Page images
PDF
EPUB

lui demanda du pain, des vêtemens et de l'argent. Ce prétendu ami le ferma sous la clef, et courut avertir la garde, que Coffinhal étoit chez lui: «Non, dit-il, que je refuse de rendre les » vingt-cinq louis ; mais je crois que ma sûreté et >> le bien de la chose publique exigent que je >> refuse à ce malheureux l'hospitalité.

[ocr errors]

C'est de cette manière que Coffinhal fut arrêté. Il raconta lui-même au concierge de sa pri son, qu'on se feroit difficilement une idée des terribles angoisses, des cruelles douleurs d'esprit et de corps qui l'avoient torturé pendant les deux jours qu'il avoit passés dans l'isle des Cygnes. Lorsqu'il alla au supplice, des personnes fermoient les parasols que la pluie qui tomboit avoit obligé de prendre, les passoient au travers des barreaux de la charrette, et les présentant à la poitrine du patient, lui rappeloient ses insultes aux infortunés qu'il condamnoit, et lui crioient << Eh bien! Coffinhal, que dis-tu de cette botte? pares celle-là ».

Coffinhal regardoit de droite et de gauche, et levoit les épaules. Il marcha à la mort, et la avec assez de résolution.

reçut

Telle fut la fin des principaux partisans d'une conjuration qui n'avoit pour objet que de tenir la France dans un chaos éternel, que de la couvrir de ruines et de sang, pour pouvoir, dans

le désordre général, dévorer la fortune publique et le patrimoine des familles. Ils n'avoient élevé Robespierre à leur tête, que parce que sous. ses auspices, que parce qu'à la faveur de la haute réputation de popularité dont ils l'avoient investi, ils pouvoient impunément commettre tous les forfaits.

Ce ne fut s'éleva. La bizarrerie des événemens, comme je l'ai dit, et la scélératesse des brigands qui l'entourèrent, firent tout pour lui. Ceux qui persisteroient à croire qu'il avoit pris pour modèle ou Catilina ou Cromwel, en seront dissuadés en lisant son discours sur le gouvernement intérieur de la France. Dans l'exorde de ce discours, il annonce sans ambiguité qu'il va dévoiler toute sa politique, qu'il va indiquer bien clairement le but où il tend. Et cependant dans ce discours il ne dévoile rien, il ne montre aucun but. C'est un assemblage de phrases qui ne présentent aucune vue, aucune pensée; c'est l'ouvrage d'un écolier qui n'a nulle connoissance ni des hommes, ni de l'Histoire, aucune notion ni des intérêts des peuples, ni des principes dont les loix qui gouvernent les nations sont les conséquences.

pas par lui-même que Robespierre

Ce ne sera point entre Catilina et Cromwel que la postérité lui assignera sa place; elle le mettra à côté des plus vils scélérats, qui, par la

[ocr errors]

bassesse de leur caractère et l'énormité de leurs crimes, se sont rendus fameux : son nom sera un jour une injure. Sa présomption et sa chûte offrent une grande leçon aux hommes orgueilleux, qui s'immiscent dans de hautes entreprises, avant de s'être rendu compte à eux-mêmes de ce qu'ils savent et de ce qu'ils peuvent.

C'est la plus étrange et la plus funeste des erreurs de croire que, tandis qu'il faut plusieurs années pour se rendre habile dans les arts même qui n'exigent qu'une intelligence commune, on devient homme d'Etat dès qu'on veut l'être.

C'est l'ignorance réunie à la vanité qui bouleverse les empires. La science qui apprend à régler avec sagesse les destinées de plusieurs millions d'hommes, est la plus difficile comme la plus importante des sciences. On ne s'y livre avec succès que quand on est poussé vers ce genre d'étude par une vocation bien décidée; on ne l'acquiert que par un travail sérieux, long, pénible, qu'en réunissant des connoissances qui sont à la portée d'un petit nombre d'esprits.

Si Robespierre eût compris ces vérités, qua l'homme sans jugement et sans raison peut seul nier, il ne se fût pas même présenté à la première assemblée nationale. Il eût sans doute alors vécu et fût mort dans l'obscurité, mais il eût du du moins laissé un nom sans tache.

Ses partisans, pendant qu'il vivoit, vantoient son incorruptibilité, son désintéressement, la pureté de ses mœurs. Mais en vantant son incorruptibilité, on ne dit point que personne ait cherché à le corrompre.

Quant à son désintéressement, sans doute il n'étala pas aux yeux de ses concitoyens, comme Chabot, comme Fabre d'Eglantines, comme Danton, un luxe insolent; mais Robespierre n'avoit point de patrimoine, et ce n'étoit pas avec son seul traitement de Député qu'il avoit acquis une Imprimerie, qu'il soudoyoit des légions de brigands, qu'il donnoit des festins dispendieux, tantôt à Saint-Cloud, tantôt à Conflans, tantôt à Issy, et qu'il terminoit ses journées par des orgies, où l'on servoit avec profusion les mets les plus recherchés, les vins les plus exquis.

Ce que l'on disoit de la modestie de ses mœurs, n'est pas mieux fondé : Robespierre étoit céliba+ taire, parce que le lien et la chasteté du mariage ne convenoient point à son goût pour le liberti, nage. Chacun sait qu'il vivoit avec la fille de son hôtesse comme avec une épouse, et que cette liaison ne l'empêchoit pas de recourir à des prostituées, de terminer chacune de ses orgies par une débauche nocturne. Aucun sentiment délicat n'eut jamais part à ces faciles conquêtes ; la terreur ou l'argent les lui procuroient.

Robespierre n'aimoit personne, et personne ne l'aimoit (1); il avoit des complices, et pas un seul ami. Il étoit dépourvu de toute qualité ai, mable. Son abord étoit froid, son maintien gêné, son regard sinistre, sa conversation sans intérêt, son commerce peu sûr. Défiant à l'excès, il épioit

(1) Il avoit subjugué son frère; il en étoit craint, mais non aimé. Quant à sa sœur, on jugera des senti mens qu'il lui portoit, par les phrases suivantes d'une lettre que celle-ci lui écrivoit moins d'un mois avant qu'il pérît:

<< Votre aversion pour moi, mon frère, loin de dimi» nuer, comme je m'en étois flattée, est devenue la haine » la plus implacable, au point que ma vue seule vous » inspire de l'horreur; ainsi je ne dois pas espérer que » vous soyez jamais assez calme pour m'entendre....

» Il me seroit cependant si facile de démontrer que je » n'ai jamais mérité, en aucune façon, d'exciter cette » fureur qui vous aveugle.... Si vous pouvez, dans le dé» sordre de vos passions, distinguer la voix du remords; » si le cri de la nature peut se faire entendre, revenu » d'une erreur qui m'est si funeste, ne craignez pas que » jamais je vous reproche de l'avoir gardée si long>> temps....

» Que cette passion de la haine doit être affreuse, puis» qu'elle vous aveugle au point de vous porter à me >> calomnier auprès de mes amis. Cependant, n'espérez » pas, dans votre délire, pouvoir me faire perdre l'estime » de quelques personnes vertueuses.... J'ose vous dire » qu'auprès des gens de bien qui me connoissent, vous

« PreviousContinue »