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livrée.

l'Empire celui d'affembler une armée. Les janiffaires murmuraient; le découragement fuccéda à leur indignation; ils s'écriaient : Venez, infidèles, la feule vue de vos chapeaux nous fera fuir.

En effet, dès que le roi de Pologne & le duc de Lorraine defcendirent de la montagne de Calemberg, Vienne dé- les Turcs prirent la fuite, prefque fans combattre. Kara Mustapha, qui avait compté trouver tant de tréfors dans Vienne, laiffa tous les fiens au pouvoir 12 feptembre de Sobieski, & bientôt après il fut étranglé. Tekėli, que ce vifir avait fait roi, foupçonné bientôt après par la Porte ottomane de négocier avec l'empereur d'allemagne, fut arrêté par le nouveau vifir, & envoyé, les fers aux pieds & aux mains, à Conf1685. tantinople. Les Turcs perdirent prefque toute la Hongrie.

1683.

1687.

Le règne de Mahomet IV ne fut plus fameux que par des difgraces. Morofini prit tout le Péloponèfe, qui valait mieux que Candie. Les bombes de l'armée vénitienne détruifirent, dans cette conquête, plus d'un ancien monument que les Turcs avaient épargnés, & entre autres le fameux temple d'Athènes dédié aux Dieux inconnus. Les janiffaires, qui attribuaient tant de malheurs à l'indolence du fultan, réfolurent de le dépofer. Le caïmacan, gouverneur de Conftantinople, Mustapha Kuprogli, le shérif de la mofquée de Sainte-Sophie, & le nakif, grade de l'étendard de Mahomet Mahomet, vinrent fignifier au fultan qu'il fallait déposé. quitter le trône, & que telle était la volonté de la nation. Le fultan leur parla long-temps pour juftifier. Le nakif lui repliqua qu'il était venu pour lui commander de la part du peuple d'abdiquer

fe

l'Empire, & de le laiffer à fon frère Soliman. Mahomet IV répondit: La volonté de DIEU foit faite; puifque fa colère doit tomber fur ma tête, allez dire à mon frère que DIEU déclare fa volonté par la bouche du peuple.

La plupart de nos hiftoriens prétendent que Mahomet IV fut égorgé par les janiffaires : mais les annales turques font foi qu'il vécut encore cinq ans renfermé dans le férail. Le même Muflapha Kuprogli, qui avait dépofé Mahomet IV, fut grand-vifir fous Soliman III. Il reprit une partie de la Hongrie, & rétablit la réputation de l'Empire turc: mais depuis ce temps les limites de cet Empire ne passèrent jamais Belgrade ou Témisvar. Les fultans confervèrent Candie; mais ils ne font rentrés dans le Péloponéfe qu'en 1715. Les célèbres batailles que le prince Eugène a données contre les Turcs ont fait voir qu'on pouvait les vaincre, mais non pas qu'on pût faire fur eux beaucoup de conquêtes.

medes empe

reurs turcs.

Ce gouvernement qu'on nous peint fi defpotique, Preuve du fi arbitraire, paraît ne l'avoir jamais été que fous non-defpotif Mahomet II, Soliman & Selim II qui firent tout plier fous leur volonté. Mais fous prefque tous les autres padishas ou empereurs, & furtout dans nos derniers temps, vous retrouvez dans Conftantinople le gouvernement d'Alger & de Tunis; vous voyez, en 1703, le padisha, Mustapha II, juridiquement déposé par la milice & par les citoyens de Conftantinople. On ne choifit point un de fes enfans pour lui fuccéder, mais fon frère Achmet III. Ce même empereur Achmet eft condamné, en 1730, par les janiffaires & par le peuple, à résigner le trône à fon neveu Mahmoud, & il obéit fans résistance, après avoir inutilement

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facrifié fon grand-vifir & fes principaux officiers au reffentiment de la nation. Voilà ces fouverains fi abfolus. On s'imagine qu'un homme eft par les lois le maître arbitraire d'une grande partie de la terre, parce qu'il peut faire impunément quelques crimes dans fa maison, & ordonner le meurtre de quelques esclaves; mais il ne peut perfécuter fa nation, & il eft plus fouvent opprimé qu'oppreffeur.

