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puisque nous avons assez bien servi la Patrie » pour avoir été jugés dignes des poignards! Il est >> donc pour nous de glorieux dangers à courir. » Le séjour de la cité en offre au moins autant que >> le champ de bataille. Nous n'avons rien à envier » à nos braves frères d'armes ; nous payons, de plus » d'une manière, notre dette à la Patrie.

>> Il y a quelques mois que je disois à mes collè»gues du comité de salut public: Si les armes de » la République sont victorieuses, si nous étouf>> fons les factions, ils nous assassineront ; et je n'ai >> point du tout été étonné de voir se réaliser ma >> prophétie.

>> Entouré d'assassins, je me suis déjà placé moi» même dans le nouvel ordre de choses où ils >> veulent m'envoyer; je ne tiens plus à une vie >> passagère ; je me sens mieux disposé à attaquer >> avec énergie tous les scélérats qui conspirent >> contre mon pays et contre le genre humain. Je >> leur laisserai du moins un testament dont la lec>>ture fera frémir les tyrans et tous leurs com>>plices ; je révélerai peut-être des secrets redou>> tables, qu'une sorte de prudence pusillanime >> m'auroit déterminé à voiler. Si les mains per>> fides qui dirigent la rage des assassins ne sont >>pas encore visibles pour tous les yeux, je lais> seral au temps le soin de lever le voile qui les

> couvre.

>> J'ai assez vécu ; j'ai vu le Peuple Français » s'élancer du sein de l'avilissement au faîte de la » gloire. J'ai vu ses fers brisés, et les trônes cou>>pables qui pèsent sur la terre, près d'être ren>> versés sous ses mains triomphantes.

» Achevez, citoyens, achevez vos sublimes >> destinées. Vous nous avez placés à l'avant>> garde pour soutenir le premier effort des enne>> mis de l'humanité ; nous mériterons cet hon»neur, et nous vous tracerons de notre sang >>route de l'immortalité ».

la

Ce discours ne fut pas improvisé. Une plume plus exercée que celle de Robespierre l'avoit rédigé plusieurs jours avant qu'il le prononçât; les éloges qu'il s'y donne à lui-même, la jactance avec laquelle il s'y propose à l'admiration de la France, de l'Europe, de toutes les générations à venir prouvent que la vanité avoit absolument égaré son esprit : bientôt il ne rêva plus qu'assassinats. Il fit accuser tous les prisonniers renfermés au Luxembourg d'avoir conspiré contre lui ; il supposa qu'ils avoient voulu forcer les portes de leur prison pour venir ensuite l'égorger. Le tribunal révolutionnaire feignit d'ajouter foi à cet incroyable complot, et il fut décidé que tous les prisonniers du Luxembourg périroient sur l'échafaud, pour avoir conspiré contre la vie de Robespierre.

Mais voici une anecdote qui est à la connoissance de peu de personnes, et qui, rapprochée d'un événement postérieur au supplice de Robespierre, peut indiquer la véritable cause de cet événement. Robespierre avoit des liaisons avec les ouvriers employés à la poudrière de Grenelle; il les visitoit, les fréquentoit, leur distribuoit des assignats, et avoit des conférences secrètes avec plusieurs d'entre eux.

Un jour il engagea quarante de ces ouvriers, à chacun desquels il donna un assignat de cinquante livres, à se rendre à Bicêtre, à feindre d'en vouloir briser les portes, et d'en tirer de vive force les prisonniers : le projet fut exécuté comme il le desiroit. La tentative simulée de ces ouvriers donna lieu de répandre que les prisonniers de Bicêtre avoient voulu s'évader pour se donner le plaisir de mettre à mort Ro bespierre.

Sur cette rumeur, on envoya de l'artillerie, des forces considérables dans les prisons de Bicêtre : on ne se donna pas la peine de juger, d'interroger même les accusés: on les fit périr par centaines; ce fut un carnage effroyable.

Plus les assassinats se multiplioient, plus Robespierre se dépitoit de ce qu'il ne périssoit point à-la-fois assez de proscrits: il surpassoit en férocité même les Dumas, les Coffinhal,

les Fouquier-Tinville: il les gourmanıda plus d'une fois de ce qu'ils ne vouloient pas faire tomber plus de soixante tétes par jour; il eût voulu qu'ils eussent triplé journellement ce nombre.

Il est constant que dans des conciliabules dont il étoit l'ame, il fut question de mener au Champ de Mars trois mille proscrits à-la-fois, liés les uns aux autres, et de faire tirer sur eux le canon : on eût donné chaque jour ce spectacle aux Parisiens. La chose paroît incroyable; mais elle est hors de doute, puisqu'elle a été proposée à la délibération, dans la société des Jacobins.

Ce fut au milieu des cadavres dont il avoit couvert la France, que le plus détestable des hommes qui aient jamais paru sur ce globe, leva ses mains teintes du sang de nos amis, de nos proches, vers l'Être qui ne nous a créés que pour nous rendre heureux.

Depuis plus de quatorze siècles le Peuple Français avoit secoué le joug des superstitions romaines, et se courboit devant le vrai Dieu; il se glorifioit avec raison d'avoir été le premier peuple de l'Europe qui eût rendu à la divinité le culte qu'elle commande.

C'est chez un tel Peuple que Robespierre tout couvert de crimes, eut l'incroyable impudence de dire que Dieu existoit, et que l'ame de l'homme étoit immortelle, comme s'il eût été l'inven.

teur de cette double vérité, comme si avant lui elle eût été méconnue des Français, comme si le Créateur de l'univers ne l'avoit pas gravée en caractères frappans et ineffaçables sur tous ses ouvrages, dans tous nos cœurs. Eh! les démons eux-mêmes la lisent à la lueur des flammes qui les dévorent. Il n'est pas étonnant que Robespierre lui ait rendu hommage; mais qu'il ait voulu en être parmi nous l'inventeur et l'apôtre, c'est peut-être l'idée la plus extravagante que pouvoit enfanter le délire de sa vanité et de sa présomption.

Le discours que Robespierre prononça à la convention nationale pour l'engager à proclamer solemnellement l'existence de Dieu et l'immortalité de l'ame, est une déclamation de rhéteur, vuide de pensées ; c'est le langage, non de la conviction, non du sentiment, mais de l'amourpropre; c'est la profession de foi d'un hypocrite, qui porte elle-même le cachet de l'impiété. Les louanges à l'Être suprême y sont mélangées d'impostures, d'imprécations, de provocations sanguinaires contre ceux qui rendront à la Divinité le seul hommage qu'elle desire.

S'il pouvoit se trouver en effet quelqu'un de bonne-foi, qui doutât de l'existence d'un Dieu protecteur de l'innocence, rémunérateur de la vertu, et juge sévère du méchant, il seroit

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