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prince d'Orange ne ferait jamais rétabli dans les charges de fes ancêtres. C'est ce même prince qui détrôna depuis Jacques II, dont Cromwell avait détrôné le père.

Toutes les nations courtisèrent à l'envi le protecteur. La France rechercha fon alliance contre l'Espagne, & lui livra la ville de Dunkerque. (b) Ses flottes prirent fur les Espagnols la Jamaïque qui eft reftée à l'Angleterre. L'Irlande fut entièrement foumife, & traitée comme un pays de conquête. On donna aux vainqueurs les terres des vaincus, & ceux qui étaient le plus attachés à leur patrie périrent par la main des bourreaux.

Cromwell, gouvernant en roi, affemblait des parlemens; mais il s'en rendait le maître, & les caffait à fa volonté. Il découvrit toutes les confpirations contre lui, & prévint tous les foulèvemens. Il n'y eut aucun pair du royaume dans ces parlemens qu'il convoquait tous vivaient obfcurément dans leurs 1656. terres. Il eut l'adreffe d'engager un de ces parlemens à lui offrir le titre de roi, afin de le refuser & de mieux conferver la puiffance réelle. Il menait dans le palais des rois une vie fombre & retirée, fans aucun faste, sans aucun excès. Le général Ludlow, fon lieutenant en Irlande, rapporte que, quand le protecteur y envoya fon fils, Henri Cromwell, il l'envoya avec un feul domeftique. Ses mœurs furent toujours auftères; il était fobre, tempérant, économe fans être avide du bien d'autrui, laborieux & exact dans toutes les affaires. Sa dextérité ménageait (b) Voyez le Siècle de Louis XIV.

13 Septembre

1658.

toutes les fectes, ne perfécutant ni les catholiques ni les anglicans, qui alors à peine ofaient paraître; il avait des chapelains de tous les partis; enthousiaste avec les fanatiques, maintenant les presbytériens qu'il avait trompés & accablés, & qu'il ne craignait plus; ne donnant fa confiance qu'aux indépendans qui ne pouvaient subsister que par lui, & fe moquant d'eux quelquefois avec les théifles. Ce n'est pas qu'il vît de bon œil la religion du théisme, qui, étant fans fanatifme, ne peut guère fervir qu'à des philofophes, & jamais à des conquérans.

Il y avait peu de ces philofophes, & il fe délaffait quelquefois avec eux aux dépens des infenfés qui lui avaient frayé le chemin du trône, l'évangile à la main. C'est par cette conduite qu'il conferva jusqu'à fa mort fon autorité cimentée de fang, & maintenue par la force & par l'artifice.

La nature, malgré fa fobriété, avait fixé la fin de fa vie à cinquante-cinq ans. Il mourut d'une fièvre ordinaire, caufée probablement par l'inquiétude attachée à la tyrannie; car dans les derniers temps il craignait toujours d'être affaffiné; il ne couchait jamais deux nuits de fuite dans la même chambre. Il mourut après avoir nommé Richard Cromwell fon fucceffeur. A peine eut-il expiré qu'un de fes chapelains, presbytérien, nommé Herry, dit aux affiftans : Ne vous alarmez pas; s'il a protégé le peuple de DIEU tant qu'il a été parmi nous, il le protégera bien davantage à préfent qu'il est monté au ciel, où il fera affis à la droite de JESUS-CHRIST. Le fanatifme était fi puiffant, & Cromwell fi refpecté, que perfonne ne rit d'un pareil difcours.

Quelques intérêts divers qui partageaffent tous les efprits, Richard Cromwell fut proclamé paifiblement protecteur dans Londres. Le confeil ordonna des funérailles plus magnifiques que pour aucun roi d'Angleterre. On choifit pour modèle les folennités pratiquées à la mort du roi d'Espagne, Philippe II. Il eft à remarquer qu'on avait représenté Philippe II en purgatoire pendant deux mois, dans un appartement tendu de noir, éclairé de peu de flambeaux, & qu'enfuite on l'avait représenté dans le ciel, le corps fur un lit brillant d'or, dans une falle tendue de même, éclairée de cinq cents flambeaux, dont la lumière, renvoyée par des plaques d'argent, égalait l'éclat du foleil. Tout cela fut pratiqué pour Olivier Cromwell on le vit fur fon lit de parade, la couronne en tête & un fceptre d'or à la main. Le peuple ne fit nulle attention ni à cette imitation d'une pompe catholique, ni à la profufion. Le cadavre embaumé, que Charles II fit exhumer depuis & porter au gibet, fut enterré dans le tombeau des rois.

