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lettre fui

vanie.

fuis à cette heure la feule butte où vifent tous les perfides de la meffe. Ils l'ont empoifonné, les traîtres; fi Voyez la eft-ce que DIEU demeurera le maître, & moi par fa grace l'exécuteur? Ce pauvre prince, non de cœur, jeudi ayant couru la bague, soupa se portant bien; à minuit lui prit un vomiffement qui lui dura jufqu'au matin; tout le vendredi il demeura au lit, le foir il foupa, & ayant bien dormi, il fe leva le famedi matin, dîna debout, & puis joua aux échecs; il fe leva de fa chaife, fe mit à fe promener par fa chambre, devifant avec l'un & l'autre : tout d'un coup il dit, baillez-moi ma chaise, je fens une grande faibleffe; il ne fut pas affis qu'il perdit la parole, & foudain après il rendit l'ame affis. Les marques du poifon fortirent foudain ; il n'eft pas croyable l'étonnement que cela a porté en ce pays-là. Je pars dès l'aube du jour pour y aller pourvoir en diligence. Je me vois bien en chemin d'avoir bien de la peine; priez DIEU hardiment pour moi; fi j'en échappe, il faudra bien que ce foit lui qui me gardait, dont je fuis peut être plus près que je ne penfe ; je vous demeurerai fidèle cfclave. Bon foir, mon ame, je vous baise un million de fois les mains.

TROISIEME LETTRE. (c)

IL m'arriva hier, l'un à midi, l'autre à foir, deux courriers de Saint-Jean; le premier nous dit, comme Belcaftel, page de madame la princeffe, & fon valet de chambre, s'en étaient fuis foudain, après avoir cru mort leur maître, avaient trouvé deux chevaux valant deux cents écus, à une hôtellerie du faubourg, que l'on y tenait, il y avait quinze jours; & avaient chacun une malette pleine d'argent: enquis l'hôte, dit que c'était un nommé

(c) Celle-ci eft du mois de mars 1 588.

Brillant (d) qui lui avait baillé les chevaux, & lui allait dire tous les jours qu'ils fuffent bien traités, que s'il baille aux autres chevaux quatre mesures d'avoine, qu'il leur en baille huit, qu'il payerait auffi le double. Ce Brillant (e) eft un homme que madame la princesse a mis dans la maison, & lui fefait tout gouverner. Il fut foudain pris, confeffe avoir baillé mille écus au page, & lui avoir achepter fes chevaux par le commandement de fa maîtreffe pour aller en Italie. Le fecond confirme, & dit de plus, qu'on avait fait écrire par ce Brillant au valet de chambre, qu'on savait être à Poitiers, par où il lui mandait être à deux cents pas de la porte, qu'il voulait parler à lui. L'autre fortit soudain, l'embufcade qui était là le prit, & fut mené à Saint-Jean. Il n'avait été encore ouï, mais, difait-il à ceux qui le menaient, ah ! que Madame eft méchante ! que l'on prenne fon tailleur, je dirai tout, fans gêner, ce qui fut fait.

Voilà ce qu'on a fait jufqu'à cette heure; je ne me trompe guère en mes jugemens; c'est une dangereuse bête qu'une mauvaise femme. Tous ces empoisonneurs font tous papistes; voilà les inftructions de la dame. J'ai découvert un tueur pour moi, (f) DIEU m'en gardera, & je vous en manderai bientôt davantage. Les gouverneurs & les capitaines de Taillebourg ont envoyé deux foldats, & écrit qu'ils n'ouvriraient leur place qu'à moi, de quoi

(d) Brillant, contrôleur de la maison du prince de Condé, est mal-àpropos nommé Brillaud par les hiftoriens.

(e) Il fut écartelé à Saint-Jean d'Angeli, fans appel, par sentence du prevôt, & par cette même fentence la princeffe de Condé fut condamnée à garder la prison jusqu'après son accouchement. Elle accoucha au mois d'août de Henri de Condé, premier prince du fang. Elle appela à la cour des pairs; mais elle resta prisonnière, sous la garde de Sainte-Même, dans Angeli, jusqu'en l'année 1596. Henri IV fit fupprimer alors les procédures.

(ƒ) C'eft à Nerac qu'on découvrit un affaffin, lorrain de nation, envoyé par les prêtres de la Ligue. On attenta plus de cinquante fois fur la vie de ce grand & bon prince: Tantum relligio potuit fuadere malorum !

je fuis fort aife. Les ennemis les preffent, & ils font fi empreffès à la vérification de ce fait, qu'ils ne leur donnent nul empêchement ; ils ne laiffent fortir aucun homme vivant de Saint-Jean que ceux qu'ils m'envoient. M. de la Trimouille y eft, lui vingtième feulement. L'on m'écrit que fi je tardais beaucoup il y pourrait avoir beaucoup de mal, & grand; cela me fait hâter, de façon que je prendrai vingt maîtres & moi, & irai jour & nuit pour être de retour à Sainte-Foi, à l'affemblée. Mon ame, je me porte affez bien de corps, mais fort affligé de l'efprit; aimez-moi, & me le faites paraître, ce me fera une grande confolation; pour moi je ne manquerai point à la fidélité que je vous ai vouée : fur cette vérité, je vous baise un million de fois les mains.

