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première assemblée avoit perdu la France, ils approchoient beaucoup de la vérité; mais en désignant Robespierre pour le sauveur de la Patrie, ils présageoient les douloureuses convulsions qui devoient la déchirer. L'opinion qu'ils concevoient de lui, prouve aussi qu'à cette époque il étoit déjà parmi eux en grande faveur.

Un témoin oculaire m'a raconté que vers cette époque où l'assemblée constituante touchoit à la fin de ses travaux, une députation des Jacobins de Nancy étant venue à Paris, rechercha Robespierre et lui donna un repas, pendant lequel on parla beaucoup de la constitution qui alloit être sanctionnée par le roi: Robespierre, qui en général parloit peu, se borna à exprimer son opinion en ce peu de mots : TOUTE ESPÈCE 'DE CONSTITUTION EST ABSURDE EN FRANCE; IL N'EN FAUT POINT ; et probablement celle dont il s'agit ne durera pas long-temps, par l'impulsion des circonstances qui s'y opposent, et qui ne manqueront pas de développer les causes et les moyens de sa nullité. Ces mots sont fort remarquables, en ce qu'ils donnent la mesure de la politique de Robespierre, et qu'ils avertissent tous les gouvernemens que ses disciples sont de véritables anarchistes.

Enfin les membres de la première assemblée nationale, effrayés eux-mêmes des orages qu'ils

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avoient amassés sur la France, abandonnèrent. le gouvernail qu'ils ne pouvoient plus tenir. Les travaux qui émanèrent de cette première assemblée, et qui furent exclusivement l'ouvrage du côté gauche, eurent moins pour objet le bonheur de la Nation que l'anéantissement du parti des royalistes. L'ensemble de ses décrets, dont chacun avoit pour but un intérêt particulier et non un intérêt général, fut moins un code de législation qu'un recueil de loix pénales contre ceux qui restoient fidèles à l'ancienne constitution de la France.

Les places, les emplois qu'occupoient les hommes de ce dernier parti, passèrent à leurs adversaires. La Cour, les tribunaux, les corps administratifs, les armées, se remplirent de membres du côté gauche. Robespierre ne se montra pas plus désintéressé que ses collègues : il fut nommé président du tribunal du district de Versailles. Ces sortes de tribunaux, lorsqu'il obtint cette présidence, jugeoient les affaires criminelles comme les civiles, parce que lės jurys qu'il s'agissoit d'établir, n'étoient point encore. organisés.

Les intrigans aiment les grands théâtres : celui de Versailles ne parut point à Robespierre digne de l'essor qu'il croyoit avoir pris, non plus que de la réputation qu'il pensoit s'être acquise. Il se

trouva déplacé loin du centre des mouvemens, et craignit que son absence ne lui fît perdre la faveur des partisans qu'il s'étoit fait dans la capitale. Il sollicita, et obtint la place d'accusateur public au tribunal criminel du département de Paris. Au grand étonnement des gens de bien, il remplit les fonctions de président, et ensuite celles d'accusateur public, sans éclat, et même sans une partialité trop marquée. Il n'est du moins pas venu à ma connoissance que, dans l'une ou l'autre place, il ait commis des injustices criantes, ni qu'il ait abusé de l'autorité qu'elles lui donnoient pour combattre avec le glaive de la justice ceux qui ne partageoient point les opinions dominantes.

Cette modération, qui semble contradictoire avec la férocité de cet homme de sang, mérite d'être observée, et n'est point difficile à expliquer. Pour commettre soi-même le crime, il faut de l'énergie; il n'en faut aucune pour desirer le malheur de ses semblables, et jouir des forfaits que d'autres ont commis. Cartouche Raffiat, Mandrin, égorgeoient de leurs propres mains les victimes dont ils convoitoient les dépouilles. Ils avoient dans l'ame cette force qui la met au-dessus des remords, et fait taire les alarmes de la conscience. Robespierre étoit audessous de ces scélérats.

Néron contemploit avec plaisir le cadavre de sa mère; mais il n'avoit point osé déchirer luimême le sein où il avoit reçu la vie. Les minis

tres de ses plaisirs, empressés à servir ses goûts, dépouilloient des malheureux de leurs vêtemens, suspendoient leurs corps à des arbres, les enduisoient de résine, et y mettoient le feu. Néron, au milieu des ombres de la nuit, promenoit son char parmi ces épouvantables flambeaux, son ame savouroit cette invention digne des enfers, les cris déchirans des victimes composoient pour son oreille une mélodie délicieuse ; mais ce n'étoit point lui qui avoit allumé ces horribles feux.

Tel fut Robespierre : le sang étoit son élément; mais il ne se trouvoit point assez de force pour le répandre lui-même. Il n'eût osé regarder en face l'innocent que ses machinations auroient conduit au pied du tribunal où il siégeoit ; encore moins eût-il osé le frapper lui-même du glaive déposé entre ses mains. Il avoit, en un mot, l'instinct du tigre, mais non l'énergie des bourreaux.

D'ailleurs, à l'époque où Robespierre exerça cette magistrature, la France, il est vrai, avoit eu à rougir de plus d'une atrocité; mais toute pudeur n'étoit pas bannie de notre malheureuse Patrie. Parmi les membres du tribunal où Robespierre exerçoit son ministère, il se fût trouvé des

hommes que les assassinats eussent révoltés. Il lui eût fallu livrer un combat à chaque proie qu'il eût voulu déchirer. Le temps, en un mot, n'étoit pas encore venu de mettre dans le temple de la Justice le meurtre à l'ordre du jour.

Il est vraisemblable que ces considérations contribuèrent à comprimer l'ardeur de Robespierre pour le carnage, et à le dégoûter d'une place où il ne pouvoit pas marcher rapidement vers le mal. Il la quitta, et y eut pour successeur l'exgarde des sceaux Duport-du-Tertre, qui, annonçant de l'intégrité et une résolution bien prononcée de combattre son prédécesseur, fut une des premières victimes que cette faction im

mola.

Robespierre vendu tout entier à ses complices, partagea son temps entre les séances des Jacobins et celles des divers conciliabules où s'excitoient les tempêtes qui signalèrent presque chacun des jours du règne de la seconde assemblée nationale. Dans la première on avoit vu les constitutionnels diriger tous leurs efforts, tous leurs travaux contre les royalistes. Dans la seconde, les républicains semblèrent n'avoir d'autre but que d'abattre les constitutionnels. Le parti de ceux-ci avoit dévoré celui des royalistes; le parti des républicains dévora celui des constitution

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