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Les novateurs, parfaitement d'accord entre eux pour couvrir la France de débris, se divisèrent lorsqu'il fut question de construire un nouvel édifice à la place de celui qu'ils avoient abattu. La vanité, la présomption égarèrent les esprits, aigrirent, aliénèrent les cœurs. Chacun s'érigea en législateur, se complut en ses propres conceptions, et mit tout en œuvre pour conquérir des partisans au plan qu'il avoit adopté, pour faire rejeter celui qu'il n'avoit point imaginé.

De-là naquirent les sectes, les factions, les partis qui ont fait succéder les révolutions aux révolutions, sans que nous puissions encore aujourd'hui dire quel sera le terme où le calme succédera à cette continuité d'orages.

Il est temps de révéler une vérité affligeante, qui soulevera peut-être contre l'écrivain assez courageux pour la présenter, les hommes plus jaloux de goûter le pouvoir que de recueillir les lumières qui apprennent à en user. N'importe : l'intérêt public l'exige, je la révélerai. On s'étonne de ce que ce bonheur que nos premiers représentans nous avoient annoncé devoir être le fruit nécessaire de leurs travaux, n'a été qu'un songe qui, à notre réveil, s'est évanoui pour toujours. Nous demandons comment, malgré tous les sacrifices que nous avons faits, toutes les facilités que nous avons données à ceux qui nous gou

vernent, de combler nos vœux, nous luttons cependant depuis cinq ans contre toutes les sortes de calamités, et n'osons attendre de l'avenir qu'un état plus désastreux encore que notre sort actuel ?

Voici la cause de ce triste phénomène. Nos malheurs viennent de ce que, depuis cinq ans, ce sont des partis qui gouvernent. Toute république divisée en plusieurs partis, n'a ni ordre ni bonheur à espérer, parce que les loix y sont faites en faveur des vainqueurs, et non pour le bien général; toute république qui règne plus par les partis que par les loix, est nécessairement dans un état continuel de division. Le parti qui parvient à dominer, ne peut se défendre des germes, des moyens de division que lui-même a créés pour son salut.

Nous voyons depuis cinq ans se renouveler parmi nous les scènes déplorables qui, dans le quinzième siècle, déchirèrent une république d'Italie, et finirent par lui donner la mort. On vit à Florence les Guelfes succéder aux Gibelins; les uns et les autres détruits, la ville se divisa en blancs et en noirs. Ces deux partis éteints, firent place aux Ricci et aux Albizi: ces derniers l'ayant emporté sur les premiers, se divisèrent à leur tour. D'un côté étoient les grands, de l'autre le peuple : le peuple, resté seul maître, se divisa à

son tour en trois partis, les riches, le peuple, la populace. Changez les noms de ces divers partis, et vous aurez l'histoire de France pendant cinq ans. Quand le corps politique se reposera-t-il de tant d'agitations? Quand ce sera la loi, et non un parti qui régnera; quand la puissance à qui est confié le timon de l'état, ne sera point divisée avec elle-même; quand elle sera une, et n'aura pour but de ses travaux que le bien de tous. Que veulent dire ces burlesques dénominations de montagne et de marais? Qu'il est beau de voir le Sénat français changé en une arène de gladiateurs! Et comment veut-on maintenir dans

le

corps politique cette unité dont on fait tant de bruit, si elle n'est pas dans la puissance qui gouverne? Comment voguera le vaisseau de l'état, si ceux qui doivent en diriger la manœuvre en laissent-là le gouvernail pour s'entredétruire?

Il importe que je fasse connoître les vues des divers partis qui prirent naissance dans la première assemblée nationale, afin qu'on puisse mieux juger de la contenance que prit Robespierre au milieu de ce chaos, et qu'on puisse mieux appercevoir par quelle route il étoit parvenu à cette hauteur d'où il a été précipité sur l'échafaud.

Parmi ces divers partis, l'un, et ce n'étoit ni le

moins nombreux, ni le moins recommandable par sa fortune et ses lumières, demandoit le gouvernement d'un seul, modéré par des loix fondamentales et des formes conservatrices de la liberté publique et individuelle.

A la suite des royalistes venoient ceux qui se donnèrent le nom d'impartiaux, voulant faire entendre qu'ils ne tenoient à aucun parti, tandis qu'ils en formoient un bien prononcé. Ce parti avoit à sa tête des hommes éclairés et d'un mérite peu ordinaire. Admirateurs enthousiastes de la constitution anglaise, ils vouloient la donner aux Français, comme s'il étoit bien démontré que tout fût également admirable dans la constitution anglaise ; comme si un peuple pouvoit, sans s'exposer à une entière dissolution, changer brusquement de constitution; comme si tout régime étoit bon à toute nation.

Montesquieu étoit l'oracle des hommes de ce parti, tandis que ce même Montesquieu a écrit (1) que << les loix doivent être tellement propres au >> peuple pour lequel elles sont faites, que c'est >> un hasard si celles d'une nation peuvent conve>>nir à une autre nation ».

Les impartiaux vouloient une révolution : ils

(1) Esprit des Loix, liv. 1, chap. 3.

virent sans déplaisir le soulévement de la capitale et des provinces, le massacre de la garnison de la Bastille, l'assassinat des Flesselles, des Bertier, des Foulon. Mais comme ils entendoient seulement mettre la Cour dans l'impuissance d'empêcher l'exécution de leurs projets, ils crurent ces scènes suffisantes pour l'enchaîner, et voulurent s'arrêter là. Ce fut une de leurs erreurs de croire qu'ils le pourroient. « Que personne, dit Machia» vel, ne pense à exciter un soulévement dans >> l'espérance qu'il pourra l'arrêter à son gré ».

Comme ceux qui composoient le parti des royalistes étoient la plupart, ou prêtres ou nobles, et que, suivant les formes antiques de nos états-généraux, ils étoient placés à la droite du président, on donna à cette portion de l'assemblée le nom de côté droit. Ce fut là que vinrent s'asseoir les impartiaux, et tous ceux qui partageoient leur opinion ou celle des royalistes. Ce fut contre ce côté qu'on dirigea les diatribes des journalistes, les huées des tribunes. Ce ne fut point là que Robespierre prit place.

La seconde division de l'assemblée, par opposition à la première, prit le nom de côté gauche. Ce fut sur ce côté que les tribunes versèrent leur faveur et leurs applaudissemens, les journalistes leurs éloges. Ce fut là que Robespierre siégea. Mais ce côté gauche lui-même étoit divisé en

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