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que ces états, auffi tumultueux, auffi divifés qu'irréguliers, fe tenaient dans Paris, Henri était aux Henri IV portes, & menaçait la ville. Il y avait quelques par- changer de obligé de tifans. Beaucoup de vrais citoyens, laffés de leurs religion. malheurs & du joug d'une puiffance étrangère, foupiraient après la paix ; mais le peuple était retenu par la religion. La plus vile populace fait en ce point la loi aux grands & aux fages; elle compofe le plus grand nombre, elle eft conduite aveuglément, elle eft fanatique ; & Henri IV n'était pas en état d'imiter Henri VIII & la reine Elifabeth. Il fallut changer de religion; il en coûte toujours à un brave homme. Les lois de l'honneur, qui ne changent jamais chez les peuples policés, tandis que tout le refte change, attachent quelque honte à ces changemens, quand l'intérêt les dicte. Mais cet intérêt était fi grand, fi général, fi lié au bien du royaume, que les meilleurs ferviteurs qu'il eût parmi les calvinistes lui confeillèrent d'embraffer la religion même qu'ils haïffaient. Il est nécessaire, lui disait Rofni, que vous Joyez papifte, & que je demeure réformé. C'était tout ce que craignaient les factions de la Ligue & de l'Efpagne. Les noms d'hérétique & de relaps étaient leurs principales armes que fa converfion rendait impuiffantes. Il fallut qu'il fe fit inftruire, mais pour la forme; car il était plus inftruit en effet que les évêques avec lefquels il conféra. Nourri par fa mère dans la lecture de l'ancien & du nouveau teftament, il les poffédait tous deux. La controverfe était, dans fon parti, le sujet de toutes les conversations, auffibien que la guerre & l'amour. Les citations de l'Ecriture, les allufions à ces livres, entraient dans ce

qu'on appelait le bel efprit en ces temps-là; & la bible était fi familière à Henri IV, qu'à la bataille de Coutras, il avait dit, en fesant prifonnier, de fa main, un officier, nommé Chateaurenard: Rends-toi, Philiftin.

On voit affez ce qu'il penfait de fa conversion, 24 juillet par fa lettre à Gabrielle d'Eftrées : C'eft demain que je 1593. fais le faut perilleux. Je crois que ces gens-ci me feront

raifons de ce

de

hair St Denis autant que vous haïffez Monceaux.... C'est immoler la vérité à de très-fauffes bienféances, prétendre, comme le jefuite Daniel, que quand Henri IV fe convertit, il était dès long-temps catholique dans le cœur. Sa converfion affurait fans doute fon falut, je le veux croire; mais il paraît bien que l'amant de Gabrielle ne fe convertit que pour régner; & il eft encore plus évident que ce changement n'augmentait en rien fon droit à la couronne.

Il avait alors auprès de lui un envoyé secret de la reine Elifabeth, nommé Thomas Vilquéft, qui écrivit ces propres mots, quelque temps après, à la reine sa maîtresse.

Preuves des " Voici comme ce prince s'excufe fur fon chanchangement. "gement de religion, & les paroles qu'il m'a dites. (a) Quand je fus appelé à la couronne, "huit cents gentilshommes & neuf régimens fe , retirèrent de mon fervice, fous prétexte que j'étais hérétique. Les Ligueurs fe font hâtés d'élire " un roi; les plus notables fe font offerts au duc de Guife, c'eft pourquoi je me fuis réfolu, après ,, mûre délibération, d'embraffer la religion romaine;

(a) Tiré du troisième tome des manufcrits de Bèze, no VIII.

" par

♦ par ce moyen, je me suis entièrement adjoint le ,, tiers parti; j'ai anticipé l'élection du duc de Guise; , je me fuis acquis la bonne volonté du peuple fran

çais; j'ai eu parole du duc de Florence en choses ,, importantes : j'ai finalement empêché que la reli"gion réformée n'ait été flétrie. "

(b) Henri envoya le fieur Morland à la reine d'Angleterre, pour certifier les mêmes chofes, & faire comme il pourrait fes excufes. Morland dit qu'Elifabeth lui répondit: Se peut-il faire qu'une chofe mondaine lui ait fait mettre bas la crainte de DIEU? Quand la meurtrière de Marie Stuart parlait de la crainte de DIEU, il est très-vraisemblable que cette reine fefait la comédienne, comme on le lui a tant reproché; mais, quand le brave & généreux Henri IV avouait qu'il n'avait changé de religion que par l'intérêt de l'Etat, qui eft la fouveraine raifon des rois, on ne peut douter qu'il ne parlât de bonne foi. Comment donc le jéfuite Daniel peut-il infulter à la Menfonge vérité & à fes lecteurs, au point d'affurer, contre tant de vraisemblance, contre tant de preuves, & contre la connaissance du cœur humain, que Henri IV était depuis long-temps catholique dans le cœur? Encore une fois, le comte de Boulainvilliers a bien raifon d'affurer qu'un jéfuite ne peut écrire fidèlement l'hiftoire.

