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CHAPITRE

CLXXXIII.

De l'Italie, & principalement de Rome, à la fin du feizième fiècle. Du concile de Trente. De la réforme du calendrier, &c.

AUTANT

UTANT la France & l'Allemagne furent bouleverfées à la fin du feizième & au commencement du dix-feptième fiècle, languiffantes, fans commerce, privées des arts & de toute police, abandonnées à l'anarchie; autant les peuples d'Italie commencèrent en général à jouir du repos, & cultivèrent à l'envi les arts de goût, qui ailleurs étaient ignorés, ou groffièrement exercés. Naples & Sicile furent fans révolutions; on n'y eut même aucune inquiétude. Quand le pape Paul IV, pouffé par fes neveux, voulut ôter ces deux royaumes à Philippe II par les armes de Henri II, roi de France, il prétendait les transférer au duc d'Anjou, qui fut depuis Henri III, moyennant vingt mille ducats de tribut annuel au lieu de fix mille, & furtout à condition que fes neveux y auraient des principautés confidérables & indépendantes.

Ce royaume était alors le feul au monde qui fût Papes veu tributaire. On prétendait que la cour de Rome lent avoir Naples. voulait qu'il cefsât de l'être, & qu'il fût enfin réuni au faint-fiége; ce qui aurait pu rendre les papes affez puiffans pour tenir en maîtres la balance de l'Italie. Mais il était impoffible que ni Paul IV, ni toute l'Italie ensemble ôtaffent Naples à Philippe II, pour

Cardinaux

1560.

l'ôter enfuite au roi de France, & dépouiller les deux plus puiffans monarques de la chrétienté. L'entreprise de Paul IV ne fut qu'une témérité malheureuse. Le fameux duc d'Albe, alors vice- roi de Naples, infulta aux démarches de ce pontife, en fefant fondre les cloches & tout le bronze de Bénévent qui appartenait au faint-fiége, pour en faire des canons. Cette guerre fut prefque auffitôt finie que commencée. Le duc d'Albe fe flattait de prendre Rome, comme elle avait été prise fous Charles-Quint, & du temps des Othon & d'Arnoud, & de tant d'autres ; mais il alla, au bout de quelques mois, baifer les pieds du pontife; on rendit les cloches à Bénévent, & tout fut fini.

Ce fut un spectacle affreux, après la mort de pendus, mars Paul IV, que la condamnation de fes deux neveux. le prince de Palliana, & le cardinal Caraffa: le facré par collége vit avec horreur ce cardinal, condamné les ordres de Pie IV, mourir par la corde, comme était mort le cardinal Poli, fous Léon X; mais une action de cruauté ne fit pas un règne cruel, & la nation romaine ne fut pas tyrannifée : elle fe plaignit feulement que le vendît les charges du palais, pape abus qui augmenta dans la fuite.

Concile de Trente.

Le concile de Trente fut terminé fous Pie IV d'une manière paifible (a); il ne produifit aucun 1563. effet nouveau ni parmi les catholiques qui croyaient tous les articles de foi enseignés par ce concile, ni parmi les proteftans qui ne les croyaient pas : il ne changea rien aux usages des nations catholiques,

( a ) La rédaction des disputes & des actes de ce concile se trouve au chapitre CLXXII.

qui

qui adoptaient quelques règles de difcipline différentes de celles du concile.

La France furtout conferva ce qu'on appelle les Libertés gallibertés de fon Eglife, qui font en effet les libertés licanes. de fa nation. Vingt-quatre articles, qui choquent les droits de la juridiction civile, ne furent jamais adoptés en France : les principaux de ces articles donnaient aux feuls évêques l'administration de tous les hôpitaux, attribuaient au feul pape le jugement des causes criminelles de tous les évêques, foumettaient les laïques en plufieurs cas à la juridiction, épifcopale. Voilà pourquoi la France rejeta toujours le concile dans la difcipline qu'il établit. Les rois d'Espagne le reçurent dans tous leurs Etats avec le plus grand respect & les plus grandes modifications, mais fecrètes & fans éclat. Venife imita l'Efpagne. Les catholiques d'Allemagne demandèrent encore l'ufage de la coupe & le mariage des prêtres. Pie IV accorda la communion fous les deux espèces, par des brefs, à l'empereur Maximilien II & à l'archevêque de Maïence; mais il fut inflexible fur le célibat des prêtres. L'hiftoire des papes en donne pour raison que Pie IV, étant délivré du concile, n'en avait plus rien à craindre: de-là vient, ajoute l'auteur, que ce pape, qui violait les lois divines & humaines, fefait le fcrupuleux fur le célibat. Il est très-faux que Pie IV violât les lois divines & humaines; & il eft très-évident qu'en confervant l'ancienne difcipline du célibat facerdotal depuis fi long-temps établie dans l'Occident, il fe conformait à une opinion devenue une loi de l'Eglife.

