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Commence- du prince Thamas, & le foutien du trône dont il fut mens de Sha- enfuite l'ufurpateur. Cet homme, qui s'eft placé au

Nadir.

rang des plus grands conquérans, s'appelait Nadir. Il gardait les moutons de fon père dans les plaines du Coraffan, partie de l'ancienne Hircanie & de la Bactriane. Il ne faut pas fe figurer ces bergers comme les nôtres. La vie paftorale qui s'eft confervée dans plus d'une contrée de l'Afie n'eft pas fans opulence les tentes de ces riches bergers valent beaucoup mieux que les maifons de nos cultivateurs. Nadir vendit plufieurs grands troupeaux de fon père, & fe mit à la tête d'une troupe de bandits, chose encore fort commune dans ces pays où les peuples ont gardé les mœurs des temps antiques. Il fe donna avec fa troupe au prince Thamas; & à force d'ambition, de courage & d'activité, il fut à la tête d'une armée. Il fe fit appeler alors Thamas Kouli-kan, le kan efclave de Thamas; mais l'esclave était le maître fous un prince auffi faible & auffi 1729. efféminé que fon père Huffein. Il reprit Ispahan &

toute la Perse, poursuivit le nouveau roi Afraf jusqu'à Candahar, le vainquit, le prit prifonnier, & lui fit couper la tête après lui avoir arraché les yeux.

Kouli-kan ayant ainfi rétabli le prince Thamas fur le trône de fes aïeux, & l'ayant mis en état d'être ingrat, voulut l'empêcher de l'être. Il l'enferma dans la capitale du Coraffan, & agissant toujours au nom de ce prince prisonnier, il alla faire la guerre aux Turcs, fachant bien qu'il ne pouvait affermir fa puiffance que par la même voie qu'il l'avait acquife. Il battit les Turcs à Erivan, reprit tout ce pays &

affura fes conquêtes en fefant la paix avec les Ruffes. Ce fut alors qu'il fe fit déclarer roi de Perfe, fous 1739. le nom de Sha-Nadir. Il n'oublia pas l'ancienne coutume de crever les yeux à ceux qui peuvent avoir droit au trône. Cette cruauté fut exercée fur ⚫fon fouverain Thamas. Les mêmes armées, qui avaient fervi à défoler la Perfe, fervirent auffi à la rendre redoutable à fes voifins. Kouli-kan mit les Turcs plufieurs fois en fuite. Il fit enfin avec eux une paix honorable, par laquelle ils rendirent tout ce qu'ils avaient jamais pris aux Perfans, excepté Bagdad & fon territoire.

Kouli-kan, chargé de crimes & de gloire, alla enfuite conquérir l'Inde, comme nous le verrons au chapitre du Mogol. De retour dans fa patrie, il trouva un parti formé en faveur des princes de la maison royale qui exiftait encore; &, au milieu de ces nouveaux troubles, il fut affaffiné par fon propre neveu, ainsi que l'avait été Myri-Veis, le premier auteur de la révolution. La Perfe alors eft devenue encore le théâtre des guerres civiles. Tant de dévaftations y ont détruit le commerce & les arts, en détruifant une partie du peuple; mais quand le terrain est fertile & la nation industrieuse, tout fe répare à la longue.

Sha-Nadir

dans l'Inde.

Grand-mogol rarement abfolu.

CHAPITRE CXCIV.

Du Mogol.

CETTE prodigieufe variété de mœurs, de cou

tumes, de lois, de révolutions, qui ont toutes le même principe, l'intérêt, forme le tableau de l'univers. Nous n'avons vu ni en Perse ni en Turquie de fils révolté contre fon père. Vous voyez dans l'Inde les deux fils du grand-mogol Gean-Guir lui faire la guerre l'un après l'autre, au commencement du dix-feptième fiècle. L'un de ces deux princes, nommé Sha-Gean, s'empare de l'Empire, en 1627, après la mort de fon père, Gean-Guir, au préjudice d'un petit-fils à qui Gean-Guir avait laiffé le trône. L'ordre de fucceffion n'était point dans l'Afie une loi reconnue comme dans les nations de l'Europe. Ces peuples avaient une fource de malheurs de plus que nous.

