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maîtres celui qui avait été le leur. Ce même Ludlow, presbytérien rigide, ne laiffe pas douter que le fanatifme n'eût part à cette catastrophe. Il développe tout l'efprit du temps, en citant ce paffage de l'ancien teftament: Le pays ne peut être purifié de fang que par le fang de celui qui l'a répandu.

Enfin Fairfax, Cromwell, les indépendans, les presbytériens croyaient la mort du roi néceffaire à leur deffein d'établir une république. Cromwell ne fe flattait certainement pas alors de fuccéder au roi ; il n'était que lieutenant-général dans une armée pleine de factions. Il efpérait, avec grande raifon, dans cette armée & dans la république, le crédit attaché à fes grandes actions militaires & à fon afcendant fur les efprits; mais s'il avait formé dès-lors le deffein de fe faire reconnaître pour le fouverain de trois royaumes, il n'aurait pas mérité de l'être. L'efprit humain dans tous les genres ne marche que par degrés, & ces degrés amenèrent néceffairement l'élévation de Cromwell, qui ne la dut qu'à fa valeur & à la fortune.

Procès cri

minel du roi, janv. 1648.

che la tête.

10 fevrier

Charles I, roi d'Ecoffe, d'Angleterre & d'Irlande, Onluitran fut exécuté par la main du bourreau, dans la place de Vittehall; fon corps fut transporté à la chapelle 1649. de Vindfor, mais on n'a jamais pu le retrouver. Plus d'un roi d'Angleterre avait été dépofé anciennement par des arrêts du parlement; des femmes de rois avaient péri par le dernier fupplice; des commiffaires anglais avaient jugé à mort la reine d'Ecoffe, Marie Stuart, fur laquelle ils n'avaient d'autre droit que celui des brigands fur ceux qui tombent entre leurs mains; mais on n'avait vu encore aucun peuple Effai fur les mœurs, &c. Tome IV.

N

République.

faire périr fon propre roi fur un échafaud, avec l'appareil de la juftice. Il faut remonter jufqu'à trois cents ans avant notre ère pour trouver dans la perfonne d'Agis, roi de Lacédémone, l'exemple d'une pareille catastrophe. (9)

CHAPITRE CLXXX I.

APRÈS

De Cromwell.

PRÈS le meurtre de Charles I, la chambre des communes défendit, fous peine de mort, de reconnaître pour roi ni fon fils ni aucun autre. Elle abolit la chambre-haute où il ne fiégeait plus que feize pairs du & refta ainfi fouveraine en apparence de l'Angleterre & de l'Irlande.

royaume,

Cette chambre, qui devait être compofée de cinq cents treize membres, ne l'était alors que d'environ

(9) On a confervé les actes de cette procédure. Un tribunal légitime qui condamnerait un garnement à un mois de bicêtre, fur une pareille inftruction, commettrait un acte de tyrannie: & fi on ajoute que ni fuivant le droit particulier d'Angleterre, ni en supposant alors les Anglais absolument libres) suivant aucun principe de droit public qu'un homme de bon fens puisse adinettre, ce tribunal ne pouvait être regardė comme légitime, on aura une idée jufte de ce jugement extraordinaire.

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Charles répondit avec une modération & une fermeté qui honorent fa mémoire, & qui contraftent avec la dureté & la mauvaise foi de fes juges.

On prétend que des voleurs de grand chemin se sont avifès quelquefois de condamner en cérémonie, avant de les affaffiner, des juges qui étaient tombes entre leurs mains. Rien ne reffemble mieux à la conduite de Cromwell & de fes amis. Il a fallu toute l'atrocité du fanatifme pour que cette fentence ne foulevât point tous les partis, & que l'indignation génerale n'en rendît pas l'exécution impoffible; & le fanatisme seul en a pu faire l'apologie.

quatre-vingts. Elle fit un nouveau grand fceau, fur lequel étaient gravés ces mots : Le parlement de la république d'Angleterre. On avait déjà abattu la ftatue du roi, élevée dans la bourfe de Londres, & on avait mis en fa place cette infcription: Charles le dernier roi, & le premier tyran.

