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remuant des Européans, & de cette fatalité qui dif

pose des nations.

feuls com

mercent au

Le fervice odieux qu'avaient rendu les Hollandais Hollandais au Japon ne leur attira pas la grace qu'ils efpéraient, d'y commercer & de s'y établir librement; Japon. mais ils obtinrent la permiffion d'aborder dans une petite île nommée Défima, près du port de Nangazaki; c'est là qu'il leur eft permis d'apporter une quantité déterminée de marchandises.

Il fallut d'abord marcher fur la croix, renoncer Hollandais obligés de à toutes les marques du chriftianifme, & jurer qu'ils marcher fur n'étaient pas de la religion des Portugais, pour la croix. obtenir d'être reçus dans cette petite île, qui leur fert de prison dès qu'ils y arrivent; on s'empare de leurs vaiffeaux & de leurs marchandises, auxquelles on met le prix. Ils viennent chaque année fubir cette prison pour gagner de l'argent ; ceux qui font rois à Batavia & dans les Moluques, fe laissent ainfi traiter en esclaves on les conduit, il est vrai, de la petite île où ils font retenus jufqu'à la cour de l'empereur; & ils font par-tout reçus avec civilité & avec honneur, mais gardés à vue & obfervés ; leurs conducteurs & leurs gardes font un ferment par écrit figné de leur fang, qu'ils obferveront toutes les démarches des Hollandais, & qu'ils en rendront un compte fidèle.

On a imprimé dans plufieurs livres qu'ils abjuraient le chriftianifme au Japon : cette opinion a fa source dans l'aventure d'un hollandais qui, s'étant échappé & vivant parmi les naturels du pays, fut bientôt reconnu; il dit, pour fauver fa vie, qu'it

Les Fran

en vain com

mercer

Japon.

n'était pas chrétien, mais hollandais. Le gouvernement japonais a défendu depuis ce temps qu'on bâtît des vaisseaux qui puffent aller en haute mer. Ils ne veulent avoir que de longues barques à voiles & à rames, pour le commerce de leurs îles. La fréquentation des étrangers eft devenue chez eux le plus grand des crimes; il femble qu'ils les craignent encore après le danger qu'ils ont couru. Cette terreur ne s'accorde ni avec le courage de la nation, ni avec la grandeur de l'Empire; mais l'horreur du paffé a plus agi en eux que la crainte de l'avenir. Toute la conduite des Japonais a été celle d'un peuple généreux, facile, fier & extrême dans fes réfolutions ils reçurent d'abord les étrangers avec cordialité; & quand ils fe font crus outrages & trahis par eux, ils ont rompu avec eux fans retour.

Lorsque le miniftre Colbert, d'éternelle mémoire, çais veulent établit le premier une compagnie des Indes en au France, il voulut effayer d'introduire le commerce des Français au Japon, comptant fe fervir des feuls proteftans qui pouvaient jurer qu'ils n'étaient pas de la religion des Portugais; mais les Hollandais s'opposèrent à ce deffein, & les Japonais, contens de recevoir tous les ans chez eux une nation qu'ils font prifonnière, ne voulurent pas en recevoir deux.

Je ne parlerai point ici du royaume de Siam, qu'on nous repréfentait beaucoup plus vafte & plus opulent qu'il n'eft; on verra dans le Siècle de Louis XIV le peu qu'il eft néceffaire d'en savoir. La Corée, la Cochinchine, le Tunquin, le Laos, Ava, Pégu, font des pays dont on a peu de connaissance; &

dans ce prodigieux nombre d'îles répandues aux extrémités de l'Afie, il n'y a guère que celle de Java, où les Hollandais ont établi le centre de leur domination & de leur commerce, qui puiffe entrer dans le plan de cette histoire générale. Il en est ainfi de tous les peuples qui occupent le milieu de l'Afrique, & d'une infinité de peuplades dans le nouveau monde. Je remarquerai feulement qu'avant le feizième fiècle, plus de la moitié du globe ignorait l'ufage du pain & du vin; une grande partie de l'Amérique & de l'Afrique orientale l'ignore encore, & il faut y porter ces nourritures pour y célébrer les mystères de notre religion.

