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Procès de

Ravaillac.

été tenté depuis trois ans de tuer Henri IV. Lorfqu'un confeiller du parlement lui demanda, dans cet hôtel de Retz, en présence de Matthieu, comment il avait pu mettre la main fur le roi très chrétien: C'est à favoir, dit-il, s'il eft très-chrétien.

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La fatalité de la deftinée fe fait fentir ici plus qu'en aucun autre événement. C'eft un maître d'école d'Angoulême, qui, fans confpiration, fans complice, fans intérêt, tue Henri IV, au milieu de fon peuple, & change la face de l'Europe.

On voit par les actes de fon procès, imprimés en 1611, que cet homme n'avait en effet d'autres complices que les fermons des prédicateurs, & les difcours des moines. Il était très-dévot, fefait l'oraifon mentale & jaculatoire; il avait même des vifions céleftes. Il avoue qu'après être forti des feuillans il avait eu fouvent l'envie de fe faire jéfuite. Son aveu porte que fon premier deffein était d'engager le roi à profcrire la religion réformée, & que même, pendant les fêtes de Noël, voyant paffer le roi, en carroffe, dans la même rue où il l'affaffina depuis, il s'écria: Sire, au nom de notre Seigneur JESUS-CHRIST, & de la facrée Vierge Marie, que je parle à vous! qu'il fut repouffé par les gardes; qu'alors il retourna dans Angoulême, fa patrie, où il avait quatre-vingts écoliers; qu'il s'y confeffa & communia fouvent. Il est prouvé que fon crime ne fut conçu dans son esprit qu'au milieu des actes réitérés d'une dévotion fincère. Sa réponse, dans fon fecond interrogatoire, porte ces propres mots: Perfonne quelconque ne l'a conduit à ce faire que le commun bruit des foldats qui difaient que fi le roi voulait faire la guerre contre le faint-père, ils l'y

affifteraient & mourraient pour cela; à laquelle raifon s'eft laiffè aller à la tentation qui l'a porté de tuer le roi, parce que fefant la guerre contre le pape, c'est la faire contre DIEU, d'autant que le pape eft DIEU, & DIEU eft le pape. Ainfi tout concourt à faire voir que Henri IV n'a été en effet affaffiné que par les préjugés qui depuis fi long-temps ont aveuglé les hommes & défolé la terre. On ofa imputer ce crime à la maison d'Autriche, à Marie de Médicis, époufe du roi, à Balzac d'Entragues, sa maîtreffe, au duc d'Epernon; conjectures odieufes, que Mézerai & d'autres ont recueillies fans examen, qui fe détruisent l'une par l'autre, & qui ne fervent qu'à faire voir combien la malignité humaine eft crédule.

Il est très-avéré qu'on parlait de fa mort prochaine, dans les Pays-Bas, avant le coup de l'affaffin. Il n'est pas étonnant que les partisans de la Ligue catholique, en voyant l'armée formidable qu'il allait commander, euffent dit qu'il n'y avait que la mort de Henri qui pût les fauver. Eux & les reftes de la Ligue fouhaitaient quelque Clément, quelque Gerard, quelque Châtel. On paffa aisément du défir à l'efpérance; ces bruits fe répandirent, ils allèrent aux oreilles de Ravaillac & le déterminèrent.

Il eft encore certain qu'on avait prédit à Henri qu'il mourrait en carroffe. Cette idée venait de ce que ce prince, fi intrépide ailleurs, était toujours inquiété de la crainte de verfer, quand il était en voiture. Cette faibleffe fut regardée par les aftrologues comme un preffentiment; & l'aventure la moins vraisemblable juftifia ce qu'ils avaient dit au hafard.

Le tombeau

de Henri IV

Ravaillac ne fut que l'inftrument aveugle de l'efprit du temps, qui n'était pas moins aveugle. Ce Barrière, ce Châtel, ce chartreux nommé Ouin, ce vicaire de Saint-Nicolas-des-Champs, pendu en 1595; enfin, jufqu'à un malheureux qui était ou qui contrefefait l'infenfé, d'autres, dont le nom m'échappe, méditèrent le même affaffinat; prefque tous jeunes & tous de la lie du peuple tant la religion devient fureur dans la populace & dans la jeuneffe! De tous les affaflins de cette espèce que ce fiècle affreux produifit, il n'y eut que Poltrot de Méré qui fût gentilhomme. J'en excepte ceux qui avaient tué le duc de Guife, par ordre de Henri III: ceux-là n'étaient pas fanatiques; ils n'étaient que de lâches mercenaires.

