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maisons de Lorraine et de Brandebourg, trente départemens.

Veut-on une idée des burlesques inventions de son esprit, et de la manière vraiment risible dont il les présentoit au public? « Les fugitifs >> Luxembourgeois, disoit-il dans son numéro 17, » sous prétexte de chasse, s'assemblent souvent >> en conseil dans une forêt qui sépare Luxembourg » de Thionville. Nous prions nos lecteurs, ajoutoit>>il, de ne point perdre de vue ce qui se passe » sur nos frontières : nous ne nous lasserons ja» mais de le dire, jusqu'à ce que tout soit con» sommé, ainsi qu'il arrivera si l'on n'y prend >> garde >>.

Veut-on enfin connoître jusqu'où alloient les forces de son éloquence? « Ah! mes frères, s'é>> crioit-il dans un autre numéro, des alarmes » sont données de tous côtés: Que l'union vous »préside toujours! Cessez momentanément tous >> vos travaux, veillez dans vos districts jour et >> nuit, et sacrifiez tout à l'union: il en coûte si »peu pour la liberté ! Qu'est-ce qu'un moment >>de fatigue et d'ennui quand il s'agit de l'union » et de la liberté ? Tous les jours on découvre >> de nouvelles conspirations. Que l'union reste >> toujours au milieu de vous. Des libellistes sou» doyés essaient de répandre du ridicule sur les >> membres les plus vertueux de l'assemblée;

» Ah! mes frères

>> l'union! >>

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Telle est la manière dont écrivoit Robespierre, lorsqu'il n'étoit point assez riche pour payer ce qu'un autre avoit écrit et pensé. Tel est l'homme devant lequel la France s'est courbée, et a tremblé.

Les membres de la première assemblée nationale n'eussent jamais imaginé que nous en viendrions à ce point de dégradation. Robespierre étoit pour eux un objet de risée; ils le baffouoient, ils s'égayoient sur son compte : se plaisant à le comparer à Mirabeau, comme on aime quelquefois à comparer les extrêmes, ils disoient que Mirabeau étoit le flambeau de la Provence, et Robespierre la chandelle d'Arras. C'est en conséquence du mépris qu'il leur inspiroit, qu'on ne l'admit jamais dans aucun des comités de cette première assemblée : on ne l'éleva jamais à la présidence; il fut une seule fois secrétaire..

Parmi ces fameux conspirateurs dont l'histoire nous a transmis les entreprises, plusieurs sans doute ne trouvoient ni dans leur cœur ni dans leur esprit des ressources propres à seconder leur ambition; mais du moins ils avoient quelques-uns de ces avantages extérieurs qui attirent les regards de la multitude et la séduisent.

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Ainsi ce Beaufort, qu'on surnomma le roi des halles, mérita ce surnom par des manières franches et affables, par une physionomie noble et ouverte, par une taille avantageuse : c'étoit là le charme qui lui faisoit exciter ou appaiser à son gré des émeutes. Il ne pouvoit se montrer en public, que des femmes du petit peuple n'accourussent autour de lui pour lui prodiguer leurs

caresses.

Robespierre si disgracié du côté de l'ame et du caractère, ne l'étoit guère moins du côté des formes extérieures, et jamais factieux n'eut aussi peu de moyens de se faire suivre, même de la canaille : sa taille mal dessinée, sans justesse dans les proportions, sans graces dans les contours, étoit un peu au-dessous de la médiocre ; il avoit dans les mains, dans les épaules, dans le col, dans les yeux, un mouvement convulsif; sa physionomie, son regard, étoient sans expression ; il portoit sur son visage livide, sur son front qu'il ridoit fréquemment, les marques d'un tempérament bilieux; ses manières étoient brutales; sa démarche étoit tout-à-la-fois brusque et pesante : les inflexions aigres de sa voix frappoient désagréablement l'oreille ; il crioit plutôt qu'il ne parloit. Le séjour de la capitale n'avoit pu vaincre entièrement la dureté de son organe: dans la prononciation de plusieurs mots, il laissoit deviner

l'accent de sa province, ce qui achevoit de dépouiller ses discours de toute mélodie.

Quoiqu'il eut la vue fort bonne, il imagina dans la dernière année de sa vie de ne paroître en public qu'avec des lunettes : cette mode nous avoit été apportée par le même Franklin dont j'ai parlé plus haut. Franklin, vieux et infirme, ne pouvoit se passer de ce secours; mais on le disoit savant en physique et profond en politique: on crut s'élever à cette double réputation en se donnant ce trait de ressemblance avec un vieillard dont les organes n'étoient pas moins affoiblis par la maladie que par l'âge. Encore aujourd'hui des jeunes gens de seize à dix-huit ans se font une gloire de marcher toujours avec des lunettes, et regardent comme un ornement ce signe de caducité, dont la vieillesse s'afflige d'avoir besoin : l'amour-propre trouve aussi son compte dans l'adoption de cet usage bizarre. On s'est imaginé qu'il étoit d'une sage politique de ne point laisser deviner par le mouvement de ses yeux, les impressions que l'on reçoit des objets extérieurs. Plusieurs de ceux qui ont quelque part aux affaires publiques ont adopté cette opinion, et en paroissant en public la vue ainsi voilée, on pense faire croire qu'on est homme d'état. C'est vraisemblablement en conséquence d'une telle opinion, que Robespierre avoit imaginé de je

ter aussi sur ses yeux ce voile qui ne pouvoit cacher son insuffisance.

C'est pourtant un tel homme que la Nation la plus fière de l'Europe a vu régner despotiquement sur elle; c'est un tel homme qui, n'ayant dans son propre fond aucune ressource, est cependant venu à bout de dévorer tous les partis ennemis de sa faction, de dominer sa faction elle-même, d'écraser tous ses rivaux : voilà un de ces phénomènes politiques qui étonnent d'abord l'imagination; mais rien dans le bouleversement des empires ne devient impossible; et Cromwel disoit avec raison, que l'on ne montoit jamais plus haut que lorsqu'on ne savoit où on alloit. Les succès de Robespierre sont expliqués par ce peu de mots. Ce qui est vraiment inconcevable, ce n'est pas qu'il soit monté sur un trône, c'est qu'il ait été assez inhabile pour n'avoir pas su s'y maintenir.

Ce misérable commença à se faire remarquer, son nom commença à retentir parmi nous, quelques mois après que la première assemblée nationale eut établi dans la capitale le siége de ses séances. Le club des Bretons se grossit à Paris de presque tous les membres du côté gauche, et de plusieurs particuliers étrangers à l'assemblée: cette nombreuse association choisit pour tenir ses séances le couvent qu'occupoient dans la rue

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