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Henri IV de

prière pour le roi. Enfin la fureur épidémique du fanatisme poffédait encore tellement la populace catholique, qu'il n'y eut prefque point d'années où l'on n'attentât contre fa vie. Il les paffa toutes à combattre tantôt un chef, tantôt un autre, à vaincre, à pardonner, à négocier, à payer la foumiffion des ennemis. Qui croirait qu'il lui en coûta trente-deux millions numéraires de fon temps pour payer les prétentions de tant de feigneurs ? les mémoires du duc de Sulli en font foi ; & ces promeffes furent fidèlement acquittées, lorfqu'enfin, étant roi abfolu & paisible, il eût pu refuser de payer ce prix de la rébellion. Le duc de Mayenne ne fit fon accommodement qu'en 1596. Henri le réconcilia fincèrement avec lui, & lui donna le gouvernement de l'Ile-deFrance. Non-feulement il lui dit, après l'avoir lassé un jour dans une promenade, Mon coufin, voilà le feul mal que je vous ferai de ma vie, mais il lui tint parole, & il n'en manqua jamais à perfonne.

Plufieurs politiques ont prétendu que quand ce vait-il refter prince fut maître, il devait alors imiter la reine proteftant? Elifabeth, & féparer fon royaume de la communion

romaine. Ils difent que la balance penchait trop, en Europe, du côté de Philippe II & des catholiques; que pour tenir l'équilibre il fallait rendre la France protestante; que c'était l'unique moyen de la rendre peuplée, riche & puiffante.

Mais Henri IV n'était pas dans les mêmes conjonctures qu'Elifabeth; il n'avait point à fes ordres un parlement de la nation affectionné à fes intérêts; il manquait encore d'argent ; il n'avait pas une armée affez confidérable; Philippe II lui fefait toujours la

guerre; la Ligue était encore puiffante & encore

animée.

Il recouvra fon royaume, mais pauvre, déchiré, & dans la même fubverfion où il avait été du temps des Philippe de Valois, Jean & Charles VI. Plufieurs grands chemins avaient difparu fous les ronces, & on fe frayait des routes dans les campagnes incultes. Paris, qui contient aujourd'hui environ fept cents mille habitans, n'en avait pas cent quatrevingts mille quand il y entra. (c) Les finances de Trifte état l'Etat, diffipées fous Henri III, n'étaient plus alors qu'un trafic public des reftes du fang du peuple, que le confeil des finances partageait avec les

traitans.

La reine d'Angleterre, le grand-duc de Florence, des princes d'Allemagne, les Hollandais lui avaient prêté l'argent avec lequel il s'était foutenu contre la Ligue, contre Rome & contre l'Espagne; & pour payer ces dettes fi légitimes, on abandonnait les recettes générales, les domaines, à des fermiers de ces puiffances étrangères, qui géraient au cœur du royaume les revenus de l'Etat. Plus d'un chef de la Ligue, qui avait vendu à fon roi la fidélité qu'il lui devait, tenait auffi des receveurs des deniers publics, & partageait cette portion de la fouveraineté. Les fermiers de ces droits pillaient fur le peuple le triple, le quadruple de ces droits aliénés ; ce qui reftait au roi était adminiftré de même : & enfin, quand la déprédation générale força Henri IV

(c) Il y avait deux cents vingt mille ames à Paris au temps du fiége que fit Henri IV, en 1590. Il ne s'en trouva que cent quatre-vingts mille, en 1593.

du

royaume.

Il furmonte

ficultés.

à donner l'administration entière des finances au duc de Sulli, ce miniftre, auffi éclairé qu'intègre, trouva qu'en 1596 on levait cent cinquante millions fur le peuple pour en faire entrer environ trente dans le tréfor royal.

Si Henri IV n'avait été que le plus brave prince toutes les dif- de fon temps, le plus clément, le plus droit, le plus honnête homme, fon royaume était ruiné : il fallait un prince qui sût faire la guerre & la paix, connaître toutes les bleffures de fon Etat, & y apporter les remèdes; veiller fur les grandes & les petites chofes, tout réformer & tout faire : c'eft ce qu'on trouva dans Henri. Il joignit l'administration de Charles le fage à la valeur & à la franchise de François 1, & à la bonté de Louis XII.

