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n'eut pas plus de succès au barreau d'Arras qu'il n'en auroit eu à celui de Paris. Il y fut ignoré, et ne put jamais se placer même à côté des avocats médiocres.

Il se présenta cependant une occasion où l'on crut qu'il alloit enfin sortir de cette ignoble obscurité. Tout est de mode en France, les vérités comme les mensonges. Trois fameux empyriques ont paru dans ces derniers temps parmi nous : Necker, Mesmer, Cagliostro. Le premier n'a pas été le moins dangereux. Tous les trois ont eu des autels en France et des adorateurs enthousiastes.› Les promesses emphatiques du premier avoient une magie qui troubla les esprits, aliéna les têtes, et ne laissa en France qu'un petit nombre de sages. Le second fit croire à la foule innombrable de ses disciples, qu'il avoit un génie supérieur à celui de Newton, et une puissance de guérir aussi miraculeuse que celle de l'Esculape de la Fable; il leur fit croire encore qu'il avoit l'art de produire je ne sais quel état qu'il appeloit somnambulisme, pendant la durée duquel celui qui en étoit frappé lisoit dans l'avenir avec une merveilleuse facilité. Le troisième persuada à des philosophes qui nioient l'existence de l'Être suprême, qu'il évoquoit les ombres et

conversoit avec elles.

Une autre folie nous arriva du continent de

l'Amérique. Les colonies que les Anglois avoient dans le nord de ce continent, se séparèrent de la métropole. Elles avoient besoin d'alliés pour

se maintenir dans leur insurrection. Des ambassadeurs vinrent en Europe solliciter l'amitié des divers souverains. Franklin, homme jusqu'à cette époque peu connu, nous fut adressé. La science ne s'est point encore naturalisée dans le monde découvert par Christophe Colomb. Franklin avoit voyagé en Angleterre, et en avoit rapporté en Amérique quelques livres et quelques notions de physique. Son goût pour cette science le porta à en étudier les phénomènes. Quelques expériences qui étoient de simples amusemens, passèrent aux yeux de ses concitoyens pour des découvertes, et lui valurent de leur part une haute réputation. Il l'apporta en France où elle s'accrut considérablement, par ce penchant qu'ont ses habitans de pousser toujours à l'excès les impulsions qu'ils reçoivent. Nous comptions dans nos académies les physiciens les plus éclairés de l'Europe. Nous les dépouillâmes tout-à-coup de l'estime que nous leur accordions, pour la transporter toute entière sur Franklin. Cet homme dont les infirmités avoient défiguré le corps, émoussé les sens, affoibli l'esprit, se vit recherché, caressé par des personnes de tout rang, de toute condition. Des femmes accouroient chez

lui, et tiroient vanité de l'avoir vu, de l'avoir entendu. On le promenoit dans nos spectacles, on l'y recevoit au bruit des applaudissemens, on l'y présentoit à l'adoration du public.

Franklin avoit vu sur quelques bâtimens de Philadelphie, de ces barres électriques dont le physicien Bergman conseilloit d'armer les édifices et les navires, afin de les préserver (1) de la foudre. Franklin témoigna aux Parisiens son étonnement de ce qu'ils n'avoient point adopté cette nouveauté. Il en fut parmi nous l'apôtre. On avoit accueilli avec assez d'indifférence les écrits de Bergman; mais les exhortations de Franklin produisirent un enthousiasme qui tenoit du délire. On alla jusqu'à lui décerner les honneurs de l'invention, et bien des personnes encore aujourd'hui croient qu'elle lui appartient. Chacun voulut avoir des ces flèches électriques. On leur donna le nom de paratonnerres. On en hérissa les toits de ses maisons, de ses châteaux. Peut s'en fallut qu'on n'en mît jusques sur l'impériale des voitures. On sourioit de l'erreur dans laquelle étoient les anciens, que la foudre n'osoit frapper les lauriers; mais on croyoit très-religieusement sur la parole de Franklin, qu'elle

(1) Voyez son discours de réception à l'académie de Berlin, 1764.

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respecteroit les édifices surmontés d'un paratonnerre. Quelques enthousiastes proposoient même au gouvernement d'armer de ces flèches les murs qui forment l'enceinte des villes, persuadés que les habitans et les édifices qui seroient protégés par des murs ainsi armés, n'auroient plus à redouter les tonnerres.

Les provinces, promptes à imiter la capitale, reçurent avec avidité cette découverte; mais dans l'Artois, les paratonnerres faillirent causer une guerre civile. On s'y divisa à leur sujet en deux partis. D'un côté étoient les riches propriétaires des villes, de l'autre les laborieux habitans des campagnes. Ceux-là les adoptèrent ; ceux-ci non-seulement les repoussèrent, ils exigèrent encore qu'on les abattît des maisons de campagne sur lesquelles on en avoit élevé. Les premiers rejetèrent cette demande avec mépris; et croyant sans doute, en adoptant les paratonnerres, donner une preuve de la supériorité et de la force de leur esprit, ils accusèrent leurs adversaires d'ignorance. Les derniers ne nioient point que les phénomènes de l'électricité ne découlassent du même principe; ils convenoient de l'universalité de la matière électrique, de son inflammabilité, de la promptitude de son action; ils ne refusoient pas de croire que la nuée qui laissoit échapper la foudre, n'eût été électrisée

aveux,

par les vents, par la chaleur, par le mélange des exhalaisons, par d'autres causes, et ne fût en présence des paratonnerres, ce qu'est un corps électrisé en présence et à une certaine proximité de celui qui ne l'est pas. Mais en faisant ces ils demandoient si ce n'étoit pas le comble de l'extravagance de se flatter que l'homme pouvoit arracher la foudre à la nuée qui la portoit, pour la diriger ensuite à son gré. Ils demandoient encore quelle proportion l'on trouvoit entre ces épais et vastes nuages qui receloient le tonnerre, et ces petites flèches ; ils ne comprenoient pas que celles-ci eussent la propriété de décharger ceux-là de tous leurs feux, ils ne croyoient pas à cette vertu magique ; et comme sur cette matière les exemples ont une force que n'ont pas les raisonnemens, ils prétendoient que le tonnerre frappoit plus souvent les maisons qui portoient de ces fils électriques, et causoit des ravages soit sur ces maisons mêsoit sur le voisinage. Ils prouvoient cette assertion par des faits qui paroissoient sans replique.

mes,

Les deux partis s'échauffèrent; la querelle se termina par un combat judiciaire. Des deux côtés on prit des avocats. Robespierre crut la conjoncture favorable pour sortir de son obscurité, et jeter quelque éclat. Il ne se rangea point

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