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lâche mensonge donne une idée de l'esprit, du caractère de Robespierre.

Quelque temps après, quoique le comité des finances reconnût que la Nation étoit débitrice envers les fermiers-généraux de plusieurs millions, quoiqu'elle dût à l'un d'eux personnellement quinze cent mille livres, il fallut les livrer au triumvirat que présidoit Robespierre. Que leur importoit d'être égorgés dans une prison par Hébert, ou sur un échafaud par Robespierre ?

La sérénité, au reste, la grandeur d'ame avec laquelle ces infortunés reçurent la mort, furent une réfutation bien glorieuse, des calomnies qui les avoient outragés : leur fin fut aussi belle leur gestion avoit été pure. Ils sont aujourd'hui dans le sein de la Divinité: où sont les trois scélérats qui les avoient égorgés?

que

Pour donner une idée du courage avec lequel les fermiers-généraux virent approcher la mort, je ne puis me refuser au plaisir de transcrire ici la lettre que l'un d'eux, appellé de ParsevalFrileuse, âgé de trente-cinq ans, écrivit de l'hôtel des fermes, où il étoit enfermé avec Laperrière, son beau-père, Parseval, son frère aîné, de Vernan et de la Hante, ses beaux-frères, à sạ femme, au moment où il apprit qu'il étoit, ainsi que tous ses confrères, destiné à l'échafaud.

A ma femme, quand je ne serai plus.

«Si tu reçois ce papier, ma chère et tendre >> amie, ce ne sera que lorsque nous serons sé>>parés pour toujours. Que dis-je, pour toujours ? >>Nous nous reverrons un jour dans le lieu du >> bonheur éternel, qui n'est plus troublé par au>cune des passions des hommes. Mon voyage sur »la terre est fini; je suis arrivé au port : du moins »j'espère, ma bonne amie, que la bonté de Dieu » me pardonnera mes offenses, qui n'ont été que >> trop nombreuses, et qu'il m'admettra dans le sé»jour des bienheureux, d'où je pourrai veiller sur >>toi, sur mes enfans. J'ose espérer que je pour » rai lui présenter tes prières et les leurs. -->> Mais, ma chère amie, de quel fardeau la >>Providence te charge dans cet instant! Elle ne >>veut pas que ce soit moi qui veille à l'éducation >> des enfans qu'elle m'avoit donnés ; c'est toi qu'elle > charge de former leur ame et leur cœur, de »leur inspirer les sentimens de toutes les vertus >>qui doivent être un jour la règle de leur con » duite. Je suis bien loin de pouvoir leur être » donné pour exemple; mais tu peux leur dire >> que leur père ( leur père que quelques-uns ont à peine commu) aimoit la vertu ; qu'il servoit » Dien dans toute la sincérité de son ame, et que

> la plus grande grace qu'il lui ait jamais deman>la » dée, étoit celle de bénir ses efforts pour leur inspirer les mêmes sentimens.

>> Pour toi, ma bonne amie, garde-toi bien de >> laisser abattre ton courage par la douleur que >>tu éprouveras; songes que tu es le seul sou>>tien que tes enfans aient actuellement ; songes » que la Providence t'ordonne de te conserver » pour eux : soumets-toi à ses décrets, et sans » murmurer; songes que c'est un devoir impé>>rieux commandé par la religion elle-même, de

se soumettre aux autorités que Dieu a établies » sur la terre. Ce sont les sentimens que je m'ef>> force d'exciter dans mon cœur ; j'offre à Dieu >>tous les sacrifices qu'il veut que je lui fasse, >>et je sens que mes forces augmentent à me>>sure que je le prie. Ne te laisse donc point >> abattre, ma tendre amie; toi seule as été une » occasion de bonheur pour moi sur la terre, >> depuis que j'ai quitté l'appui de la maison paternelle.

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>> Les biens de la terre n'étoient pas faits pour >> moi : rien de ce que j'ai entrepris en ce genre >> ne m'a réussi. Le dernier état que j'ai obtenu, > celui qui sembloit me mettre à l'abri de tout >> revers, est précisément celui qui me précipite » dans le dernier des malheurs aux yeux des >> hommes. Mais admire les voies de la Providence,

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c'est celui qui m'ouvre les portes du bonheur » éternel.

201»mes enfans, quand vous serez en état de >> comprendre ce qui aujourd'hui est au-dessus de » vos forces, vous lirez vraisemblablement ces »lignes, les dernières expressions des sentimens >> d'un père qui vous aimoit bien tendrement. >>Elise, ma fille aînée, tu les liras la première; » souviens-toi que, comme l'aînée, tu dois être » la première à exprimer à ta maman ta tendresse » et celle de ton père : tu instruiras Caroline et >> Floride, à mesure qu'elles grandiront, à imiter »ton exemple ; et toutes trois vous remplacerez » dans le cœur de votre maman, la tendresse que

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>> votre papa avoit pour elle. Et vous, mes fils >> Victor et Charles, écoutez et retenez bien les >> premières et les dernières leçons que vous re>> cevrez du plus tendre des pères. Votre maman » vous transmettra les principes que votre papa » vous eût donnés lui-même : écoutez-les ; suivez » ses préceptes et ses exemples: elle vous parle >> au nom de votre père et au sien; par consé»quent au nom de Dieu même, dont la loi su>prême a toujours voulu que sa volonté parvînt >> aux enfans par la bouche de leurs. parens. » Quand vous aurez atteint l'âge où vous pour>>rez commencer à voler de vos propres ailes, » n'oubliez jamais que votre premier devoir est

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de vous regarder comme les soutiens et les seuls >> appuis de votre mère et de vos sœurs; repré» sentez-vous votre père étant là pour guider toutes >> vos actions.

»O mes enfans, j'ai eu la douleur et en >> même temps la consolation d'embrasser mon » père sur son lit de mort. Les dernières paroles » qu'il m'a dites, sont toujours restées gravées >> dans mon cœur : les voici; je vous les confie, >>parce que c'est un dépôt que je ne puis plus >> garder; je vous le remets pour que vous le » gardiez soigneusement dans vos cœurs, et pour » que vous le transmettiez à vos enfans Mon »ami, me dit-il en me prenant la main, je ne »puis que t'inviter à garder les principes que

tu as montrés jusqu'à présent; ce sont ceux » qui constituent l'honnéte homme, et ils ne »pourront jamais t'égarer. O mon père, puis»je me rendre le témoignage que je ne m'en suis » jamais écarté de ces principes qui ont mérité >>ton approbation? Au moins, puis-je dire que >> si je m'en suis écarté, ce n'a été que dans >> des momens où je n'étois pas maître de moi >> et que j'ai toujours cherché à réparer mes

>erreurs.

» Aimez Dieu, mes enfans; servez-le du fond >> du cœur aimez la vertu ; et si vous vous éga

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rez quelquefois de sa route, ne rougissez pas

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