Page images
PDF
EPUB

avait fervi quarante ans fa république dans toutes les affaires politiques, avec autant de fuccès que Maurice & fes frères en avaient eu par les armes. La fentence portait qu'il avait contrifté au poffible l'Eglife de DIEU. Grotius, depuis ambaffadeur de Suède en France, & plus illuftre par fes ouvrages que par fon ambaffade, fut condamné à une prifon perpétuelle, dont fa femme eut la hardieffe & le bonheur de le tirer. Cette violence fit naître des confpirations qui attirèrent de nouveaux fupplices. Un fils de Barnevelt réfolut de venger le fang de fon père fur celui de Maurice. Le complot fut découvert. Ses complices, à la tête def- 1623. quels était un ministre arminien, périrent tous par la main du bourreau. Ce fils de Barnevelt eut le bonheur d'échapper tandis qu'on faififfait les conjurés : mais fon jeune frère eut la tête tranchée, uniquement pour avoir fu la confpiration. De Thou mourut en France précisément pour la même cause. La condamnation du jeune hollandais était bien plus cruelle; c'était le comble de l'injustice de le faire mourir parce qu'il n'avait pas été le délateur de fon frère. Si ces temps d'atrocité euffent continué, les Hollandais libres euffent été plus malheureux que leurs ancêtres esclaves du duc d'Albe. Ces perfécutions gomariennes reffemblaient à ces premières perfécutions que les proteftans avaient si souvent reprochées aux catholiques, & que toutes les fectes avaient exercées les unes envers les

autres.

Amfterdam, quoique rempli de gomaristes, favorisa toujours les arminiens, & embrassa le parti de la tolérance. L'ambition & la cruauté du prince Maurice laifsèrent une profonde plaie dans le cœur des

Grands établiffemens des Hollandais.

Hollandais; & le fouvenir de la mort de Barnevelt ne contribua pas peu dans la fuite à faire exclure du ftathouderat le jeune prince d'Orange, Guillaume III, qui fut depuis roi d'Angleterre. Il était encore au berceau, lorfque le penfionnaire de Witt ftipula, dans le traité de paix des Etats-généraux avec Cromwell, en 1653, qu'il n'y aurait plus de ftathouder en Hollande. Cromwell pourfuivait encore, dans cet enfant, le roi Charles I, fon grand-père, & le penfionnaire de Witt vengeait le fang d'un penfionnaire. Cette manœuvre de Witt fut enfin la cause funeste de fa mort & de celle de fon frère : mais voilà à peu-près toutes les catastrophes fanglantes, caufées en Hollande par le

combat de la liberté & de l'ambition.

La compagnie des Indes, indépendante de ces factions, n'en bâtit moins Batavia, dès l'année pas 1618, malgré les rois du pays, & malgré les Anglais qui vinrent attaquer ce nouvel établissement. La Hollande, marécageufe & ftérile en plus d'un canton, fe fefait, fous le cinquième degré de latitude feptentrionale, un royaume dans la contrée la plus fertile de la terre, où les campagnes font couvertes de riz, de poivre, de canelle, & où la vigne porte deux fois l'année. Elle s'empara depuis de Bantam dans la même île, & en chaffa les Anglais. Cette feule compagnie eut huit grands gouvernemens dans les Indes, en y comptant le cap de Bonne-Efpérance, quoiqu'à la pointe de l'Afrique, pofte important qu'elle enleva aux Portugais, en 1653.

Dans le même temps que les Hollandais s'établiffaient ainfi aux extrémités de l'Orient, ils commencèrent à étendre leurs conquêtes du côté de l'Occident

en Amérique, après l'expiration de la trève de douze années avec l'Espagne. La compagnie d'Occident fe rendit maîtreffe de prefque tout le Bréfil, depuis 1623 jufqu'en 1636. On vit, avec étonnement, par les registres de cette compagnie, qu'elle avait, dans ce court efpace de temps, équipé huit cents vaiffeaux, tant pour la guerre que pour le commerce, & qu'elle en avait enlevé cinq cents quarante-cinq aux Efpagnols. Cette compagnie l'emportait alors fur celle des Indes orientales; mais enfin lorfque le Portugal cut fecoué le joug des rois d'Espagne, il défendit mieux qu'eux fes poffeffions, & regagna le Bréfil, où il a trouvé des tréfors nouveaux.