Il n'eft que trop vrai que Henri IV ne fut ni embraffe & connu ni aimé pendant fa vie. Le même esprit qui arofe de lar- prépara tant d'affaffinats fouleva toujours contre ce de la reine lui la faction catholique ; & fon changement nécefde France, en faire de religion lui aliéna les réformés. Sa femme, 1768,

mes, au fervi

qui ne l'aimait pas, l'accabla de chagrins domeftiques. Sa maîtreffe même, la marquife de Verneuil, confpira contre lui la plus cruelle fatire qui attaqua fes mœurs & fa probité fut l'ouvrage d'une princeffe de Conti, fa proche parente. Enfin, il ne commença à devenir cher à la nation que quand il eut été affaffiné. La régence inconfidérée, tumultueufe & infortunée de fa veuve augmenta les regrets de la perte de fon mari. Les mémoires du duc de Sulli développèrent toutes fes vertus & firent pardonner fes faibleffes. Plus l'hiftoire fut approfondie, plus il fut aimé. Le fiècle de Louis XIV a été beaucoup plus grand fans doute que le fien;

mais Henri IV eft jugé beaucoup plus grand que Louis XIV. Enfin, chaque jour ajoutant à fa gloire, l'amour des Français pour lui eft devenu une paffion. On en a vu depuis peu un témoignage fingulier à Saint-Denis. Un évêque du Puy en Velay prononçait l'oraifon funèbre de la reine, époufe de Louis XV. L'orateur n'attachant pas affez les efprits, quoiqu'il fît l'éloge d'une reine chérie, une cinquantaine d'auditeurs fe détacha de l'affemblée pour aller voir le tombeau de Henri IV. Ils fe mirent à genoux autour du cercueil, ils répandirent des larmes, on entendit des exclamations: jamais il n'y eut de plus véritable apothéose.

ADDITION

au chapitre CLXXIV de HENRI IV.

VOICI

OICI plufieurs lettres écrites de la main de Henri IV à Corifande d'Andouin, veuve de Philibert, comte de Grammont. Elles font toutes fans date; mais on verra aifément, par les notes, dans quel temps elles furent écrites. Il y en a de très-intéreffantes, & le nom de Henri IV les rend précieuses.

PREMIERE

LETTRE.

IL ne fe fauve point de laquais, ou pour le moins fort peu, qui ne foient dévalifés, ou les lettres ouvertes. Il est arrivé fept ou huit gentilshommes de ceux qui étaient à l'armée étrangère, qui affurent, comme eft vrai,

(car l'un eft M. de Monlouet, frère de Rambouillet, qui était un des députés pour traiter) qu'il n'y a pas dix gentilshommes qui aient promis de ne porter les armes. M. de Bouillon n'a point promis: bref, il ne s'eft rien perdu qui ne se découvre pour de l'argent. M. de Mayenne a fait un acte de quoi il ne fera guère loué; il a tué Sacremore (lui demandant récompenfe de fes fervices) à coups de poignard : l'on me mande que ne le voulant contenter, il craignit qu'étant mal content, il ne découvrit fes fecrets, qu'il favait tout, même l'entreprise contre la personne du roi, de quoi il était chef de l'exécution. (a) DIEU les veut vaincre par eux-mêmes, car c'était le plus utile ferviteur qu'ils euffent; il fut enterré qu'il n'était pas encore mort. Sur ce mot vient d'arriver Morlas, & un laquais de mon coufin qui ont été dévalifés des lettres & des habillemens. M. de Turenne fera ici demain : il a pris autour de Fizac dix-huit forts, en trois jours; je ferai peut-être quelque chofe de meilleur bientôt, s'il plaît à DIEU. Le bruit de ma mort allant à Hay, à Maux, a couru à Paris, & quelques prêcheurs en leurs fermons la mettaient pour un des bonheurs que DIEU leur avait envoyé. Adieu, mon ame, je vous baife un million de fois les mains. Ce 14 janvier.

DEUXIEME LETTRE. (b)

Pour achever de me peindre, il m'eft arrivé un des plus extrêmes malheurs que je pouvais craindre, qui est la mort fubite de M. le Prince ; je le plains comme ce qu'il me devait être, non comme ce qu'il m'était : je

(a) Rien n'eft fi curieux que cette anecdote. Ce Sacremore était Birague de fon nom. Cette aventure prouve que le duc de Mayenne était bien plus méchant & plus cruel que tous les historiens ne le dépeignent ; ce qui n'eft pas extraordinaire dans un chef de parti. La lettre eft de 1587.

(b) Mars 1588.

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