SCÈNE VI

PHÈDRE, ENONE.

PHÈDRE.

Chère Œnone,sais-tu ce que je viens d'apprendre?

Non;

NONE.

mais je viens tremblante, à ne vous point mentir :

J'ai pâli du dessein qui vous a fait sortir ;

J'ai craint une fureur à vous-même fatale.

PHÈDRE.

Enone, qui l'eût cru! j'avais une rivale !

NONE.

Comment ?

PHÈDRE.

Hippolyte aime; et je n'en puis douter. Ce farouche ennemi qu'on ne pouvait dompter, Qu'offensait le respect, qu'importunait la plainte, Ce tigre, que jamais je n'abordai sans crainte, Soumis, apprivoisé, reconnaît un vainqueur : Aricie a trouvé le chemin de son cœur.

Aricie?

NONE.

PHEDRE.

Ah douleur non encore éprouvée !

A quel nouveau tourment je me suis réservée !
Tout ce que j'ai souffert, mes craintes, mes transports,
La fureur de mes feux, l'horreur de mes remords,
Et d'un refus cruel l'insupportable injure,

N'était qu'un faible essai du tourment que j'endure.
Ils s'aiment! Par quel charme ont-ils trompé mes yeux?
Comment se sont-ils vus? depuis quand? dans quels lieux?
Tu le savais pourquoi me laissais-tu séduire ?
De leur furtive ardeur ne pouvais-tu m'instruire?
Les a-t-on vus souvent se parler, se chercher ?
Dans le fond des forêts allaient-ils se cacher?
Hélas! ils se voyaient avec pleine licence;
Le ciel de leurs soupirs approuvait l'innocence;
Ils suivaient sans remords leur penchant amoureux;

Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux :
Et moi, triste rebut de la nature entière,

Je me cachais au jour, je fuyais la lumière ;
La mort est le seul dieu que j'osais implorer.
J'attendais le moment où j'allais expirer :
Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée,
Encor, dans mon malheur de trop près observée,
Je n'osais dans mes pleurs me noyer à loisir,
Je goûtais en tremblant ce funeste plaisir ;

Et, sous un front serein déguisant mes alarmes ;
Il fallait bien souvent me priver de mes larmes.

NONE.

Quel fruit recevront-ils de leurs vaines amours ?
Ils ne se verront plus.

PHÈDRE.

Ils s'aimeront toujours!

Au moment que je parle, ah mortelle pensée !
Ils bravent la fureur d'une amante insensée :
Malgré ce même exil qui va les écarter,

Ils font mille sermens de ne se point quitter.
Non, je ne puis souffrir un bonheur qui m'outrage,
Enone; prends pitié de ma jalouse rage.

Il faut perdre Aricie ; il faut de mon époux
Contre un sang odieux réveiller le courroux:
Qu'il ne se borne pas à des peines légères;
Le crime de la sœur passe celui des frères.
Dans mes jaloux transports je le veux implorer.

Que fais-je ? où ma raison se va-t-elle égarer? Moi jalouse! et Thésée est celui que j'implore! Mon époux est vivant ; et moi je brûle encore !

J'ai

Pour qui? quel est le cœur où prétendent mes vœux? Chaque mot sur mon front fait dresser mes cheveux. Mes crimes désormais ont comblé la mesure : Je respire à-la-fois l'inceste et l'imposture; Mes homicides mains, promptes à me venger, Dans le sang innocent brûlent de se plonger. Misérable! Et je vis! et je soutiens la vue De ce sacré soleil dont je suis descendue! pour aïeul le père et le maître des dieux; Le ciel, tout l'univers est plein de mes aïeux : Où me cacher? fuyons dans la nuit infernale. Mais que dis-je! mon père y tient l'urne fatale ; Le sort, dit-on, l'a mise en ses sévères mains : Minos juge aux enfers tous les pâles humains. Ah! combien frémira son ombre épouvantée Lorsqu'il verra sa fille, à ses yeux présentée, Contrainte d'avouer tant de forfaits divers, Et des crimes peut-être inconnus aux enfers! Que diras-tu, mon père, à ce spectacle horrible? Je crois voir de ta main tomber l'urne terrible; Je crois te voir, cherchant un supplice nouveau, Toi-même de ton sang devenir le bourreau. Pardonne. Un dieu cruel a perdu ta famille :

Reconnais sa vengeance aux fureurs de ta fille.

Hélas! du crime affreux dont la honte me suit
Jamais mon triste cœur n'a recueilli le fruit
Jusqu'au dernier soupir de malheurs poursuivie,
Je rends dans les tourmens une pénible vie.

NONE.

Hé! repoussez, madame, une injuste terreur,
Regardez d'un autre œil une excusable erreur.
Vous aimez. On ne peut vaincre sa destinée :
Par un charme fatal vous fûtes entraînée.
Est-ce donc un prodige inoui parmi nous ?
L'amour n'a-t-il encor triomphé que de vous?
La faiblesse aux humains n'est que trop naturelle :
Mortelle, subissez le sort d'une mortelle.

Vous vous plaignez d'un joug imposé dès long-tems :
Les dieux mêmes, les dieux de l'Olympe habitans,
Qui d'un bruit si terrible épouvantent les crimes,
Ont brûlé quelquefois de feux illégitimes.

PHÈDRE.

Qu'entends-je ! Quels conseils ose-t-on me donner?
Ainsi donc jusqu'au bout tu veux m'empoisonner,
Malheureuse! Voilà comme tu m'as perdue.
Au jour que je fuyais c'est toi qui m'as rendue ;
Tes prières m'ont fait oublier mon devoir :
J'évitais Hippolyte ; et tu me l'as fait voir.

De quoi te chargeais-tu ? Pourquoi ta bouche impic
A-t-elle, en l'accusant, osé noircir sa vie ?

Il en mourra peut-être, et d'un père insensé

« PreviousContinue »