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la terre le plus libre, & celui où les rois font les plus dépendans. Le Danemarck, au contraire, où le roi n'était qu'un doge, où la nobleffe était fouveraine, & le peuple efclave, devint dès l'an 1661, un royaume entièrement monarchique. Le clergé & les bourgeois aimèrent mieux un fouverain abfolu que cent nobles qui voulaient commander; ils forcèrent ces nobles à être fujets comme eux, & à déférer au roi, Frederic III, une autorité fans bornes. Ce monarque fut le feul dans l'univers, qui par un confentement formel de tous les ordres de l'Etat fut reconnu pour fouverain abfolu des hommes & des lois, pouvant les faire, les abroger, & les négliger à fa volonté. On lui donna juridiquement ces armes terribles contre lesquelles il n'y a point de bouclier. Ses fucceffeurs en ont rarement abufé. Ils ont fenti que leur grandeur confiftait à rendre heureux leurs peuples. La Suède & le Danemarck font parvenus à cultiver le commerce par des routes diametralement oppofées, la Suède en fe rendant libre, & le Danemarck en ceffant de l'être. (*)

CHAPITRE

CLXXXI X.

De la Pologne, au dix-feptième fiècle, & des fociniens

ou unitaires.

Pologne

conquéran

LA Pologne était le feul pays qui, joignant le nom de république à celui de monarchie, fe donnât fage, non toujours un roi étranger, comme les Vénitiens te. choififfent un général de terre. C'est encore le feu! royaume qui n'ait point eu l'efprit de conquête,

(*) Ce chapitre a été écrit avant la révcation de 1772.

Effai fur les mœurs, &c. Tome IV.

S

Suédois plus

la Pologne que les

Turcs.

occupé feulement de défendre fes frontières contre les Turcs & contre les Mofcovites.

Les factions catholique & proteftante, qui avaient troublé tant d'Etats, pénétrèrent enfin chez cette nation. Les proteftans furent affez confidérables pour fe faire accorder la liberté de confcience, en 1587, & leur parti était déjà fi fort que le nonce du pape, Annibal de Capoue, n'employa qu'eux pour tâcher de donner la couronne à l'archiduc Maximilien, frère de l'empereur Rodolphe II. En effet les proteftans polonais élurent ce prince autrichien, tandis que la faction opposée choisisfait le fuédois Sigifmond, petitfils de Gustave Vafa, dont nous avons parlé. Sigifmond devait être roi de Suède, fi les droits du fang avaient été confultés : mais vous avez vu que les états de la Suède difpofaient du trône. Il était fi loin de régner en Suède, que Gulave-Adolphe, fon coufin, fut fur le point de le détrôner en Pologne, & ne renonça à cette entreprise que pour aller tenter de détrôner l'empereur.

C'est une chofe étonnante que les Suédois aient dangereux a fouvent parcouru la Pologne en vainqueurs, & que les Turcs, bien plus puiffans, n'aient jamais pénétré beaucoup au-delà de fes frontières. Le fultan Ofman attaqua les Polonais avec deux cents mille hommes, au temps de Sigifmond, du côté de la Moldavie : les Cofaques, feuls peuples alors attachés à la république & fous fa protection, rendirent par une réfiftance opiniâtre l'irruption des Turcs inutile. Que peut-on conclure du mauvais fuccès d'un tel armement, finon que les capitaines d'Ofman ne favaient pas faire la guerre?

Sigifmond mourut la même année que Guftave- 1632. Adolphe. Son fils Ladiflas, qui lui fuccéda, vit commencer la fatale défection de ces Cofaques qui, Cofaques ayant été long-temps le rempart de la république, fe font enfin donnés aux Ruffes & aux Turcs. Ces peuples, qu'il faut diftinguer des Cofaques du Tanaïs, habitent les deux rives du Borifthène : leur vie eft entièrement femblable à celle des anciens Scythes & des Tartares des bords du Pont-Euxin. Au nord & à l'orient de l'Europe, toute cette partie du monde était encore agrefte : c'eft l'image de ces prétendus fiècles héroïques où les hommes; se bornant au néceffaire, pillaient ce néceffaire chez leurs voifins. Les feigneurs polonais des palatinats qui touchent à l'Ukraine, voulurent traiter quelques cofaques comme leurs vaffaux, c'est-à-dire, comme des ferfs. Toute la nation, qui n'avait de bien que fa liberté se fouleva unanimement, & défola long-temps les terres de la Pologne. Ces Cofaques étaient de la religion grecque, & ce fut encore une raifon de plus pour les rendre irréconciliables avec les Polonais. Les uns fe donnèrent aux Ruffes, les autres aux Turcs, toujours à condition de vivre dans leur libre anarchie. Ils ont confervé le peu qu'ils ont de la religion des Grecs, & ils ont enfin perdu prefque entièrement leur liberté fous l'empire de la Ruffie qui, après avoir été policée de nos jours, a voulu les policer auffi.

venu roi.