La plus fructueufe des expéditions hollandaifes fut celle de l'amiral Pierre Hein, qui enleva tous les galions d'Espagne, revenans de la Havane, & rapporta, dans ce feul voyage, vingt millions de nos livres à fa patrie. Les tréfors du nouveau monde conquis par les Efpagnols fervaient à fortifier contre eux leurs anciens fujets, devenus leurs ennemis redoutables. La république, pendant quatre-vingts ans, fi vous en exceptez une trève de douze années, foutint cette guerre dans les Pays-Bas, dans les grandes Indes & dans le nouveau monde; & elle fut affez puiffante pour conclure une paix avantageuse à Munster, en 1647, indépendamment de la France fon alliée, & long-temps fa protectrice, fans laquelle elle avait promis de ne pas traiter.

Bientôt après, en 1652, & dans les annés fuivantes, elle ne craint point de rompre avec fon alliée, l'Angleterre ; elle a autant de vaiffeaux qu'elle; fon amiral Tromp ne cède au fameux amiral Black qu'en

mourant dans une bataille. Elle fecourt enfuite le roi de Danemarck, affiégé dans Copenhague par le roi de Suède, Charles X. Sa flotte, commandée par l'amiral Oldam, bat la flotte fuédoife, & délivre Copenhague. Toujours rivale du commerce des Anglais, elle leur fait la guerre fous Charles II comme fous Cromwell, & avec de bien plus grands fuccès. Elle devient l'arbitre des couronnes, en 1668. Louis XIV eft obligé par elle de faire la paix avec l'Espagne. Cette même république, auparavant si attachée à la France, eft depuis ce temps-là, jusqu'à la fin du dix-feptième fiècle, l'appui de l'Efpagne contre la France même. Elle eft long-temps une des parties principales dans les affaires de l'Europe. Elle fe relève de fes chutes; & enfin, quoiqu'affaiblie, elle fubfifte par le feul commerce, qui a fervi à fa fondation, fans avoir fait en Europe aucune conquête que celle de Maftricht & d'un très-petit & mauvais pays, qui ne fert qu'à défendre fes frontières; on ne l'a point vue s'agrandir depuis la paix de Munster; en cela plus femblable à l'ancienne république de Tyr, puiffante par le feul commerce, le feul commerce, qu'à celle de Carthage qui eut tant de poffeffions en Afrique, & à celle de Venise qui s'était trop étendue dans la terre ferme.

CHAPITRE CLXXXVIII.

Du Danemarck, de la Suède & de la Pologne, au dix-feptième fiècle.

Vous ne voyez point le Danemarck entrer dans le

Le roi de

fyftême de l'Europe au feizième fiècle. Il n'y a rien Danemarck defpotique de mémorable qui attire les yeux des autres nations, par contrat. depuis la dépofition folennelle du tyran Chriftiern II. Ce royaume, compofé du Danemarck & de la Norvège, fut long-temps gouverné à peu-près comme la Pologne. Ce fut une ariftocratie à laquelle préfidait un roi électif. C'eft l'ancien gouvernement de prefque toute l'Europe. Mais, dans l'année 1660, les Etats affemblés défèrent au roi, Frederic III, le droit héréditaire & la fouveraineté abfolue. Le Danemarck devient le feul royaume de la terre où les peuples aient établi le pouvoir arbitraire, par un acte solennel. La Norvège, qui a fix cents lieues de long, ne rendait pas cet Etat puiffant : un terrain de rochers ftériles ne peut être beaucoup peuplé. Les îles qui composent le Danemarck font plus fertiles; mais on n'en avait pas encore tiré les mêmes avantages qu'aujourd'hui. On ne s'attendait pas encore que les Danois auraient un jour une compagnie des Indes, & un établiffement à Tranquebar, que le roi pourrait entretenir aisément trente vaiffeaux de guerre, & une armée de vingt-cinq mille hommes. Les gouvernemens font comme les hommes: ils fe forment tard. L'efprit de commerce, d'induftrie, d'économie s'eft

« PreviousContinue »