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senter à la barre de la convention nationale.
Celles-là ont leur époux, celles-ci leur père dans
les fers. Les unes et les autres protestent de
l'innocence des détenus, et supplient qu'on leur
rende la liberté. La douleur, les larmes de ces
infortunées présentent le spectacle le plus tou-
chant. Les tribunes se taisent, la convention
roît émue. Voulland qui présidoit, et qui craignoit
de déplaire au tyran, fait à ces femmes cette
réponse désespérante:

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<< Les mesures de la convention sont loin de »la sévérité des républiques anciennes, où l'on >> punissoit de mort tout citoyen qui ne prenoit >> point parti dans la république ».

Robespierre trouve qu'il n'y a point encore assez de dureté dans cette réponse; il lance un regard menaçant et sur ces femmes et sur le président, et s'écrie :

«A voir le nombre des citoyennes qui sont >> introduites dans cette salle, on croiroit que tous. » les parens des détenus sont là.... C'est l'aristo>>cratie qui vient vous demander des mesures » rétrogrades. Il est possible qu'il y en ait quel» ques-unes qui réclament avec justice..... Sans >> doute les noms de père et d'époux rappellent >> des idées touchantes; mais ne sont-elles donc >> pas des citoyennes ? et doivent-elles oublier ce » qu'elles doivent à la Patrie, pour n'écouter que le

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» nom d'épouse et de mère? Est-ce ainsi qu'agissent >> des citoyennes ? Non elles s'adressent indivi> duellement à ceux qui sont chargés de leur ren>>dre justice. Quand on se présente en corps, on >> annonce des intentions perfides; et cette inten>>tion, c'est de ramener la convention à des me>>sures molles : voilà ce que présente cette séance.

>> Vous devez leur apprendre que leurs efforts > seront vains. Il est important que la France soit >> instruite que la convention écrasera l'aristocra>>tie. Depuis que nous nous sommes élevés contre » de certains excès prétendus patriotiques, les` >> malveillans ont voulu nous prendre au mot. Ils >> affectent de confondre les mesures de sûreté » générale avec des actes tyranniques.

» Leur but est d'énerver la vigueur nationale, » pour arrêter le cours de la révolution : vous ne >> vous laisserez point prendre à ce piége grossier; >> vous serez toujours fermes ».

Le style de ce discours est, comme l'on voit, aussi pitoyable que la morale et la politique en sont détestables. Robespierre ne parloit pas autrement lorsqu'il improvisoit, c'est-à-dire, lorsqu'il n'avoit pas eu le temps de faire composer des discours châtiés.

Ceux qui veulent que son ambition le portât à être un jour seul maître de la France', prétendent qu'il entroit dans ses vues de rendre la con

vention tellement odieuse, que le peuple se déterminât sans peine à la dissoudre : c'est, dit-on, pour arriver à ce but, qu'il la poussoit sourdement à des démarches extraordinairement rigoureuses. Si Robespierre qui, quoi qu'on en dise, ne médita, ne digéra jamais aucun plan, eût eu une telle vue, il auroit eu au moins l'adresse de ne pas solliciter lui-même ces mesures de rigueur, et il auroit feint de les désapprouver lorsqu'il les auroit obtenues. Mais comment le peuple eût-il jamais oublié que les projets des loix odieuses avoient toujours été proposés ou par Robespierre, ou par Couthon, ou par Saint-Just ; qu'ils avoient toujours été adoptés contre le gré de la convention, et qu'enfin lorsqu'ils avoient éprouvé quelque opposition, Robespierre s'étoit toujours. élevé avec insolence contre ceux de ses collègues qui n'opinoient point en faveur de ces projets ?

Qui auroit pu ne pas se souvenir que dans la circonstance dont je viens de rendre compte, ce fut lui et lui seul qui injuria, qui repoussa brutalement ces malheureuses femmes à qui l'on auroit dû des éloges plutôt que des reproches, puisqu'elles venoient, par leur exemple, prêcher à toutes les mères et toutes les épouses, l'attachement aux plus naturels comme aux plus saints des devoirs?

Si sous l'empire de Robespierre, il n'étoit pas permis de s'intéresser à ceux qu'il réservoit pour

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la mort, c'étoit également un crime de les plaindre lorsqu'ils l'avoient reçue : toute marque extérieure de douleur eût été un attentat: ainsi l'épouse qui venoit de perdre son mari, le fils qui venoit de perdre les auteurs de ses jours, n'avoient pas même la triste consolation de prendre l'habit de deuil.

Il falloit oublier jusqu'au nom des condamnés; il falloit craindre de le prononcer: je citerai à ce sujet un fait dont j'ai été moi-même témoin. Tous les savans connoissent les Élémens de Chymie de Lavoisier; personne n'a plus avancé que lui les progrès de cette science, et n'en a mieux facilité l'étude : de son vivant, il étoit continuellement cité avec éloge dans toutes nos écoles, et on trouvoit son livre dans les mains de tous les étudians et de tous les professeurs.

Lavoisier, quoiqu'il eût fait pour la révolution tous les sacrifices qu'il étoit en son pouvoir de faire; quoiqu'il lui eût consacré ses veilles et ses études; quoiqu'il lui eût dévoué tout son être, n'en fut pas moins compris dans le massacre des fermiers-généraux. Depuis sa mort, ses écrits sont toujours les seuls que l'on suive dans les écoles de chymie, et ils y régneront exclusivement aussi long-temps que cette science sera en honneur, parce qu'il n'est pas possible de mieux faire en ce genre.

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Les ouvrages de Lavoisier n'en sont donc pas moins continuellement cités depuis sa mort, par les professeurs qui ont à parler de chymie : mais pendant sa vie on prononçoit son nom, on l'accompagnoit d'une épithète honorable depuis sa mort, on n'a plus osé prononcer son nom. Dans la nécessité cependant où l'on est de parler sans cesse de ses écrits, l'on a pris une tournure pour se dispenser de proférer le mot Lavoisier l'on dit : un auteur nous a donné des Élémens de Chymie. Cette tournure bannale a été adoptée par tous les professeurs, et même par le vieux Daubenton, qui devroit, ce semble, trouver dans son âge avancé et ses infirmités le courage de braver une proscription.

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C'est à ce degré de pusillanimité que la tyrannie de Robespierre avoit fait descendre les hommes même qui auroient dû donner l'exemple de la fermeté : on n'osoit pas même pleurer ses plus proches parens, lorsqu'ils avoient été enveloppés dans un massacre. Je citerai aussi un exemple de cette affligeante vérité.

Déyeux, professeur de chymie au jardin des Apothicaires, estimé et chéri de tous ceux qui suivent ses leçons, parut un après-midi dans la salle de son cours, l'air singulièrement consterné: la pâleur de son visage dénotoit qu'un profond chagrin déchiroit son cœur ; des larmes rouloient

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