Daymet, ce 13 mars.

QUATRIEME LETTRE.

J'ARRIVA I hier au foir au lieu de Pons, où il m'arriva

des nouvelles de Saint-Jean par où les foupçons croissent du côté que les avis peu juger. Je verrai tout demain ; j'appréhende fort la vue des fidèles ferviteurs de la maison, car c'eft à la vérité le plus extrême deuil qui fe foit jamais vu. Les prêcheurs romains prêchent tout haut dans les villes d'ici à l'entour qu'il n'y en a plus qu'une à voir, canonifent ce bel acte & celui qui l'a fait, admoneftent tout bon catholique de prendre exemple à une fi chrétienne entreprise, & vous êtes de cette religion! Certes, mon cœur, c'est un beau fujet, & notre misère pour faire paraître votre piété & votre vertu ; n'attendez pas à une autrefois à jeter ce froc aux orties; mais je vous dis vrai. Les querelles de M. d'Epernon avec le maréchal d'Aumont & Crillon troublent fort la cour, d'où je faurai tous les jours des nouvelles, & vous les manderai. L'homme de qui vous a parlé Briquefière m'a fait

de méchans tours que j'ai fu & avéré depuis deux jours. Je finis là, allant monter à cheval; je te baise, ma chère maîtreffe, un million de fois les mains. Ce 17 mars.

CINQUIEME LETTRE.

DIEU fait quel regret ce m'eft de partir d'ici fans vous

aller baifer les mains; certes, mon cœur, j'en fuis au grabat. Vous trouverez étrange ( & direz que je me suis point trompé) ce que Liceran vous dira. Le diable est déchaîné, je fuis à plaindre, & eft merveille si je ne succombe fous le faix. Si je n'étais huguenot, je me ferais turc. Ah! les violentes épreuves par où l'on fonde ma cervelle je ne puis faillir d'être bientôt fol ou habile homme; cette année fera ma pierre de touche; c'est un mal bien douloureux que le domeftique. Toutes les gehennes que peuvent recevoir un efprit font fans cefle exercées fur le mien, je dis toutes enfemble. Plaignezmoi, mon ame, & ne portez point votre espèce de tourmens; c'eft celui que j'appréhende le plus. Je pars vendredi, & vais à Clérac je retiendrai votre précepte de me taire. Croyez que rien qu'un manquement d'amitié ne me peut faire changer de réfolution que j'ai d'être éternellement à vous, non toujours efclave, mais bien forçaire. Mon tout, aimez-moi; votre bonne grace eft l'appui de mon esprit au choc de mon affliction ; ne me refufez ce foutien. Bon foir, mon ame, je te baise les pieds un million de fois.

De Nérac, ce 8 mars, à minuit.

E

SIXIEME LETTRE.

Ne vous manderé jamais que prifes de villes & forts?

En huit jours fe font rendus à moi Saint-Mexant & Maillefaye, & espérez devant la fin de ce mois que vous oyerez parler de moi. (g) Le roi triomphe, il a fait garoter en prison le cardinal de Guise, puis montre fur la place vingtquatre heures le préfident de Neuilly, & le prévôt des marchands pendu, & le secrétaire de M. de Guife & trois autres. La reine fa mère lui dit, mon fils, octroyez-moi une requête que je vous veux faire; felon ce que fera, Madame; c'est que me donniez M. de Nemours & le prince de Guife; ils font jeunes, ils vous feront un jour service. Je le veux bien, dit-il, Madame, je vous donne les corps & en retiendrai les lettres. Il a envoyé à Lyon pour attraper le duc de Mayenne, l'on ne fait ce qu'il en eft réuffi; l'on fe bat à Orléans, & encore plus près d'ici à Poitiers, d'où je ne ferai demain qu'à fept lieues. Si le roi le voulait, je les mettrais d'accord. Je vous plains, s'il fait tel temps où vous êtes qu'ici, car il y a dix jours qu'il ne dégèle point. Je n'attends que l'heure d'ouïr dire que l'on aura envoyé étrangler la roine de Navarre: (h) cela avec la

(g) Cette lettre doit être écrite trois ou quatre jours après l'assassinat du duc de Guise; mais on le trompa fur l'exécution prétendue du président Neuilli & de la Chapelle-Marteau. Henri III les tint en prison ; ils méritaient d'être pendus, mais ils ne le furent pas. Il ne faut pas toujours croire ce que les rois écrivent; ils ont fouvent de mauvaises nouvelles. Cette erreur fut probablement corrigée dans les lettres qui fuivirent, & que nous n'avons point. Ce Neuilli & ce Marteau étaient des Ligueurs outrés, qui avaient maffacré beaucoup de réformés & de catholiques attachés au roi, dans la journée de la Saint-Barthelemi. Rose, évêque de Senlis, ce ligueur furieux, féduifit la fille du préfident Neuilli, & lui fit un enfant. Jamais on ne vit plus de cruautés & de debauches.

(h) C'eft de fa femme dont il parle; elle était liée avec les Guifes, & la reine Catherine, sa mère, était alors malade à la mort.

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