Pour fubvenir à tant de befoins, pour faire à la fois tant de traités & tant de guerres, Henri convoqua, dans Rouen, une affembléc des notables du royaume ; c'était une efpèce d'états-généraux; les paroles qu'il y prononça font encore dans la mémoire des bons Difcours citoyens qui favent l'histoire de leur pays : Déjà par digne de lui. la faveur du ciel, par les confeils de mes bons ferviteurs, & par l'épée de ma brave noblesse, dont je ne diftingue point mes princes, la qualité de gentilhomme étant notre plus beau titre, j'ai tiré cet Etat de la fervitude & de la ruine. Je veux lui rendre fa force & fa fplendeur; participez à cette feconde gloire, comme vous avez eu part à la première. Je ne vous ai point appelés, comme fefaient mes prédéceffeurs, pour vous obliger d'approuver aveuglément mes volontés, mais pour recevoir vos confeils, pour les croire, pour les fuivre, pour me mettre en tutelle entre vos mains. C'est une envie qui ne prend guère aux rois, aux viclorieux & aux

barbes grifes; mais l'amour que je porte à mes fujets mé rend tout poffible & tout honorable. Cette éloquence du cœur, dans un héros, eft bien au-deffus de toutes les harangues de l'antiquité.

pris.

Au milieu de ces travaux & de ces dangers 1597. continuels, les Efpagnols furprennent Amiens, Mars. dont les bourgeois avaient voulu fe garder eux- Amiens furmêmes. Ce funefte privilége qu'ils avaient, & dont ils fe prévalurent fi mal, ne fervit qu'à faire piller leur ville, à exposer la Picardie entière, & à ranimer encore les efforts de ceux qui voulaient démembrer la France. Henri, dans ce nouveau malheur, manquait d'argent & était malade. Cependant il affemble quelques troupes, il marche fur la frontière de la Picardie, il revole à Paris, écrit de fa main aux parlemens, aux communautés, pour obtenir de quoi nourrir ceux qui défendaient l'Etat : ce font fes propres, paroles. Il va lui-même au parlement de Paris : Si on me donne une armée, dit-il, je donnerai gaiement ma vie pour vous fauver, & pour relever la patrie. Il propofait des créations de nouveaux offices, pour avoir les promptes reffources qui étaient néceffaires; mais le parlement, ne voyant dans ces reffources mêmes qu'un nouveau malheur, refufait de vérifier les édits, & le roi eut befoin d'employer plufieurs. juffions pour avoir de quoi aller prodiguer fon fang à la tête de fa nobleffe. Sa maîtreffe, Gabrielle d'Eftrées, lui prêta de l'argent pour hasarder ce fang, & fon parlement lui en refufa.

Enfin, par des emprunts, par les foins infatigables, & par l'économie de ce Rofni, duc de Sulli, fi digne de le fervir, il vient à bout d'affembler une

floriffante armée. Ce fut la feule, depuis trente ans, qui fût pourvue du néceffaire, & la première qui eût un hôpital réglé, dans lequel les bleffés & les malades eurent le fecours qu'on ne connaisfait point encore. Chaque troupe auparavant avait foin de fes bleffés comme elle pouvait, & le manque de foins avait fait périr autant de monde que les armes.

1597. Il reprend Amiens, à la vue de l'archiduc Albert, Septembre. & le contraint de fe retirer. De là il court pacifier Amiens re- le refte du royaume : enfin toute la France est à pris. lui. Le pape, qui lui avait refusé une absolution auffi inutile que ridicule, quand il n'était pas affermi, la lui avait donnée quand il fut victorieux. Il ne reftait qu'à faire la paix avec l'Efpagne; elle Paix de Ver- fut conclue à Vervins, & ce fut le premier traité avantageux que la France eût fait avec fes ennemis depuis Philippe-Auguste.

vins, 2 mai 1598.

Alors il met tous fes foins à policer, à faire fleurir ce royaume qu'il avait conquis : les troupes inutiles font licenciées; l'ordre dans les finances fuccède au plus odieux brigandage; il paye peu à peu toutes les dettes de la couronne, fans fouler les peuples. Les paysans répètent encore aujourd'hui qu'il voulait qu'ils euffent une poule au pot tous les dimanches; expreffion triviale, mais fentiment paternel. Ce fut une chose bien admirable que, malgré Royaume l'épuisement & le brigandage, il eût, en moins de quinze ans, diminué le fardeau des tailles de quatre millions de fon temps, qui en feraient environ dix du nôtre; que tous les autres droits fuffent réduits à la moitié; qu'il eût payé cent millions de dettes, qui aujourd'hui feraient environ deux cents

rétabli.

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