CHAPITRE CLXXX I I.

De l'Angleterre fous Charles II.

LE fecond protecteur, Richard Cromwell, n'ayant pas les qualités du premier, ne pouvait en avoir la fortune. Son fceptre n'était point foutenu par l'épée ; & n'ayant ni l'intrépidité ni l'hypocrifie d'Olivier, il ne fut ni fe faire craindre de l'armée ni en imposer aux partis & aux fectes qui divifaient

l'Angleterre. Le confeil guerrier d'Olivier Cromwell brava d'abord Richard. Ce nouveau protecteur prétendit s'affermir en convoquant un parlement, dont une chambre, composée d'officiers, représentait les pairs d'Angleterre, & dont l'autre, formée de députés anglais, écoffais & irlandais, représentait les trois royaumes; mais les chefs de l'armée le forcèrent de diffoudre ce parlement. Ils rétablirent eux-mêmes l'ancien parlement qui avait fait couper la tête à Charles I, & qu'enfuite Olivier Cromwell avait diffous avec tant de hauteur. Ce parlement était tout républicain, auffi-bien que l'armée. On ne voulait point de roi, mais on ne voulait pas non plus de protecteur. Ce parlement, qu'on appela le croupion, semblait idolâtre de la liberté ; & malgré fon enthousiasme fanatique, il fe flattait de gouverner, haïffant également les noms de roi, de protecteurs, d'évêques & de pairs, ne parlant jamais qu'au nom du peuple. 12 mai Les officiers demandèrent à la fois au parlement 1659. établi par eux, que tous les partifans de la maifon royale fuffent à jamais privés de leurs emplois, & que Richard Cromwell fût privé du protectorat. Ils le traitaient honorablement, demandant pour lui vingt mille livres fterling de rente, & huit mille pour mère; mais le parlement ne donna à Richard Cromwell que deux mille livres une fois payées, & lui ordonna de fortir dans fix jours de la maifon des rois; il obeit fans murmure, & vécut en particulier paisible.

fa

On n'entendait point alors parler des pairs ni des évêques. Charles II paraiffait abandonné de tout le monde, auffi bien que Richard Cromwell; & on croyait, dans toutes les cours de l'Europe, que la

république anglaise fubfifterait. Le célèbre Monck, officier général fous Cromwell, fut celui qui rétablit le trône il commandait en Ecoffe l'armée qui avait fubjugué le pays. Le parlement de Londres ayant voulu caffer quelques officiers de cette armée, ce général fe réfolut à marcher en Angleterre pour tenter la fortune. Les trois royaumes alors n'étaient qu'une anarchie. Une partie de l'armée de Monck, reftée en Ecoffe, ne pouvait la tenir dans la fujétion. L'autre partie, qui fuivait Monck en Angleterre, avait en tête celle de la république. Le parlement redoutait ces deux armées, & voulait en être le maître. Il y avait là de quoi renouveler toutes les horreurs des guerres

civiles.

Monck ne fe fentant pas affez puiffant pour fuccéder aux deux protecteurs, forma le deffein de rétablir la famille royale; & au lieu de répandre du fang, il embrouilla tellement les affaires par fes négociations, qu'il augmenta l'anarchie, & mit la nation au point de défirer un roi. A peine y eut-il du fang répandu. Lambert, un des généraux de Cromwell; & des plus ardens républicains, voulut en vain renouveler la guerre; il fut prévenu avant qu'il eût rassemblé un affez grand nombre des anciennes troupes de Cromwell, & fut battu & pris par celles de Monck. On assembla un nouveau parlement. Les pairs, fi long-temps oififs & oubliés, revinrent enfin dans la chambrehaute. Les deux chambres reconnurent Charles II pour roi, & il fut proclamé dans Londres.

Charles II, rappelé ainfi en Angleterre, fans y avoir 8 mai 1660. contribué que de fon confentement, & fans qu'on

lui eût fait aucune condition, partit de Bréda où

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