Tous les autres ufages de la discipline eccléfiaftique
Effai fur les mœurs, &c. Tome IV. P

Italie fans

police.

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particulière à l'Allemagne fubfiftèrent. Les questions préjudiciables à la puissance féculière ne réveillèrent plus ces guerres qu'elles avaient autrefois fait naître. Il y eut toujours des difficultés, des épines entre la cour de Rome & les cours catholiques; mais le fang ne coula point pour ces petits démêlés. L'interdit de Venise fous Paul V a été depuis la feule querelle éclatante. Les guerres de religion en Allemagne & en France occupaient alors affez; & la cour de Rome ménageait d'ordinaire les fouverains catholiques, de peur qu'ils ne devinffent proteftans. Malheur feulement aux princes faibles, quand ils avaient en tête un prince puiffant comme Philippe, qui était le maître au conclave!

Il manqua à l'Italie la police générale : ce fut-là fon véritable fléau : elle fut infeftée long-temps de brigands au milieu des arts & dans le fein de la paix, comme la Grèce l'avait été dans les temps fauvages. Des frontières du Milanais au fond du royaume de Naples, des troupes de bandits courans fans ceffe d'une province à une autre, achetaient la protection des petits princes, ou les forçaient à les tolérer. On ne put les exterminer dans l'Etat du faint-fiége, jusqu'au règne de Sixte-Quint; & après lui ils reparurent quelquefois. Ce fatal exemple encourageait les particuliers à l'affaffinat: l'ufage du ftilet n'était que trop commun dans les villes, tandis que les bandits couraient les campagnes ; les écoliers de Padoue s'étaient accoutumés à affommer les paffans fous les arcades qui bordent les rues.

Malgré ces défordres trop communs, l'Italie était le pays le plus floriffant de l'Europe, s'il n'était pas

tivés.

le plus puiffant. On n'entendait plus parler de ces guerres étrangères qui l'avaient défolée depuis le règne du roi de France, Charles VIII, ni de ces guerres inteftines de principauté contre principauté, & de ville contre ville: on ne voyait plus de ces confpirations autrefois fi fréquentes. Naples, Venife, Rome, Florence attiraient les étrangers par leur magnificence & par la culture de tous les arts. Les plaifirs Arts culde l'efprit n'étaient encore bien connus que dans ce climat. La religion s'y montrait aux peuples fous un appareil impofant, néceffaire aux imaginations fenfibles. Ce n'était qu'en Italie qu'on avait élevé des temples dignes de l'antiquité; & Saint-Pierre de Rome les furpaffait tous. Si les pratiques fuperstitieufes de fauffes traditions, des miracles fuppofés subsistaient encore, les fages les méprifaient, & favaient que les abus ont été de tous les temps l'amusement de la populace.

tions.

Peut-être les écrivains ultramontains, qui ont tant Superflidéclamé contre ces ufages, n'ont pas affez distingué entre le peuple & ceux qui le conduifent. Il n'aurait pas fallu mépriser le fénat de Rome, parce que les malades, guéris par la nature, tapiffaient de leurs offrandes les temples d'Efculape, parce que mille tableaux votifs de voyageurs échappés aux naufrages, ornaient ou défiguraient les autels de Neptune,

&

que dans Egnatia l'encens brûlait & fumait de luimême fur une pierre facrée. Plus d'un proteftant, après avoir goûté les délices du féjour de Naples, s'eft répandu en invectives contre les trois miracles qui font à jour nommé dans cette ville, quand le fang de St Janvier, de St Jean-Baptifte & de St Etienne,

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