Page images
PDF
EPUB

Strafford de haute trahison. On lui imputa quelques malverfations inévitables dans ces temps de troubles, mais commises toutes pour le fervice du roi, & furtout effacées par la grandeur d'ame avec laquelle il l'avait fecouru. Les pairs le condamnèrent; il fallait le confentement du roi pour l'exécution. Le peuple féroce demandait ce fang à grands cris. Strafford poussa la vertu jufqu'à fupplier lui-même le roi de confentir à fa mort ; & le roi pouffa la faibleffe jufqu'à 1641. figner cet acte fatal, qui apprit aux Anglais à répandre un fang plus précieux. On ne voit point dans les grands hommes de Plutarque une telle magnanimité dans un citoyen, ni une telle faiblesse dans un monarque.

CHAPITRE CL X X X.

Des malheurs & de la mort de Charles I.

L'ANGLETERRE, l'Ecoffe & l'Irlande étaient alors partagées en factions violentes, ainfi que l'était la France; mais celles de la France n'étaient que des cabales de princes & de feigneurs contre un premier miniftre qui les écrafait; & les partis qui divifaient le royaume de Charles I étaient des convulfions générales dans tous les efprits, une ardeur violente & réfléchie de changer la conftitution de l'Etat, un deffein mal conçu chez les royalistes d'établir le pouvoir defpotique, la fureur de la liberté dans la nation, la foif de l'autorité dans la chambre des communes, le défir vague dans les évêques

Caractère des troubles

d'Angle

terre.

catholiques

d'écrafer le parti calvinifte-puritain, le projet formé chez les puritains d'humilier les évêques, & enfin le plan fuivi & caché de ceux qu'on appelait indépendans, qui confiftait à fe fervir des fautes de tous les autres pour devenir leurs maîtres.

O&ob.1641. Au milieu de tous ces troubles, les catholiques Maffacres d'Irlande crurent avoir trouvé enfin le temps de en lilande. fecouer le joug de l'Angleterre. La religion & la liberté, ces deux fources des plus grandes actions, les précipitèrent dans une entreprise horrible, dont il n'y a d'exemple que dans la Saint-Barthelemi. Il complotèrent d'affaffiner tous les proteftans de leur île, & en effet ils en égorgèrent plus de quarante mille. Ce maffacre n'a pas dans l'histoire des crimes la même célébrité que la Saint-Barthelemi; il fut pourtant auffi général & auffi diftingué par toutes les horreurs qui peuvent fignaler un tel fanatifme. Mais cette dernière confpiration de la moitié d'un peuple contre l'autre, pour caufe de religion, se fefait dans une île alors peu connue des autres nations; elle ne fut point autorifée par des perfonnages auffi confidérables qu'une Catherine de Médicis, un roi de France, un duc de Guife: les victimes immolées n'étaient pas auffi illuftres, quoiqu'auffi nombreuses. La scène ne fut pas moins fouillée de fang; mais le théâtre n'attirait pas les yeux de l'Europe. Tout retentit encore des fureurs de la Saint-Barthelemi, & les maffacres d'Irlande font prefque oubliés.

Maffacresre

ce de depo

Si on comptait les meurtres que le fanatisme a ligieux,four commis depuis les querelles d'Athanafe & d'Arius pulation. jufqu'à nos jours, on verrait que ces querelles ont plus fervi que les combats à dépeupler la terre :

car dans les batailles on ne détruit que l'efpèce mâle, toujours plus nombreuse que la femelle; mais dans les maffacres faits pour la religion, les femmes font immolées comme les hommes.

Pendant qu'une partie du peuple irlandais égor geait l'autre, le roi Charles I était en Ecoffe, à peine pacifiée, & la chambre des communes gouvernait l'Angleterre. Ces catholiques irlandais pour fe juftifier de ce maffacre, prétendirent avoir reçu une commiffion du roi même pour prendre les armes; & Charles, qui demandait du fecours contre eux à l'Ecoffe & à l'Angleterre, fe vit accufé du crime même qu'il voulait punir. Le parlement d'Ecoffe le renvoie avec raifon au parlement de Londres, parce que l'Irlande appartient en effet à l'Angleterre, & non pas à l'Ecoffe. Il retourne donc à Londres. La chambre baffe croyant, ou feignant de croire qu'il a part en effet à la rébellion des Irlandais, n'envoie que peu d'argent & peu de troupes dans cette île, pour ne pas dégarnir le royaume, & fait au roi la remontrance la plus

terrible.

