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au 10 thermidor (du 27 au 28 juillet vieux style)! Ils furent livrés aux bourreaux dans la matinée du 10. Le cortége sortit du Palais de la Justice, et se mit en marche vers les cinq heures du soir. Jamais on n'avoit vu, sur le passage des suppliciés, une telle affluence de peuple. Les rues étoient engorgées. Des spectateurs de tout âge, de tout sexe, remplissoient les fenêtres; on voyoit des hommes montés jusques sur le faîte des mai

sons.

L'allégresse universelle se manifestoit avec une sorte de fureur. Plus la haine qu'on portoit à ces scélérats avoit été comprimée, et plus l'explosion en étoit bruyante. Chacun voyoit en eux ses ennemis. Chacun applaudissoit avec ivresse, et sembloit regretter de ne pouvoit applaudir davantage. On remercioit le ciel, on bénissoit la Convention. Les cavaliers qui escortoient les patiens, partageoient la joie universelle; on vit même, dans cette rencontre, ce qu'on n'avoit point encore vu: ces cavaliers agitoient leur sabre en signe d'allégresse, et accompagnoient ce mouvement du cri vive la Convention!

La charrette sur-tout qui portoit les deux Robespierre, Couthon et Henriot, attiroit les regards des spectateurs. C'est là que les yeux se portoient et se colloient. Les malheureux, mutilés, défigurés, tout couverts de sang, ressembloient à des

que

bandits la maréchaussée a surpris dans un bois, et dont elle n'a pu se saisir qu'en les bles

sant.

Robespierre, extraordinairement pâle, et couvert du même habit qu'il portoit le jour où il avoit osé proclamer, au Champ de Mars, l'existence de l'Être Suprême, baissoit les yeux, et penchoit sur sa poitrine sa tête, que rendoit horriblement difforme le linge sale et sanglant qui l'enveloppoit. Henriot, n'ayant pour vêtement qu'une chemise et un gilet, étoit tout couvert de fange et de sang. Sa chevelure, ses mains ensanglantées, cet œil qui ne tenoit que par des filamens, formoient un tableau si dégoûtant et si effroyable, qu'on n'osoit le fixer long-temps. «Le voilà, le voilà, disoit » le peuple, tel qu'il étoit lorsqu'il sortit de Saint>> Firmin, après y avoir égorgé les prêtres »>!

Le jeune Robespierre et Couthon étoient également défigurés par des contusions, et couverts de sang. L'horrible difformité avec laquelle tous ces malheureux se présentoient aux yeux de leurs concitoyens au dernier moment de leur vie, paroissoit à l'homme même le moins religieux un châtiment du ciel. Des hommes, en effet, qui après s'être baignés dans le sang, en étoient tout souillés en descendant au tombeau, témoignoient d'une manière frappante que la justice divine exerçoit sur eux ses terribles ven

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geances, et vouloit inspirer une grande horreur de leurs assassinats.

Le cortège étant arrivé devant la maison où logeoit Robespierre, vis-à-vis la rue ci-devant Saint-Florentin, dans celle Saint-Honoré, le peuple obligea les exécuteurs d'arrêter. Ils obéirent. Un groupe de femmes alors exécuta une danse devant la charrette qui portoit Robespierre. Lorsque les patiens furent parvenus vers le milieu de la rue ci-devant Royale qui conduit au supplice, une femme d'un âge moyen, vêtue proprement, et annonçant par ses manières et sa contenance une éducation au-dessus du commun, fendit la foule, saisit avec vivacité d'une main les barreaux de la charrette où étoit Robes

pierre, et de l'autre le menaçant, lui cria : << Monstre vomi par les enfers, ton supplice » m'enivre de joie ; je n'ai qu'un regret, c'est >> que tu n'aies pas mille vies pour jouir du plaisir » de te les voir toutes arracher l'une après l'au>>tre ! Vas, scélérat, descends au tombeau avec les >> malédictions de toutes les épouses, de toutes »les mères de familles »! Robespierre avoit sans doute privé cette femme, ou d'un époux, ou d'un fils. Il tourna languissamment les yeux sur elle, et sans dire un mot, leva les épaules.

Sur l'échafaud, Robespierre eut une nouvelle souffrance à endurer. Le bourreau avant

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de l'étendre sur la planche où il alloit recevoir la mort, lui arracha brusquement l'appareil mis sur ses blessures. La mâchoire inférieure se détacha alors de la supérieure, et laissant jaillir des flots de sang, fit de la tête de ce malheureux un objet monstreux. Lorsqu'ensuite cette tête eut été abattue, et que l'exécuteur la tenant par les cheveux la montra au peuple, elle présenta l'image la plus horrible que l'on puisse se peindre.

Henriot eut à souffrir une torture non moins douloureuse: un des valets du bourreau, avant qu'il montât à l'échafaud, lui arracha bruta-` lement l'œil où il avoit été blessé.

Chaque tête en tombant excita de vifs applaudissemens. Le nombre des suppliciés fut, dans cette journée, de vingt-deux. Les plus remarquables d'entre eux furent les deux Robespierre, Couthon, le général Lavalette, Henriot, Dumas, président du tribunal révolutionnaire, Saint-Just, Payan, membre du tribunal révolutionnaire, Vihiers, président des Jacobins, Fleuriot, maire de Paris, Bernard, prêtre apostat, un nommé Simon, cordonnier, connu par le dépôt qui lui avoit été confié au Temple. Onze des suppliciés étoient membres du conseil général de la Commune.

Sijas n'ayant pu être appréhendé au corps qu'après le supplice de ces vingt-deux malheureux, ne fut exécuté le lendemain. Il reçut

que

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la mort avec soixante-dix membres de la Com→ mune, dont les noms obscurs ne méritent pas que l'Histoire les tire de l'oubli.

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Le jour suivant, douze autres membres de la Commune payèrent de leur tête, leur compli→ cité avec le chef des conjurés. Le seul remar quable entre eux, à cause de ses liaisons avec Robespierre, fut Nicolas, membre du tribunal révolutionnaire, et chef d'une Imprimerie dont Robespierre avoit fait l'acquisition.

Coffinhal fut le seul de tous ceux que la con→ vention avoit mis hors de la loi, dont on ne put se saisir. Il parvint à s'échapper des mains de ceux qui vinrent l'arrêter, se déguisa comme ces gens du peuple qu'on appelle déchireurs de bateaux, et alla se cacher dans l'isle des Cygnes, au-dessous des Invalides. Il y resta deux jours et deux nuits sans prendre aucune nourriture; il n'avoit sur lui que deux ou trois sols de monnoie; il plut abondamment pendant ces deux jours et ces deux nuits, et Coffinhal n'ayant aucun abri, reçut sur son corps ce déluge.

Le malheureux, souffrant cruellement de la faim et de l'incommodité qu'il recevoit de l'eau dont il étoit trempé, sortit de sa retraite. Il se rendit chez un particulier qu'il croyoit son ami, comme si un assassin pouvoit avoir des amis. Ce particulier lui devoit vingt-cinq louis. Coffinhal

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