Les conférences qu'on eut avec lui rendirent fa perfonne chère à tous ceux qui fortirent de Paris pour le voir. Un des députés, étonné de la familiarité avec laquelle fes officiers fe preffaient autour

(b) Tire du troisième tome des manuscrits de Bèze, No. VIII. Effai fur les mœurs, &c. Tome IV.

B

abfurde de

Daniel.

Paris.

1594, mardi

12 mars.

de lui, & fefaient à peine place: Vous ne voyez rien, dit-il, ils me preffent bien autrement dans les batailles. Enfin, ayant repris d'affaut la ville de Dreux, avant d'apprendre fon nouveau catéchisme, ayant ensuite fait fon abjuration dans Saint-Denis, s'étant fait facrer à Chartres, & ayant furtout ménagé des intelligences dans Paris, qui avait une garnison de trois mille efpagnols, avec des napolitains & des lanfquenets, il y entre en fouverain, n'ayant pas plus de foldats autour de sa perfonne qu'il n'y avait d'étrangers dans les murs.

Paris n'avait vu ni reconnu de roi depuis quinze ans. Deux hommes ménagèrent feuls cette révolution; le maréchal de Briffac, & un brave citoyen dont le nom était moins illuftre, & dont l'ame n'était pas moins noble; c'était un échevin de Paris, Il entre nommé Langlois. Ces deux reftaurateurs de la tranenfin dans quillité publique s'affocièrent bientôt les magistrats & les principaux bourgeois. Les mefures furent fi bien prifes, le légat, le cardinal de Pellevé, les commandans espagnols, les Seize, fi artificieusement trompés, & enfuite fi bien contenus, que Henri IV fit fon entrée dans fa capitale, fans qu'il y eût prefque du fang répandu. Il renvoya tous les étrangers qu'il pouvait retenir prifonniers ; il pardonna à tous les Ligueurs. Les ambassadeurs de Philippe II partirent le jour même fans qu'on leur fît la moindre violence, & le roi les voyant paffer d'une fenêtre, leur dit: Meffieurs, mes complimens à votre maître; mais n'y revenez plus.

Plufieurs villes fuivirent l'exemple de Paris; mais Henri était encore bien éloigné d'être maître du

royaume. Philippe II qui, dans la vue d'être toujours néceffaire à la Ligue, n'avait jamais fait de mal au roi qu'à demi, lui en fefait encore affez dans plus d'une province. Détrompé de l'efpérance de régner en France fous le nom de fa fille, il ne fongeait plus qu'à affaiblir pour jamais le royaume, en le démembrant; & il était très-vraisemblable que la France ferait dans un état pire que quand les Anglais en poffédaient la moitié, & quand les feigneurs particuliers tyrannifaient l'autre.

Le duc de Mayenne avait la Bourgogne; le duc de Guife, fils du balafré, poffédait Reims & une partie de la Champagne; le duc de Mercœur dominait dans la Bretagne, & les Efpagnols y avaient Blavet, qui eft aujourd'hui le Port-Louis. Les principaux capitaines même de Henri IV songeaient à se rendre indépendans, & les calvinistes qu'il avait quittés, fe cantonnant contre les Ligueurs, fe ménageaient déjà des reffources pour résister un jour à l'autorité royale.

Il faut un

arrêt du par

roi de

France.

7 juin 1606.

Il fallait autant d'intrigues que de combats pour que Henri IV regagnât peu à peu fon royaume. lement pour Tout maître de Paris qu'il était, fa puiffance fut forcer les prêtres à prier quelque temps fi peu affermie que le pape Clément VIII DIEU pour lui refusfait conftamment l'absolution, dont il n'eût le pas eu besoin dans des temps plus heureux. Aucun ordre religieux ne priait DIEU pour lui dans les cloîtres. Son nom même fut omis, dans les prières, par la plupart des curés de Paris jufqu'en 1606, & il fallut que le parlement, rentré dans le devoir, & y fefant rentrer les prêtres, ordonnât par un arrêt que tous les curés rétabliffent dans leur miffel la

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