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qui lui fit égorger. tant d'innocens, excita une vive fermentation dans l'assemblée. Des cris tumultueux demandoient son supplice et celui de ses complices, lorsque Barrère s'écria : « Je ne >>trouve point dans les accusés cette vaste con>>ception, ces moyens puissans qui enfantent les » grands conspirateurs et demandent l'attention >> du Gouvernement; je suis d'avis qu'en passant >> à l'ordre du jour, on les replonge dans cette » obscurité dont leur audace les avoit retirés »,

L'avis de Barrère fut suivi, et Robespierre n'en devint que plus cher à son parti ; on le représenta comme un excellent citoyen qui étoit persécuté, qui souffroit pour la cause de la Patrie, Une affaire du plus haut intérêt vint faire diversion aux coups qu'on lui portoit, et contribua à relever encore plus haut la réputation de patriotisme dont il jouissoit parmi les factieux,

Le successeur de soixante-six rois fut mis en jugement, et envoyé à la mort. Durant le cours de cette procédure, dont la France voyoit le premier exemple, la faction de Philippe et celle de Robespierre s'agitèrent avec d'autant plus d'activité, que ces deux hommes faisoient dépendre d'un arrêt de mort le succès des vues qu'ils osgient concevoir. Le premier prodigua l'or; le second mit en jeu toutes les ruses d'un zèle hypocrite et intéressé.

Le discours que Robespierre prononça à cette mémorable époque, est peut-être la moins mauvaise de ses productions. Cet écrit est fort audessus de tous ceux qu'il avoit fait paroître précédemment. Le style en est correct, les idées n'en sont point gigantesques, et il n'est point infecté de ce néologisme qui est une preuve certaine de la dépravation du goût, et qui fit en trèsgrande partie la réputation du fameux Mirabeau.

Robespierre, par son assiduité aux séances des Jacobins, et l'habitude presque journalière de se montrer dans la tribune de cette société, avoit enfin contracté une certaine facilité à rendre ses pensées de vive voix. Ses écrits se ressentirent de cette facilité. Il se lia avec des gens de lettres à qui il communiquoit ses discours, et dont il adoptoit avec docilité les corrections. Fabre d'Églantines, connu avantageusement par son excellente comédie du Philinte de Molière, fut long-temps son mentor. Il eut aussi recours plus d'une fois à la plume de Camille Desmoulins. Lorsque dans la suite l'espoir d'obtenir ses bonnes graces, et le besoin d'échapper aux proscriptions, lui composèrent une cour, il employa d'anciens académiciens pour la rédaction de ses ouvrages; mais le plus complaisant de ses faiseurs fut Sieyes.

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C'est de cette manière qu'il parvint à se faire écouter avec quelque intérêt dans la convention nationale. Le discours qu'il prononça à l'occasion du mémorable procès dont l'issue a étonné l'Europe, fut vivement applaudi par son parti, Les Jacobins l'engagèrent à le répéter dans leur tribune, et là il obtint des applaudissemens plus vifs encore. La réputation de Robespierre s'en accrut considérablement.

Ce discours est beaucoup trop long pour que je puisse le rapporter ici. Il me suffira de dire que ceux qui l'entendirent sans prévention, jugèrent que si la langue y étoit respectée, la raison, lạ politique, la morale, l'humanité y étoient blessées à chaque phrase. Le seul sentiment que l'orateur laissoit échapper de son ame, étoit une féroce impatience de voir couler le sang qu'il demandoit, et il fut aisé de conjecturer que le véritable motif qui produisoit cette chaleur, étoit la folle espérance qu'il avoit conçue, que lorsque ce sang auroit été répandu, il arriveroit plus aisément et plutôt au pouvoir suprême. Robes¬ pierre, dans cette harangue, prophétisa que la mort de la victime anéantiroit les diverses factions qui désoloient la France, mettroit fin aux querelles intestines qui déchiroient la convention, réuniroit tous les partis en un seul, et nous vaudroit la paix avec les puissances étrangères,

L'événement a prouvé, ou qu'il lisoit mal dans l'avenir, ou qu'il croyoit le peuple Français assez stupide pour se laisser prendre à ce mensonge grossier,

Ce n'étoit point dans lui-même que Robespierre avoit trouvé l'idée d'atteindre au dictatorat, Cette idée, toute folle qu'elle étoit, supposoit cependant une certaine hardiesse, une sorte d'élé→ vation, dont son ame sans force, sans chaleur, se trouvoit incapable. Elle lui avoit été inspirée par son parti, et réunissant peu de lumières à une excessive vanité, il donna dans le sens de sa façtion, sans se rendre compte ni de la nature des espérances dont on le berçoit, ni des moyens qu'il faudroit employer pour les réaliser. Ce ne fut point par des combinaisons savantes, par une suite de calculs politiques, qu'il s'avança vers la tyrannie, et que ses mains se trouvèrent armées du sceptre dont il fit un si sanglant abus. Son parti et les événemens firent tout pour lui,

Dès le mois de février 1793, sa puissance commença à devenir formidable. L'éclat qu'il avoit jeté le mois précédent, dans la grande affaire dont la convention s'étoit occupée, l'augmentation de faveur que son opinion lui avoit value auprès des Jacobins, le mirent en un tel cré dit, qu'il devint dangereux même de le contredire, Les accusations dont ses ennemis l'avoient frap

pé, ne se renouvellèrent plus. Ils se turent; aucun de ses collègues n'osa plus l'attaquer de front. Chaque pas qu'il faisoit vers l'autorité suprême, étoit marqué par une calamité. Chaque fois qu'il essayoit son pouvoir, les assassins redoubloient d'audace, la capitale se remplissoit de troubles, et communiquoit un mouvement convulsif au reste de la France.

Les 25 et 26 février, il se fit une irruption de brigands chez les épiciers. Tout y fut mis au pillage. Les journalistes dévoués au parti de Robespierre, avoient provoqué ce brigandage; des placards incendiaires, ouvrages des écrivains de ce parti, y avoient invité le peuple des fauxbourgs. Les épiciers portèrent leurs plaintes à la convention: la faction de Robespierre les accueillit avec des huées et des insultes. Bentabole demanda, qu'au lieu de leur accorder la juste indemnité qui leur étoit due, ils fussent condamnés à restituer, dit ce député, tout ce qu'ils avoient gagné injustement. Robespierre, à son ordinaire, ne se mit point en évidence pendant la durée de cette insurrection; mais il se plaignit à ses confidens de ce que, par le peu d'énergie des exécuteurs qu'ils avoient mis en œuvre, elle n'avoit pas produit ce qu'il en avoit attendu.

Vers le milieu du mois suivant, il se fit un mouvement fort extraordinaire. La faction d'Or

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