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ce que l'on disoit plutôt qu'il ne l'écoutoit. Il n'avoit nulle teinture des sciences exactes; à peine savoit-il les quatre premières règles de l'arithmétique. Il ne se connoissoit ni en poésie, ni en

» perdrez votre réputation, plutôt que de nuire à la

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» mienne.

» Il importe, donc à votre tranquillité que je sois éloi»gnée de vous.... J'ignore encore ce que je dois faire; » mais ce qui me semble le plus urgent, c'est de vous » débarrasser de la vue d'un objet odieux. Aussi, dès >> demain, vous pouvez rentrer dans votre apparte>ment, sans craindre de m'y rencontrer; je quitterai dès aujourd'hui....

:

>> Que mon séjour à Paris ne vous inquiète pas je » n'ai garde d'associer mes amis à ma disgrace. Le malheur qui me poursuit doit être contagieux, et votre haine pour moi est trop aveugle, pour ne pas se porter » sur tout ce qui me témoignera quelque intérêt; aussi je » n'ai besoin que de quelques jours pour me décider sur » le lieu de mon exil.....

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>> Je vous quitte donc, puisque vous l'exigez; mais, » malgré vos injustices, je ne conserverai aucun res>> sentiment du traitement cruel que vous me faites » essuyer.... &c. »

Cette lettre suffiroit pour montrer que le cœur de Robespierre étoit essentiellement haineux. On peut bien, dans le cours de la vie, avoir des sujets de mécontentement contre une sœur; mais la haïr, c'est un crime qui fait horreur, c'est une sorte de fratricide. (Note de l'auteur.)

peinture, ni en musique ; il n'avoit nul goût pour les talens agréables, pour les arts qui contribuent à l'embellissement et même à la gloire des empires.

L'humiliation qu'il recevoit de son ignorance, le rendoit persécuteur de tous ceux qui excelloient dans les lettres ou dans les arts; il n'avoit pas même l'adresse de dissimuler sa puérile jalousie quelques jours avant sa mort, il se déchaîna dans la tribune des Jacobins contre tous les journalistes ; il leur prodigua les épithètes les plus insultantes. Lorsqu'il voulut dans la même tribune préparer le public à voir sans effroi l'incarcération de tous les acteurs de l'ancien Théàtre Français, il appela les comédiens des saltimbanques, des baladins, de vils histrions. « La » morale des philosophes, disoit-il dans son dis>> cours sur l'Etre suprême, est dans leurs livres, >> Les gens de lettres, disoit-il dans ce même dis>> cours, se sont déshonorés, la philosophie n'étant >> à leurs yeux qu'un moyen de fortune » .

Si Robespierre n'eût pas été un monstre de férocité, c'eût été ce que nous appelons dans notre langue, un homme maussade, que personne n'eût recherché, que chacun eût évité. Il est à croire qu'il avoit le sommeil agité, pénible et troublé par des images effrayantes : ceux du moins qui le surprenoient au sortir du lit,

disent qu'il avoit les yeux plus ternes, les lèvres plus décolorées, le visage plus plombé, l'air plus taciturne, le regard plus sombre, que dans le courant de la journée.

Sa vie fut un fléau pour la France: sa mort, arrivée à la trente-cinquième année de son âge, a été le sujet d'une allégresse universelle; mais malheureusement, elle n'a pas tari toutes les larmes que son avide et insatiable soif du sang a fait couler. Que de pères, que de mères de famille à qui il a enlevé les objets de leur tendresse! Que d'épouses il a rendues veuves! Que d'enfans il a rendus orphelins!

Quel soulagement présenter à des douleurs sans remède? Cependant quand les personnes qui nous sont chères nous sont enlevées par une mort glorieuse, une telle mort n'est pas sans quelque consolation. Eh! pourquoi regretter ceux qui ont été martyrs de leur attachement pour la Patrie ! Pleurer leur destinée, c'est leur faire injure: il y a lieu, au contraire, de s'enorgueillir de porter le nom d'un de ces héros, d'avoir été l'ami ou le parent de l'un d'eux : ils habitent un séjour où nous devons tous desirer de les aller rejoindre (1). Ils en feront descendre

(1) Sic habeto: omnibus, qui patriam conservarint, adjuvarint, certum esse in cœlo definitum locum ubi beati æv❤ sempiterno fruantur, Cice. lib. vi de Repub.

les bénédictions célestes sur la France: ce sont leurs vœux qui l'ont délivrée du monstre qui déchiroit ses entrailles. Les vérités qu'ils ont eu le bonheur de sceller de leur sang, sortiront un jour avec éclat de leur tombeau ; elles dissiperont les haines, les factions, les partis, tous les fléaux qui nous affligent, comme l'astre de la lumière dissipe en commençant sa carrière, les vapeurs qu'a exhalées pendant la nuit la bourbe des marais. Oui, la France sera encore heureuse! La mort de Robespierre lui est un gage de la protection du ciel ; dans l'ivresse de sa joie, elle fixera avec intérêt ses regards sur ceux de ses enfans qui, par les pertes qu'ils ont faites dans les diverses proscriptions, ont un droit tout particulier à sa tendresse.

Je termine ici cet écrit: je n'ai eu, en le composant, d'autre vue que de contribuer au bonheur de mes concitoyens. Si ceux qui nous gouvernent y puisent quelques vérités utiles; si, en le lisant, ils se sentent raffermis dans la résolution de ne point abandonner les routes de la sagesse et de la justice, j'aurai reçu une récompense bien douce de mes foibles efforts. Mais l'avenir s'ouvre aussi à mes yeux, et en descendant au tombeau, j'emporterai la consolation que ceux qui nous succéderont, trouveront dans le récit que je viens de tracer, des

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leçons qui les rendront meilleurs que nous n'a

vons été.

,

Puisse de nos malheurs le souvenir affreux,
Exciter la pitié de nos derniers neveux,
Arracher à leurs yeux des larmes salutaires,
Et qu'ils n'imitent point les crimes de leurs pères !

FIN.

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