Les mœurs des Turcs offrent un grand contraste; ils font à la fois féroces & charitables, intéreffés & ne commettant prefque jamais de larcin; leur oifiveté ne les porte ni au jeu ni à l'intempérance; très-peu ufent du privilége d'épouser plufieurs femmes, & de jouir de plufieurs efclaves; & il n'y a pas de grande ville en Europe où il y ait moins de femmes publiques qu'à Conftantinople. Invinciblement attachés à leur religion, ils haïffent, ils méprifent les chrétiens ils les regardent comme des idolâtres ; & cependant ils les fouffrent, ils les protègent dans tout leur Empire, & dans la capitale : on permet aux chrétiens de faire leurs proceffions dans le vafte quartier qu'ils ont à Conftantinople, & on voit quatre janiffaires précéder ces proceffions dans

les rues.

Les Turcs font fiers, & ne connaiffent point la nobleffe: ils font braves, & n'ont point l'ufage du duel; c'est une vertu qui leur eft commune avec tous les peuples de l'Afie, & cette vertu vient de la coutume de n'être armés que quand ils vont à la guerre. C'était auffi l'ufage des Grecs & des Romains; & l'usage contraire ne s'introduifit chez les chrétiens que dans les temps de barbarie & de chevalerie, où

l'on fe fit un devoir & un honneur de marcher à pied avec des éperons aux talons, & de fe mettre à table ou de prier DIEU avec une longue épée au côté. La nobleffe chrétienne fe diftingua par cette coutume, bientôt fuivie, comme on l'a déjà dit, par le plus vil peuple, & mife au rang de ces ridicules dont on ne s'aperçoit point, parce qu'on les voit tous les jours.

CHAPITRE CXCIII.

De la Perfe, de fes mœurs, de fa dernière révolution de Thamas Kouli-kan, ou Sha-Nadir.

LA
La Perse était alors plus civilisée que la Turquie; Perfans 211-

A

les arts y étaient plus en honneur, les mœurs plus douces, la police générale bien mieux obfervée. Ce n'eft pas feulement un effet du climat; les Arabes y avaient cultivé les arts cinq fiècles entiers. Ce furent ces Arabes qui bâtirent Ifpahan, Chiras, Casbin, Cachan & plufieurs autres grandes villes : les Turcs, au contraire, n'en ont bâti aucune, & en ont laiffé plufieurs tomber en ruine. Les Tartares fubjuguèrent deux fois la Perfe après le règne des califes arabes, mais ils n'y abolirent point les arts; & quand la famille des Sophis régna, elle y porta les mœurs douces de l'Arménie, où cette famille avait habité long-temps. Les ouvrages de la main paffaient pour être mieux travaillés, plus finis en Perfe qu'en Turquie. Les fciences y avaient de bien plus grands encouragemens; point de ville dans

trefois éclai

rés.

Perfe bien peuplee.

laquelle il n'y eût plufieurs colléges fondés où l'on enfeignait les belles-lettres. La langue perfanne, plus douce & plus harmonieufe que la turque, a été féconde en poëfies agréables. Les anciens Grecs, qui ont été les premiers précepteurs de l'Europe, font encore ceux des Perfans. Ainfi leur philofophie était, au feizième & au dix-feptième fiècles, à peuprès au même état que la nôtre. Ils tenaient l'aftrologie de leur propre pays, & ils s'y attachaient plus qu'aucun peuple de la terre, comme nous l'avons déjà indiqué. La coutume de marquer de blanc les jours heureux, & de noir les jours funeftes, s'eft confervée chez eux avec fcrupule. Elle était trèsfamilière aux Romains, qui l'avaient prife des nations afiatiques. Les payfans de nos provinces ont moins de foi aux jours propres à femer & à planter, indiqués dans leurs almanachs, que les courtisans d'Ifpahan n'en avaient aux heures favorables ou dangereuses pour les affaires. Les Persans étaient, comme plufieurs de nos nations, pleins d'efprit & d'erreurs. Quelques voyageurs ont affuré que ce pays n'était pas auffi peuplé qu'il pourrait l'être. Il est très-vraisemblable que du temps des mages il était plus peuplé & plus fertile. L'agriculture était alors un point de religion : c'eft de toutes les profeffions celle qui a le plus befoin d'une nombreuse famille, & qui, en confervant la fanté & la force, met le plus aifément l'homme en état de former & d'entretenir plufieurs enfans.

Cependant Ifpahan, avant les dernières révolutions, était auffi grand & auffi peuplé que Londres. On comptait dans Tauris plus de cinq cents mille

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