Sha-Gean, qui s'était révolté contre fon père, vit auffi dans la fuite fes enfans foulevés contre lui. Il eft difficile de comprendre comment des fouverains, qui ne pouvaient empêcher leurs proprés enfans de lever contre eux des armées, étaient auffi abfolus qu'on veut nous le faire croire. Il paraît que l'Inde était gouvernée à peu près comme l'étaient les royaumes de l'Europe du temps des grands fiefs. Les gouverneurs des princes de l'Indouftan étaient les maîtres dans leurs gouvernemens, & on donnait des vices-royautés aux enfans des empereurs. C'était manifeftement un fujet éternel de guerres civiles: auffi, dès que la fanté de l'empereur Sha-Gean devint languiffante,

languiffante, fes quatre enfans, qui avaient chacun le commandement d'une province, armèrent pour lui fuccéder. Ils s'accordaient pour détrôner leur père, & fe fefaient la guerre entre eux; c'était précisément l'aventure de Louis le débonnaire ou le faible. Aurengzeb, le plus fcélérat des quatre frères, fut le plus heureux.

hypocrites.

La même hypocrifie que nous avons vue dans Aurengzeble Cromwell fe retrouve dans ce prince indien; la même premier des diffimulation & la même cruauté avec un cœur plus dénaturé. Il fe ligua d'abord avec un de fes frères, & fe rendit maître de la perfonne de fon père, ShaGean, qu'il tint toujours en prifon; enfuite il affaffina ce même frère, dont il s'était fervi comme d'un inftrument dangereux qu'il fallait exterminer; il pourfuit fes deux autres frères, dont il triomphe, & qu'il fait enfin étrangler l'un après l'autre.

dévot.

Cependant le père d'Aurengzeb vivait encore. Son Parricide & fils le retenait dans la prifon la plus dure; & le nom du vieil empereur était fouvent le prétexte des confpirations contre le tyran. Il envoya enfin un médecin à fon père attaqué d'une indifpofition légère, & le vieillard mourut. Aurengzeb paffa dans toute l'Afie 1666. pour l'avoir empoifonné. Nul homme n'a mieux montré que le bonheur n'est pas le prix de la vertu. Cet homme, fouillé du fang de fes frères, & coupable de la mort de fon père, réuffit dans toutes fes entreprises il ne mourut qu'en 1707, âgé d'environ cent trois ans. Jamais prince n'eut une carrière fi longue & fi fortunée. Il ajouta à l'Empire des Mogols les royaumes de Vifapour & de Golconde, tout le pays de Carnate, & prefque toute cette grande prefqu'îl Effai fur les mœurs, &c. Tome IV.

:

X

Tréfor du

que
bordent les côtes de Coromandel & de Malabar.
Cet homme qui eût péri par le dernier fupplice, s'il
eût pu être jugé par les lois ordinaires des nations,
a été fans contredit le plus puissant prince de l'univers.
La magnificence des rois de Perfe, toute éblouif-
fante qu'elle nous a paru, n'était que l'effort d'une
cour médiocre qui étale quelque fafte, en compa-
raifon des richeffes d'Aurengzeb.

De tous temps les princes afiatiques ont accumulé grand-mo- des tréfors; ils ont été riches de tout ce qu'ils gol. entaffaient; au lieu que dans l'Europe les princes font riches de l'argent qui circule dans leurs Etats. Le tréfor de Tamerlan fubfiftait encore, & tous fes fucceffeurs l'avaient augmenté. Aurengzeb y ajouta des richeffes étonnantes: un feul de fes trônes a été eftimé par Tavernier cent foixante millions de fon temps, qui en font plus de trois cents du nôtre. Douze colonnes d'or qui foutenaient le dais de ce trône étaient entourées de groffes perles : le dais était de perles & de diamans, furmonté d'un paon qui étalait une queue de pierreries; tout le refte était proportionné à cette étrange magnificence. Le jour le plus folennel de l'année était celui où l'on pefait l'empereur dans des balances d'or, en préfence du peuple ; &, ce jour-là, il recevait pour plus de cinquante millions de préfens.

Le climat

énervé.

Si jamais le climat a influé fur les hommes, c'eft de l'Inde affurément dans l'Inde; les empereurs y étalaient le même luxe, vivaient dans la même molleffe que les rois indiens dont parle Quinte-Curce; & les vainqueurs tartares prirent infenfiblement ces mêmes mœurs, & devinrent indiens.

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