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sous la bannière des habitans de la campagne, il dédaigna de tels cliens; leur aversion pour les paratonnerres lui parut un superstitieux entêtement, digne seulement de sa pitié. Il laissa donc là le parti où, conformément aux idées qu'il rou loit alors dans son esprit, il ne voyoit que rusticité et qu'ignorance. La richesse et le savoir eurent son premier hommage. Il ambitionna les applaudissemens et la faveur de ces propriétaires des villes, de ces savans, de ces honnêtes-gens dont dans la suite il parla avec tant de mépris. Il s'ouvrit à ses protecteurs; les promesses dont il les berça, les prières dont il les fatigua, les engagèrent à se rendre à ses desirs. Leurs sollicitations auprès des partisans des paratonnerres, déterminèrent ceux-ci à le prendre pour leur défenseur.

Dès qu'on sut dans Arras que Robespierre étoit chargé de cette singulière cause, tous les yeux se tournèrent vers lui, tous les esprits furent dans l'attente. Ses protecteurs et ses émissaires répandirent dans le public qu'il traiteroit la question d'une manière absolument neuve, et propre à lui conquérir la considération universelle. Après avoir long-temps préparé ses armes dans le silence du cabinet, il se présenta enfin au combat. Pour répandre sa gloire plus au loin et la rendre plus durable, il voulut faire précéder sa plaidoirie

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d'un écrit en forme de mémoire sur les para

tonnerres.

Plus il avoit promis, et plus l'empressement à se procurer cet écrit fut grand; mais on n'y trouva ni style, ni goût, ni connoissance de notre langue. Quant à la question qui en faisoit le sujet, elle y étoit traitée avec une telle ineptie, une telle ignorance des premiers élémens de la physique, qu'on eût dit que l'auteur n'avoit jamais rien vu, rien lu, rien lu, rien entendu sur les phénomènes de l'électricité. La publicité de ce mémoire acheva de dépouiller Robespierre de toute espèce de considération. Il fut jugé irrévocablement par ces mêmes honnétes gens dont il avoit ambitionné les suffrages ; ils le regardèrent comme un homme sans intelligence, à qui un de ces métiers grossiers et faciles, où la seule habileté des mains suffit, eût mieux convenu que la noble profession qu'il avoit embrassée. La plaidoirie n'eut point lieu; les deux partis s'accommodèrent, et Robespierre retomba dans une obscurité pire que celle à laquelle il avoit voulu échapper. Les cliens l'abandonnèrent pour toujours; son humiliation fut complète.

Robespierre eût végété pendant le reste de ses jours dans l'indigence et l'oubli, si nous n'eussions point vu renaître parmi nous une de ces assemblées nationales, dont le souvenir étoit perdu de

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puis près de deux siècles. Quelle époque je rappelle! Quelles idées, quelles douleurs elle réveille! Ah! qu'ils sont coupables les malheureux qui, pouvant sauver la France, l'ont couverte de plaies! De quelle gloire ne seroit-elle pas rayonnante aujourd'hui, de quelle félicité ne jouiroient pas ses infortunés habitans, si ceux qui manifestèrent la prétention de la régénérer, eussent eu dans le cœur une étincelle de cet amour de la patrie, dont on ne parle jamais plus que lorsqu'on le

connoît moins?

Hélas! regrets superflus! De la sentine de tous les vices, du sein d'une corruption presque univer; selle, que pouvoit-il s'exhaler qu'un air pestiféré, propre seulement à donner la mort au corps politique? La mollesse, le luxe, l'avarice, la jalousie, la licence des mœurs, des écrits empoisonnés, des demi-lumières, l'abus des connoissances, un mépris stupide des coutumes et de la vertu de nos ancêtres, la lassitude du bien, l'amour irréfléchi des nouveautés, avoient dégradé la plupart des Français. Tous ceux qui étoient perdus de dettes, tous ceux qui avoient consumé leur fortune au jeu ou dans la débauche, les intrigans qui vouloient vendre leurs suffrages, les méchans qui se proposoient de trafiquer du malheur de la France, les ambitieux qui se promettoient d'arracher par ruse ou par force les dignités

èt les places qu'ils n'eussent jamais obtenues dans des temps paisibles, les impudiques, les adultères, les parjures, des débiteurs infidèles, des hommes flétris par les tribunaux, se mêlèrent au petit nombre de gens de bien que comptoit encore la Patrie, et briguèrent avec fureur la gloire d'être, comme eux, membres de la première assemblée nationale. Des vues puériles, ou sordides, ou criminelles, guidoient la plupart des candidats. L'intérêt de la chose publique n'en étoit pas moins dans toutes les bouches, dans tous les écrits. Mais combien peu l'avoient dans le cœur ! Les moins coupables furent ceux qui brûloient du desir ridicule de faire montre sur un grand théâtre du vain talent de bien dire, comme si les peuples se gouvernoient avec des discours

oratoires.

Robespierre, que tant d'épreuves malheureuses auroient dû avertir de son insuffisance à s'occuper des grandes affaires qui attendoient aux états-généraux les représentans de la nation, fut cependant un des plus empressés à se ranger parmi les candidats. Le mépris qu'il inspiroit généralement à ses compatriotes, sur-tout depuis sa pitoyable apologie des paratonnerres, le convainquit qu'il brigueroit en vain les suffrages des citoyens d'Arras. Il rechercha donc ceux de ces mêmes habitans des campagnes qu'il avoit

dédaignés quelque temps auparavant. Ainsi l'homme sans principes et sans caractère marche au gré des circonstances, et n'offre son encens qu'à la divinité qui peut le payer.

Robespierre parcourut tous les villages et tous les hameaux de l'Artois. Son éloquence inculte étoit digne de pareils théâtres. Dans ces courses, que l'ambition seule lui fit entreprendre, il se montra à-peu-près tel qu'il devoit être un jour. Ce ne fut point l'amour de la Patrie qu'il alluma dans les cœurs. Vil factieux, il secoua par-tout sur son passage le flambeau de la discorde.

A tous il disoit : « Nommez-moi votre repré>> sentant aux états-généraux, et vous serez >> exempts pour toujours des charges que jusqu'à » présent on a exigées de vous sous prétexte des >> besoins de l'état. Elles seront portées exclusi>vement par ceux dont la fortune est au-dessus >> de la vôtre, par ceux qui dans le sein des villes, >> consomment les fruits de votre travail. Ce ne >> sera pas le seul bienfait dont vous jouirez, si j'ob >> tiens d'être un de vos représentans : il y a assez >> long-temps que les riches sont seuls en posses>>sion de goûter le bonheur. Il est temps que >> leurs biens passent dans d'autres mains. Les >> châteaux seront abattus. Toutes les terres qui en » dépendent, vous seront distribuées par égales >> portions >>.

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