Les anthropophages font beaucoup plus rares qu'on ne le dit, & depuis cinquante ans aucun de nos voyageurs n'en a vu. (14) Il y a beaucoup d'espèces d'hommes manifeftement différentes les unes des autres. Plufieurs nations vivent encore dans l'état de la pure nature; &, tandis que nous fefons le tour du monde pour découvrir fi leurs terres n'ont rien qui puiffe affouvir notre cupidité, ces

(14) Depuis le temps où M. de Voltaire a écrit cette hiftoire, les voyageurs ont trouvé des anthropophages dans plufieurs îles de la mer du Sud. Il paraît résulter de leurs observations que cet ufage s'abolit peu à peu chez ces peuples, à mesure que le temps amène quelques progrès dans leur civilifation. Les peuples qui mangeut quelques-uns de leurs ennemis dans une espèce de fête barbare font encore en affez grand nombre; mais il eft très-rare d'en trouver qui tuent leurs ennemis pour les manger. Ce font deux degrés de barbarie bien diftin&s, dont le premier a précédé l'autre qui paraît n'être qu'un refte de l'ancien usage. Au refte, on n'a trouvé chez aucun de ces peuples l'usage de faire brûler vivans les hommes qui ne font pas de l'avis des autres, ni celui de faire mourir les prifonniers dans les fupplices; ces coutumes paraissent appartenir exclufivement aux théologiens d'Europe & aux fauvages de l'Amérique feptentrionale.

FAITS HIS

peuples ne s'informent pas s'il exifte d'autres hommes qu'eux, & paffent leurs jours dans une heureuse indolence qui ferait un malheur pour nous.

Il refte beaucoup à découvrir pour notre vaine curiofité; mais fi l'on s'en tient à l'utile, on n'a que trop découvert.

CHAPITRE CXCVII.

Réfumé de toute cette hiftoire, jusqu'au temps où commence le beau fiècle de Louis XIV.

J'AI

Ar parcouru ce vafte théâtre des révolutions depuis Charlemagne, & même en remontant fouvent beaucoup plus haut, jufqu'au temps de Louis XIV. Quel fera le fruit de ce travail? quel profit tirera-t-on de l'histoire ? On y a vu les faits & les mœurs ; voyons quel avantage nous produira la connaissance des uns & des autres.

Un lecteur fage s'apercevra aifément qu'il ne TORIQUES. doit croire que les grands événemens qui ont quelque vraisemblance, & regarder en pitié toutes les fables dont le fanatisme, l'efprit romanesque & la crédulité ont chargé dans tous les temps la fcène du monde.

Conflantin triomphe de l'empereur Maxence; mais certainement un Labarum ne lui apparut point dans les nuées, en Picardie, avec une infcription grecque.

Clovis fouillé d'affaffinats fe fait chrétien, & commet des affaffinats nouveaux ; mais ni une

colombe ne lui apporte une ampoule pour fon baptême, ni un ange ne defcend du ciel pour lui donner. un étendard.

Un moine de Clervaux peut prêcher une croifade; mais il faut être imbécille pour écrire que DIEU fit des miracles par la main de ce moine, afin d'affurer le fuccès de cette croifade qui fut auffi malheureuse que follement entreprise & mal conduite.

Le roi Louis VIII peut mourir de phthifie, mais il n'y a qu'un fanatique ignorant qui puiffe dire que les embrassemens d'une jeune fille l'auraient guéri, & qu'il mourut martyr de fa chafteté.

Chez toutes les nations l'histoire est défigurée par la fable, jufqu'à ce qu'enfin la philosophie vienne éclairer les hommes ; & lorsqu'enfin la philosophie arrive au milieu de ces ténèbres, elle trouve les efprits fi aveuglés par des fiècles d'erreurs, qu'elle. peut à peine les détromper; elle trouve des cérémonies, des faits, des monumens établis pour conftater des menfonges.

Comment, par exemple, un philofophe aurait-il pu perfuader à la populace, dans le temple de Jupiter. Stator, que Jupiter n'était point descendu du ciel pour arrêter la fuite des Romains? quel philofophe eût pu nier, dans le temple de Caftor & de Pollux, que ces deux jumeaux avaient combattu à la tête des troupes? ne lui aurait-on pas montré l'empreinte des pieds de ces dieux confervée fur le marbre? Les prêtres de Jupiter et de Pollux n'auraient-ils pas dit à ce philofophe: Criminel incrédule, vous êtes obligé d'avouer, en voyant la colonne roftrale, que nous avons gagné une bataille navale dont cette colonne

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