baffe, puif

Elle lui fignifie, qu'il faut déformais qu'il n'ait Chambre " pour confeil que ceux que le parlement lui nom- fante. ,, mera; &, en cas de refus, elle le menace de "prendre des mefures. Trois membres de la chambre allèrent lui préfenter à genoux cette requête qui lui déclarait la guerre. Olivier Cromwell était déjà dans ce temps-là admis dans la chambre baffe; & il dit que, fi ce projet de remontrance ne passait pas dans la chambre, il vendrait le peu qu'il avait de bien, & fe retirerait de l'Angleterre.

1641.

Conduite du

vaise.

Ce difcours prouve qu'il était alors fanatique de la liberté que fon ambition développée foula depuis aux pieds.

Charles n'ofait pas alors diffoudre le parlement : on ne lui eût pas obéi. Il avait pour lui plufieurs officiers de l'armée affemblée auparavant contre l'Ecoffe, affidus auprès de fa perfonne. Il était foutenu par les évêques & les feigneurs catholiques épars dans Londres; eux qui avaient voulu, dans la confpiration des poudres, exterminer la famille royale, fe livraient alors à fes intérêts; tout le refte était contre le roi. Déjà le peuple de Londres, excité par les puritains de la chambre basse, rempliffait la ville de féditions: il criait à la porte de la chambre des pairs: Point d'évêques, point d'évêques. Douze prélats intimidés réfolurent de s'abfenter & proteftèrent contre tout ce qui fe ferait pendant leur abfence. La chambre des pairs les envoya à la Tour; &, bientôt après, les autres évêques fe retirèrent du parlement.

Dans ce déclin de la puiffance du roi, un de fes roi, mau- favoris, le lord Digby, lui donna le fatal conseil de la foutenir par un coup d'autorité. Le roi oublia c'était précisément le que où il ne fallait pas temps la compromettre. Il alla lui-même dans la chambre des communes, pour y faire arrêter cinq fénateurs les plus oppofés à fes intérêts, & qu'il accufait de haute trahison. Ces cinq membres s'étaient évadés 3 toute la chambre se récria fur la violation de fes priviléges. Le roi, comme un homme égaré qui ne fait plus à quoi fe prendre, va de la chambre des communes à l'hôtel - de-ville, lui demander du

fecours.

fecours. Le confeil de la ville ne lui répond que par des plaintes contre lui-même. Il fe retire à Vindfor; & là, ne pouvant plus foutenir la démarche qu'on lui avait confeillée, il écrit à la chambre basse qu'il fe defifte de fes procédures contre fes membres, & qu'il prendra autant de foin des priviléges du parlement que de fa propre vie. Sa violence l'avait rendu odieux, & le pardon qu'il en demandait le rendait méprisable.

La chambre basse commençait alors à gouverner l'Etat. Les pairs font en parlement pour eux-mêmes ; c'eft l'ancien droit des barons & des feigneurs de fiefs; les communes font en parlement pour les villes & les bourgs dont elles font députées. Le peuple avait bien plus de confiance dans fes députés, qui le repréfentent, que dans les pairs. Ceux-ci, pour regagner le crédit qu'ils perdaient infenfiblement, entraient dans les fentimens de la nation, & foutenaient l'autorité d'un parlement dont ils étaient originairement la partie principale.

Pendant cette anarchie, les rebelles d'Irlande triomphent, & teints du fang de leurs compatriotes, ils s'autorifent encore du nom du roi, & furtout de celui de la reine fa femme, parce qu'elle était catholique. Les deux chambres du parlement proposent d'armer les milices du royaume ; bien entendu qu'elles ne mettront à leur tête que des officiers dépendans du parlement. On ne pouvait rien faire, felon la loi au fujet des milices, fans le confentement du roi. Le parlement s'attendait bien qu'il ne foufcrirait pas à un établiffement fait contre lui-même. Ce prince fe retire, ou plutôt fuit vers le nord

Effai fur les mœurs, &c. Tome IV. M

Guerre

civile.

« PreviousContinue »