Cette même chambre condamna à mort plufieurs feigneurs qui avaient été faits prifonniers en combattant pour le roi. Il n'était pas étonnant qu'on violât les lois de la guerre, après avoir violé celles des nations; & pour les enfreindre plus pleinement encore, le duc Hamilton, écoffais, fut du nombre des condamnés. Cette nouvelle barbarie fervit beaucoup à déterminer les Ecoffais à reconnaître pour leur roi Charles II; mais en même temps, l'amour de la liberté était fi profondément gravé dans tous les cœurs qu'ils bornèrent le pouvoir royal autant que le parlement d'Angleterre l'avait limité dans les premiers troubles. L'Irlande reconnaisfait le nouveau roi fans conditions. Cromwell alors fe fit nommer 1649. gouverneur d'Irlande : il partit avec l'élite de fon armée, & fut fuivi de fa fortune ordinaire.

Cependant Charles II était rappelé en Ecoffe par le parlement, mais aux mêmes conditions que ce parlement écoffais avait faites au roi fon père. On voulait qu'il fût presbytérien, comme les Parifiens avaient voulu que Henri IV, fon grand-père, fût catholique. On reftreignait en tout l'autorité royale; Charles la voulait pleine & entière. L'exemple de fon père n'affaibliffait point en lui des idées qui femblent nées dans le cœur des monarques. Le premier fruit de fa nomination au trône d'Ecoffe était déjà une

1650.

guerre civile. Le marquis de Montross, homme célèbre dans ces temps-là par fon attachement à la famille royale, & par fa valeur, avait amené d'Allemagne & du Danemarck quelques foldats dans le nord d'Ecoffe; & fuivi des montagnards, il prétendait joindre aux droits du roi celui de conquête il fut défait, pris & condamné par le parlement d'Ecoffe à être pendu à une potence haute de trente pieds, à être enfuite écartelé, & fes membres à être attachés aux portes des quatre principales villes, pour avoir contrevenu à ce qu'on appelait la loi nouvelle, ou convenant presbyterien. Ce brave homme dit à fes juges qu'il n'était fâché que de n'avoir pas affez de membres pour être attachés à toutes les portes des villes de l'Europe, comme des monumens de fa fidélité pour fon roi. Il mit même cette pensée en affez beaux vers, en allant au fupplice. C'était un des plus agréables efprits qui cultivassent alors les lettres, & l'ame la plus héroïque qui fût dans les trois royaumes. Le clergé presbytérien le conduifit à la mort, en l'infultant & en prononçant fa damnation.

Charles II, n'ayant pas d'autre reffource, vint de Hollande se remettre à la difcrétion de ceux qui venaient de faire pendre fon général & fon appui; & entra dans Edimbourg par la porte où les membres de Montrofs étaient exposés.

La nouvelle république d'Angleterre se prépara dès ce moment à faire la guerre à l'Ecoffe, ne voulant pas que dans la moitié de l'île il y eût un roi qui prétendît l'être de l'autre. Cette nouvelle république foutenait la révolution avec autant de conduite

qu'elle l'avait faite avec fureur. C'était une chofe inouie de voir un petit nombre de citoyens obfcurs, fans aucun chef à leur tête, tenir tous les pairs du royaume dans l'éloignement & dans le filence, dépouiller tous les évêques, contenir les peuples, entretenir en Irlande environ feize mille combattans & autant en Angleterre, maintenir une grande flotte bien pourvue, & payer exactement toutes les dépenfes, fans qu'aucun des membres de la chambre s'enrichît aux depens de la nation. Pour fubvenir à tant de frais, on employait avec une économie févère les revenus autrefois attachés à la couronne, & les terres des évêques & des chapitres qu'on vendit pour dix années. Enfin la nation payait une taxe de cent vingt mille livres fterling par mois, taxe dix fois plus forte que cet impôt de la marine que Charles I s'était arrogé, & qui avait été la première caufe de tant de défaftres.

Ce parlement d'Angleterre n'était pas gouverné par Cromwell, qui alors était en Irlande avec fon gendre Ireton; mais il était dirigé par la faction des indépendans, dans laquelle il confervait toujours un grand crédit. La chambre réfolut de faire marcher une armée contre l'Ecoffe, & d'y faire fervir Cromwell fous le général Fairfax. Cromwell reçut ordre de quitter l'Irlande qu'il avait prefque foumife. Le général Fairfax ne voulut point marcher contre l'Ecoffe: il n'était point indépendant, mais presbytérien. Il prétendait qu'il ne lui était pas permis d'aller attaquer fes frères qui n'attaquaient point l'Angleterre. Quelques repréfentations qu'on lui fit, il demeura inflexible, & fe démit du généralat pour

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