Le roi Ladiflas mourut fans laiffer d'enfans de fa Jefuite defemme, Marie-Louife de Gonzague, la même qui avait aimé le grand écuyer Cinq-Mars. Ladislas avait deux frères, tous deux dans les ordres, l'un jéfuite &

cardinal, nommé Jean Cafimir; l'autre évêque de Breslau & de Kiovie. Le cardinal & l'évêque difpu1648. tèrent le trône. Cafimir fut élu. Il renvoya fon chapeau, prit la couronne de Pologne, & époufa la veuve de fon frère. Mais après avoir vu, pendant vingt années, fon royaume toujours troublé par des factions, dévasté tantôt par le roi de Suède, Charles X, tantôt par les Mofcovites & par les Cofaques, il fuivit 1668. l'exemple de la reine Chrifline: il abdiqua comme elle, mais avec moins de gloire, & alla mourir à Paris, abbé de Saint-Germain-des-Prés.

La Pologne ne fut pas plus heureuse fous fon fucceffeur Michel Coribut. Tout ce qu'elle a perdu en divers temps composerait un royaume immenfe. Les Suédois lui avaient enlevé la Livonie, que les Ruffes possèdent encore aujourd'hui. Ces mêmes Ruffes, après leur avoir pris autrefois les provinces de Pleskou & de Smolenskou, s'emparèrent encore de prefque toute la Kiovie & de l'Ukraine. Les Turcs prirent, 1672. fous le règne de Michel, la Podolie & la Volhinie. La. Pologne ne put fe conferver qu'en fe rendant tributaire de la Porte ottomane. Le grand maréchal de la couronne, Jean Sobieski, lava cette honte, à la vérité, dans le fang des Turcs à la bataille de Chokzim cette célèbre bataille délivra la Pologne du tribut, & valut à Sobieski la couronne; mais apparemment cette victoire fi célèbre ne fut pas auffi fanglante & auffi décifive qu'on le dit, puifque les Turcs gardèrent alors la Podolie & une partie de l'Ukraine, avec l'importante fortereffe de Kaminiek qu'ils avaient prise.

1674.

Sobieski.

Il eft vrai que Sobieski, devenu roi, rendit depuis

fon nom immortel par la délivrance de Vienne : mais il ne put jamais reprendre Kaminiek, & les Turcs ne l'ont rendu qu'après fa mort, à la paix de Carlovitz, en 1699. La Pologne, dans toutes ces fecouffes, ne changea jamais ni de gouvernement, ni de lois, ni de mœurs; ne devint ni plus riche ni plus pauvre; mais fa difcipline militaire ne s'étant point perfectionnée, & le czar Pierre ayant enfin, par le moyen des étrangers, introduit chez lui cette discipline fi avantageuse, il eft arrivé que les Ruffes, autrefois méprifés de la Pologne, l'ont forcée, en 1733, à recevoir le roi qu'ils ont voulu lui donner, & que dix mille ruffes ont impofé des lois à la nobleffe polonaise assemblée.

L'impératrice-reine, Marie-Thérèfe, l'impératrice de Ruffie, Catherine II, & Frederic, roi de Pruffe, ont impofé des lois plus dures à cette république, au moment que nous écrivons.

Quant à la religion, elle caufa peu de troubles Religion. dans cette partie du monde. Les unitaires eurent quelque temps des églifes dans la Pologne, dans la Lithuanie, au commencement du dix-feptième fiècle. Ces unitaires, qu'on appelle tantôt fociniens, tantôt Sociniens. ariens, prétendaient foutenir la cause de DIEU même, en le regardant comme un être unique, incommunicable, qui n'avait un fils que par adoption. Ce n'était pas entièrement le dogme des anciens eufébezens. Ils prétendaient ramener fur la terre la pureté des premiers âges du chriftianisme, renonçant à la magiftrature & à la profeffion des armes. Des citoyens, qui fe fefaient un fcrupule de combattre, ne semblaient pas propres pour un pays où l'on

SS

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